L’histoire cachée d’une diplomatie qui n’a pas abouti, mais dont on peut tirer des leçons pour des négociations futures.
Aux premières heures du 24 février 2022, l’armée de l’Air russe frappait des cibles dans toute l’Ukraine. Dans le même temps, l’infanterie et les blindés de Moscou se déployaient dans le pays depuis le nord, l’est et le sud. Dans les jours qui ont suivi, les Russes tentaient d’encercler Kiev.
Il s’agissait des premiers jours et des premières semaines d’une invasion qui aurait très bien pu aboutir à la défaite de l’Ukraine et à sa subordination à la Russie. Rétrospectivement, il semble presque miraculeux qu’il n’en ait rien été.
On sait relativement bien ce qui s’est passé sur le champ de bataille. Ce qu’on sait moins, c’est l’intense diplomatie simultanée impliquant Moscou, Kiev et une foule d’autres acteurs, qui aurait pu aboutir à un règlement quelques semaines seulement après le début de la guerre.
A la fin du mois de mars 2022, une série de réunions physiques au Belarus et en Turquie, ainsi que des engagements virtuels par visioconférence, avaient débouché sur le communiqué d’Istanbul, qui décrivait le cadre pour un règlement. Les négociateurs ukrainiens et russes ont alors commencé à travailler sur le texte d’un traité, réalisant des progrès substantiels vers un accord. Mais en mai, les pourparlers ont été interrompus. La guerre a continué à faire rage et a depuis fait des dizaines de milliers de morts dans les deux camps.
Que s’est-il passé ? Les belligérants étaient-ils sur le point de mettre fin à la guerre ? Et pourquoi n’ont-ils jamais conclu d’accord ?
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Pour faire la lumière sur cet épisode souvent négligé mais pourtant capital de la guerre, nous nous sommes penchés sur les projets d’accords négociés entre les deux parties, et dont certains détails n’ont jamais été relatés jusqu’ici. Nous avons également mené des entretiens avec plusieurs des personnes ayant participé aux pourparlers ainsi qu’avec des responsables en poste à l’époque dans des gouvernements occidentaux clés, auxquels nous avons garanti l’anonymat afin de pouvoir aborder des sujets sensibles. En outre, nous avons passé au crible de nombreux entretiens et des déclarations datant de l’époque et plus récentes de responsables ukrainiens et russes qui étaient en poste au moment des pourparlers. La plupart de ces documents sont disponibles sur YouTube, mais ils ne sont pas en langue anglaise et sont donc peu connus en Occident. Finalement, nous avons repris la chronologie des événements depuis le début de l’invasion jusqu’à la fin du mois de mai, date à laquelle les pourparlers ont été interrompus. Une fois toutes ces pièces rassemblées, nos découvertes ont de quoi surprendre et pourraient avoir des répercussions importantes sur les futurs efforts diplomatiques visant à mettre un terme à la guerre.
Alors que Moscou se livrait à une agression sans précédent, les Russes et les Ukrainiens finalisaient quasiment un accord.
Certains observateurs et responsables (notamment le plus éminent, le président russe Vladimir Poutine) ont affirmé qu’il y avait un accord sur la table qui aurait mis fin à la guerre, mais que les Ukrainiens l’ont abandonné d’une part sous la pression de leurs protecteurs occidentaux mais aussi à cause des hypothèses emplies d’orgueil de Kiev voulant que la Russie soit faible sur le plan militaire. D’autres ont totalement balayé l’importance des pourparlers, affirmant que les deux parties se contentaient de faire semblant afin de gagner du temps pour réorganiser le champ de bataille ou encore que les projets d’accord manquaient de sérieux.
Bien que ces interprétations contiennent des parcelles de vérité, elles brouillent davantage les pistes qu’elles ne les éclairent. Aucune explication irréfutable, cette histoire résiste aux analyses faciles. En outre, ces récits de nature monocausale éludent complètement un fait qui, rétrospectivement, semble extraordinaire : alors que Moscou se livrait à une agression sans précédent, les Russes et les Ukrainiens finalisaient quasiment un accord qui aurait mis fin à la guerre et fourni à l’Ukraine des garanties de sécurité multilatérales, ouvrant la voie à sa neutralité permanente et, plus tard, à son adhésion à l’Union européenne.
Un accord final s’est toutefois avéré difficile à obtenir pour un certain nombre de raisons. Les partenaires occidentaux de Kiev étaient réticents à l’idée d’être entraînés dans une négociation avec la Russie, en particulier une négociation qui leur aurait imposé de nouveaux engagements pour garantir la sécurité de l’Ukraine. L’opinion publique ukrainienne s’est crispée avec la découverte des atrocités commises par les Russes à Irpin et à Boutcha. Et avec l’échec de l’encerclement de Kiev par la Russie, le président Volodymyr Zelensky a acquis la certitude qu’avec un soutien occidental adéquat, il pourrait gagner la guerre sur le champ de bataille. Enfin, même si la volonté des parties de résoudre des différends de longue date relatifs à l’architecture de sécurité offrait la perspective d’une solution durable au conflit et d’une stabilité régionale pérenne, elles ont visé trop haut, trop tôt. Elles ont tenté de parvenir à un règlement global alors même qu’un cessez-le-feu élémentaire s’avérait hors de portée.
