Recension de l’ouvrage de Michel Goebel : Paris, capitale du tiers monde, comment est née la révolution anticoloniale (1919-1939)

Michael Goebel, professeur d’histoire d’Amérique latine et d’Histoire globale à l’institut de hautes études internationales et du développement de Genève, propose dans son ouvrage Paris, capitale du tiers monde, une nouvelle lecture de la propagation des idéologies anti-impérialistes au début du 20e siècle. Mettant en scène la ville de Paris, l’historien montre comment la rencontre des différentes communautés ethniques issues des colonies, entre elles et avec la société française, catalyse les idées anti-impérialistes lors de l’entre-deux-guerres[1].

L’approche de l’auteur dépasse les méthodes de l’histoire globale. L’essentiel de sa démarche part d’une histoire sociale locale de l’immigration pour évoluer vers une histoire intellectuelle de l’anti-impérialisme. En joignant une analyse sociale de la ville de Paris à l’histoire globale des idées, Goebel argumente que les milieux sociaux, où interagissent des communautés et des individus, ont eu un impact considérable dans la construction des idées. Il s’engage dans une histoire intellectuelle qui parfois, par le passé, a eu tendance à se concentrer sur une analyse du discours et sa diffusion[2]. Les sources principales de l’ouvrage, pour la plupart provenant des institutions policières parisiennes et françaises qui maintenaient une surveillance active des populations non occidentales, témoignent de cette approche.

L’ouvrage s’inscrit plus largement dans une historiographie qui recherche les origines historiques de la décolonisation enclenchée après la Deuxième Guerre mondiale. Si l’auteur parle d’anti-impérialisme, c’est parce que le terme « anticolonialisme » ne couvre pas bien tous les discours produits par les multiples communautés en situation d’inégalités vis-à-vis une puissance occidentale[3]. Ce sont, en gros, les habitants des pays qui, après la Deuxième Guerre mondiale, se dénomment le « tiers-monde »[4].

À Paris, les migrants non européens interagissent grâce à des groupes d’entraide (au travail ou à l’intérieur de partis politiques), mais aussi avec la société française dans son ensemble (police, bureaucratie gouvernementale, école, lieux religieux, etc.). La vie quotidienne, marquée par ces interactions, met en évidence les contradictions entre les idéaux universalistes et les pratiques discriminatoires de l’État et de la société française. Goebel avance aussi que la discrimination vécue par les populations émigrées à Paris est beaucoup plus apparente qu’en colonie, permettant à ce lieu cosmopolite de devenir un centre névralgique des idées anti-impérialistes[5]. Les populations migrantes côtoient également l’idéologie républicaine française tributaire de la Révolution de 1789, occasionnant une adoption d’une composante républicaine à l’anti-impérialisme. L’historien argumente que cette composante vient du contexte parisien avant tout et que les idées républicaines de nature universaliste ne sont pas un frein à la politique identitaire[6].