Sur les questions climatiques, Greenpeace épinglait dès 2010 les frères Koch pour leurs financements à une multitude d’organisations jouant le rôle de « chambre d’écho » pour amplifier artificiellement les messages portant atteinte à l’action climatique ou à la crédibilité des recherches scientifiques sur le sujet [1]. L’organisation environnementale citait par exemple des rapports critiquant la viabilité économique et l’impact sur l’emploi des énergies renouvelables en Espagne et au Danemark : ceux-ci seront largement relayés par des membres du réseau Atlas en dépit de leurs biais et erreurs factuelles [2].
Mais l’exemple le plus connu de cette « chambre d’écho » reste certainement le « ClimateGate » de 2009. Des courriels de scientifiques du Giec sont alors hackés et détournés de leur sens pour semer le doute sur leurs travaux. Les Cato Institute [3], Heritage Foundation, Heartland Institute ou encore Competitive Enterprise Institute seront tous très actifs dans la diffusion de ce qu’ils présentent comme un scandale, et seront relayés par les partenaires du réseau Atlas au-delà des États-Unis. L’institut économique de Montréal, l’Institute of Public Affairs en Australie ou encore la Freedom Association au Royaume-Uni participent tous à la diffusion du doute. Les enquêtes commissionnées par la suite démontreront que cette fuite d’emails est une fausse affaire, mais la « caisse de résonance » alimentée dans les médias et le débat public a eu son effet. Entre 2008 et 2010, la confiance des Américains dans les travaux du Giec a significativement baissé [4].
Récemment encore, plusieurs organisations européennes du réseau Atlas ont été épinglées pour leur activisme contre la lutte contre les dérèglements climatiques : Austrian Economics Centre (Autriche), Instituto Juan de Mariana (Espagne), Liberales Institut (Suisse), Centre for Policy Studies et Institute of Economic Affairs (Royaume-Uni) [5]… Quant à l’Institut économique de Montréal, « parrain » de l’institut économique Molinari (IEM) en France, une récente étude universitaire montre que « cette organisation est intégrée dans la coalition canadienne de l’industrie des hydrocarbures et qu’elle a fait évoluer son comportement public de la négation du réchauffement climatique d’origine anthropique vers une posture de résistance systématique aux politiques climatiques sur deux décennies » [6]. Martin Masse [7], directeur de l’institut montréalais de 2000 à 2007 et chercheur associé à l’IEM a ensuite rejoint l’homme politique canadien Maxime Bernier, vivement opposé à toute action climatique, qui a qualifié Greta Thunberg de « mentalement instable » et pense que le mouvement climat est une menace pour la prospérité et la civilisation [8]. Selon une analyse de la City University de Londres, en 2022, un quart de l’ensemble des tweets climato-sceptiques provenaient de seulement 10 comptes, dont celui de Maxime Bernier [9].
Contre les droits des populations autochtones
Une autre cible favorite des membres du réseau Atlas, en plus des régulations environnementales, est la question des droits des communautés autochtones. Le chercheur Jeremy Walkers a montré comment ils se sont mobilisés en Australie contre le référendum pour « the Voice », qui visait à créer un organe consultatif pour représenter les aborigènes d’Australie et les indigènes du détroit de Torres auprès du Parlement et du gouvernement fédéral. En novembre 2022, plus de 60% des électeurs australiens soutenaient the Voice. En avril 2023, cette proportion avait chuté à 40%, suite entre autres à une campagne orchestrée par Advance Australia.
Cette organisation, formée dans le sillage de la réforme pour autoriser le mariage pour tous, s’attaque aussi aux activistes climatiques et accuse les « politiciens woke » et les « élites activistes » de vouloir imposer un agenda radical et remettre en cause le mode de vie traditionnel des Australiens [10]. Si elle prétend représenter des intérêts populaires, elle est en réalité soutenue par de grands chefs d’entreprises comme le milliardaire Sam Kennard ou l’ancien président de l’Australian Broadcasting Corporation. Alors que les sondages montrent qu’au moins 80% des aborigènes soutenaient le oui au référendum [11], Advance a assuré une importante présence médiatique à un petit nombre d’autochtones qui y étaient opposés, comme Nyunggai Warren Mundine et Jacinta Nampijinpa Price, tous deux liés au Centre for Independent Studies (CIS), partenaire du réseau d’Atlas en Australie. Mundine a d’ailleurs aussi été président de LibertyWorks, un autre membre d’Atlas dans le pays, ainsi que de CPAC Australia, une réunion annuelle des conservateurs.
Pendant des mois, ces membres d’Atlas vont s’aligner pour créer une « chambre d’écho » en faveur du non au référendum. Aux côtés du CIS [12] et de LibertyWorks [13], l’Australian Institute for Progress [14], l’Australian Taxpayers’ Alliance [15], l’Institute of Public Affairs [16], ou la Mannkal Economic Education Foundation [17] publient notes et articles, prennent la parole dans les médias et sur les réseaux sociaux et organisent des événements contre the Voice. En octobre 2023, le référendum est finalement rejeté par 60% des votants.
Le réseau Atlas se prévaut d’avoir pesé sur sur le contenu de législations aux quatre coins du monde. En Grèce, le think tank KEFiM réussira à faire déposer une loi pour donner davantage d’autonomie aux écoles privées. En Bosnie Herzégovine, l’association Multi s’est battue avec succès contre l’augmentation du salaire minimum [18]. Au niveau de l’Union européenne, Epicentre a efficacement porté la promotion des politiques de libre-échange. En Indonésie, le Center for Indonesian Policy Studies (CIPS) a fait campagne pour l’ouverture des marchés agricoles (en particulier du riz) [19]. Alors même que le réseau se décrit comme apolitique et indépendant, et tout dévoué à la « bataille des idées », on retrouve également la trace de son influence derrière certains candidats ou leaders politiques.
Pour Javier Milei en Argentine
Exemple le plus récent : Javier Milei, élu à la tête de l’État argentin en novembre 2023. Si certains médias ont entretenu l’image de l’irruption subite d’un illuminé ultra-libéral, celui-ci a certainement bénéficié du « climat des idées » créé par les think tanks du réseau Atlas dans son pays. Selon le site d’investigation DeSmog, entre 2010 et 2021, le réseau Atlas a versé environ 12 millions de dollars à des partenaires en Amérique latine, principalement pour des projets d’« éducation économique » [20]. En Argentine, Atlas a une dizaine de partenaires dont la Fundación Libertad, la Fundación Federalismo y Libertad, la Fundación Atlas ou Libertad y Progreso, qui soutiennent Milei et son programme [21], et avec qui le nouveau président a des liens parfois étroits.
Son mentor, Alberto Benegas Lynch, est ainsi président du conseil académique de Libertad y Progreso et de la Fundacion Federalismo y Libertad et a aussi été membre du conseil d’administration de la société du Mont Pèlerin, membre du conseil consultatif de l’Institute of Economic Affairs (le think tank fondé par Antony Fisher) et chercheur associé au Cato Institute et au Ludwig von Mises Institute, tous deux également partenaire d’Atlas.
Milei lui-même a ainsi participé à des événements, conférences et entretiens avec plusieurs de ces think tanks, reçu le prix Liberty de la Fundacion Atlas en 2018 [22] et il affiche fièrement sur sa veste un pins de Students for Liberty [23]. Selon DeSmog, il a même directement siégé au conseil consultatif de la Fundación Libre [24]. Son élection a également permis à des membres du réseau d’entrer au gouvernement. Sa ministre des affaires étrangères, Diana Mondino, siège au conseil académique de la Fundación Atlas, mais aussi dans celui de Libertad y Progreso, dans lequel on retrouve Filgueira Lima, auteur du programme de Milei sur la santé. À côté de sa politique économique ultra-libérale, la politique de Milei s’annonce aussi comme autoritaire : dès son arrivée au pouvoir, il s’en est pris au droit de manifester.
Contre la nouvelle constitution au Chili
Ce mélange entre ultralibéralisme économique et autoritarisme se retrouve au Chili. Déjà, le dictateur Augusto Pinochet avait bénéficié des conseils de l’économiste James Buchanan, membre de la société du Mont Pèlerin, du conseil consultatif de l’IEA d’Antony Fisher, et associé au Cato Institute. Hernan Buchi, l’ancien ministre des Finances du dictateur, fondera ensuite Libertad y Desarollo, un think tank qui a reçu une subvention du réseau Atlas pour son travail autour des récents référendums sur un changement de constitution, en 2022 puis en 2023. Le premier projet présenté visait à instaurer un système politique plus démocratique, plus écologiste, plus protecteur des droits des femmes et des populations autochtones, et consacrait un certain nombre de droits sociaux (droit à la santé, à l’éducation, à la sécurité sociale). La douzaine de think tanks et autres associations membres du réseau Atlas au Chili se sont mobilisés contre ce texte, dénonçant le coût que représentent les services publics pour l’État, ainsi que les menaces pour la propriété privée [25]. Ils ont mené une campagne intense sur les réseaux sociaux [26] allant jusqu’à relayer des « fake news » parfois grossières. Le leader d’extrême droite José Antonio Kast, a par exemple répété que le nouveau texte autoriserait l’avortement jusqu’à neuf mois [27]. Kast a siégé au conseil d’administration de la Fundación Jaime Guzmán, qui a été membre d’Atlas. Cet homme politique anti-immigration, anti-avortement, défenseur du port d’armes a reçu le soutien d’Alejandro Chafuen, directeur du réseau Atlas de 1991 à 2018 [28]. Le projet de nouvelle constitution a finalement été rejeté.
Contre Dilma Rousseff, pour Bolsonaro
Au Brésil, des partenaires du réseau Atlas ont participé au mouvement qui demandait la destitution de Dilma Rousseff, sur les réseaux sociaux et dans la rue. Le movimiento Brasil Libre, qui a contribué à l’organisation des manifestations, est une émanation de Students for Liberty, le groupe dont Javier Milei affiche aujourd’hui le pin’s sur sa veste. « De nombreux membres du Mouvement pour un Brésil libre ont suivi le premier programme de formation du réseau Atlas, l’Atlas Leadership Academy, et appliquent aujourd’hui ce qu’ils ont appris sur le terrain, là où ils vivent et travaillent », s’est réjoui le réseau Atlas sur son site [29]. Le réseau apprécie davantage Jair Bolsonaro. Pour son directeur Brad Lips, « s’il est juste de prendre à partie le président Jair Bolsonaro pour les divers commentaires dérangeants et illibéraux qu’il a faits, il est également clair que les politiques économiques du Brésil ont évolué dans le sens d’une plus grande liberté sous son administration » [30] – une évolution qu’il attribue à un « consensus intellectuel » qui n’existerait peut-être pas sans l’Instituto de Estudos Empresariais, un partenaire d’Atlas créé en 1984.
Deux chercheurs ont dénombré pas moins de 14 membres du réseau Atlas qui ont rejoint l’administration Bolsonaro. Paulo Guedes, « gourou » économique du candidat placé à la tête d’un super ministère de l’Économie incluant le budget, la planification et l’industrie, est l’un des fondateurs de l’Instituto Millenium, membre du réseau Atlas. Geanluca Lorenzon, venu de Students for liberty Brazil [31] et passé par l’institut Ludwig Von Mises, s’est vu attribuer un secrétariat d’État au ministère de l’Économie (il est également passé par Mc Kinsey et Goldman Sachs [32]). Salim Mattar, fondateur de l’Instituto de Formação (membre du réseau Atlas), qui a reçu en 2023 le prix de Gardien de la Liberté de la part de l’Acton Institute, un autre think tank du réseau, a pris le poste de ministre de la Privatisation et du Désinvestissement (sic). Le très controversé ministre de l’éducation Ricardo Velez, ultraconservateur qui finira par être limogé après plusieurs polémiques [33], est quant à lui lié à l’Instituto Liberal, encore un partenaire du réseau Atlas. On peut aussi citer Paulo Uebel, ancien président de l’Instituto de Estudos Empresariais – crédité par Brad Lips, d’avoir oeuvré au « consensus intellectuel » ayant permis l’élection de Bolsonaro – qui a occupé plusieurs postes dans son gouvernement, dont celui de secrétaire spécial de la Débureaucratisation, de la Gestion et du Digital, avant de retrouver le monde des affaires.
Pour le Brexit
Au Royaume-Uni, le réseau Atlas n’a pas pris de position commune sur le Brexit, et certains de ses membres s’y sont même opposés. Mais la plupart, réunis au 55 Tufton Street à Londres, ont joué un rôle clé dans la sortie du pays de l’Union européenne. Matthew Elliot, fondateur de la Taxpayers Alliance, a été directeur général de VoteLeave. Le lanceur d’alerte Shahmir Sanni, ancien de la campagne VoteLeave, a dénoncé la collusion entre la TaxPayers Alliance et d’autres think tanks, dont plusieurs membres du réseau Atlas, pour amplifier leur impact médiatique et sur les réseaux sociaux [34].
L’éphémère Première Ministre britannique Liz Truss, contrainte à la démission après avoir présenté un budget trop radical même pour les conservateurs britanniques , est elle aussi très proche de l’IEA du réseau Atlas. L’IEA a multiplié les rencontres avec des parlementaires [35] et les interventions médiatiques en amont de sa désignation en 2022 [36]. Plusieurs personnalités de son équipe étaient issues de la galaxie Atlas : son conseiller économique Matthew Sinclair et son attaché de presse Alex Wild viennent tous deux de la TaxPayers Alliance, sa conseillère en matière de santé Caroline Elsom était chercheuse au Centre for Policy Studies, sa secrétaire politique Sophie Jarvis travaillait à l’Adam Smith Institute [37].
Contre l’avortement et pour Trump, ou en tout cas pour son projet politique
Si la vie politique américaine est façonnée par une myriade de fondations et milliardaires, les entités liées à Atlas sont très proches de la frange la plus extrémiste des Républicains. On peut par exemple penser au soutien apporté par Americans for Prosperity (membre d’Atlas) au mouvement du Tea Party. Ou au « Project 2025 », un programme présidentiel conçu par la Heritage Foundation, dont le Guardian dénonce les impacts terrifiants pour le climat et dont plusieurs rédacteurs sont issus de l’administration Trump [38]. Au sein de la galaxie Atlas, Donald Trump n’est pas forcément le candidat favori parmi les Républicains , mais le réseau préfère se ranger derrière lui et surtout derrière son programme politique. « La personnalité du président américain peut déplaire, son programme présente moins d’incertitudes que celui de son adversaire, Joe Biden », analysait ainsi en 2020 Jean-Claude Gruffat, le membre français du Conseil d’administration du réseau Atlas, et l’un de ceux qui a contribué à son développement dans l’Hexagone.
Cette alliance entre réactionnaires et libertariens économiques se retrouve sur d’autres sujets encore. Les cinq juges de la Cour Suprême qui ont voté la révocation du droit à l’avortement aux États-Unis viennent tous de la Federalist Society, un autre membre du réseau Atlas. Celle-ci est également classée comme un champion de l’inaction climatique par Greenpace USA [39], elle a joué un rôle dans l’affaiblissement de la réglementation sur le financement privé des campagnes électorales et s’est battue contre l’instauration d’un système d’assurance maladie universel sous la présidence de Barack Obama [40]. Enfin, en 2022, le Président de la Heritage Foundation, allé rencontrer le président hongrois Viktor Orban, a appelé à « un mouvement qui lutte pour la vérité, pour la tradition, pour les familles et pour l’individu moyen » [41]. Sa Fondation se bat aussi contre les législations environnementales, les hausses du salaire minimum, pour la privatisation des systèmes de sécurité sociale ou contre l’école publique.