Aujourd’hui, alors que les perspectives de négociations semblent sombres et que les relations entre les deux parties sont quasiment inexistantes, l’histoire des pourparlers du printemps 2022 peut sembler une simple diversion qui ne permet guère de tirer des conclusions directement transposables aux circonstances actuelles. Mais Poutine et Zelensky ont surpris tout le monde par leur volonté mutuelle d’envisager des concessions de grande envergure pour mettre fin à la guerre. Ils pourraient bien surprendre à nouveau tout le monde à l’avenir.
Assurance ou garantie ?
Quel était l’objectif des Russes en envahissant l’Ukraine ? Le 24 février 2022, Poutine a prononcé un discours dans lequel il a justifié l’invasion en mentionnant l’objectif vague de « dénazification » du pays. Ici, la meilleure définition du mot « dénazification » est que Poutine cherchait à renverser le gouvernement de Kiev, éventuellement en tuant ou en capturant Zelensky au cours du processus.
Et pourtant, quelques jours après le début de l’invasion, Moscou a commencé à explorer les voies d’un compromis. La guerre que Poutine prévoyait comme une promenade de santé s’est avérée tout autre, et cette volonté précoce de dialogue indique bien qu’il semblait avoir déjà abandonné l’idée d’un changement de régime pur et simple. Zelensky, comme il l’avait fait avant la guerre, a immédiatement manifesté son souhait pour une rencontre personnelle avec Poutine. Bien qu’il ait refusé de parler directement à Zelensky, Poutine a nommé une équipe de négociation. Le président biélorusse Alexandre Loukachenko a joué le rôle de médiateur.
Les pourparlers ont débuté le 28 février dans l’une des vastes résidences de campagne de Loukachenko, près du village de Liaskavichy, à une trentaine de kilomètres de la frontière entre la Biélorussie et l’Ukraine. La délégation ukrainienne était dirigée par Davyd Arakhamia, chef parlementaire du parti politique de Zelensky, et comprenait le ministre de la Défense Oleksii Reznikov, le conseiller présidentiel Mykhailo Podolyak et d’autres hauts fonctionnaires. La délégation russe était dirigée par Vladimir Medinsky, un conseiller principal du président russe qui avait précédemment occupé le poste de ministre de la Culture. Elle comprenait également notamment les vice-ministres de la Défense et des Affaires étrangères.
Lors de la première réunion, les Russes ont présenté une série de conditions draconiennes, exigeant de fait la capitulation de l’Ukraine. Cela ne pouvait mener à rien. Mais alors que la situation de Moscou sur le champ de bataille continuait de se dégrader, ses positions à la table des négociations ont perdu de leurs exigences. Les 3 et 7 mars, les parties ont donc organisé un deuxième et un troisième cycle de négociations, cette fois à Kamyanyuki, en Biélorussie, juste de l’autre côté de la frontière polonaise. La délégation ukrainienne a présenté ses propres exigences : un cessez-le-feu immédiat et la mise en place de corridors humanitaires permettant aux civils de quitter la zone de guerre en toute sécurité. C’est au cours du troisième cycle de négociations que les Russes et les Ukrainiens semblent avoir discuté pour la première fois de versions préliminaires. Selon Medinsky, il s’agissait de brouillons de versions russes, que la délégation de Medinsky avait apportés de Moscou et qui reflétaient probablement la détermination de Moscou à obtenir un statut de neutralité pour l’Ukraine.
À ce stade, les réunions physiques ont été interrompues pendant près de trois semaines, bien que les délégations aient continué à se rencontrer via Zoom. Au cours de ces échanges, les Ukrainiens ont commencé à se focaliser sur la question qui allait devenir centrale à leurs yeux pour mettre fin à la guerre : les garanties de sécurité qui obligeraient les autres États à se porter à la défense de l’Ukraine si la Russie attaquait à nouveau à l’avenir. On ne sait pas exactement quand Kiev a soulevé cette question pour la première fois dans ses discussions avec les Russes ou les pays occidentaux. Mais le 10 mars, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, qui se trouvait alors à Antalya, en Turquie, pour une réunion avec son homologue russe, Sergey Lavrov, a parlé d’une « solution cohérente et pérenne » pour l’Ukraine, ajoutant que les Ukrainiens étaient « prêts à discuter » des garanties qu’ils espéraient obtenir la part des États membres de l’OTAN et de la Russie.
Ce que Kuleba semblait avoir à l’esprit, c’était une garantie de sécurité multilatérale, un accord par lequel des puissances concurrentes s’engagent à assurer la sécurité d’un État tiers, généralement à la condition qu’il ne s’aligne sur aucun des garants. De tels accords sont tombés en désuétude après la Guerre froide. Alors que les alliances telles que l’OTAN visent à maintenir une défense collective contre un ennemi commun, les garanties de sécurité multilatérales sont conçues pour prévenir les conflits entre les garants au sujet de l’alignement de l’État garanti et, par extension, pour assurer la sécurité de cet État.
L’Ukraine avait fait l’amère expérience d’une version moins inflexible de ce type d’accord : une assurance de sécurité multilatérale, par opposition à une garantie. En 1994, elle a signé ce que l’on appelle le mémorandum de Budapest, adhérant au traité de non-prolifération nucléaire en tant qu’État non doté d’armes nucléaires et acceptant de renoncer à ce qui était alors le troisième plus grand arsenal du monde. En retour, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis ont promis de ne pas attaquer l’Ukraine. Cependant, contrairement à une idée fausse largement répandue, en cas d’agression contre l’Ukraine, l’accord se contentait d’obliger les signataires à convoquer une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, mais non à se porter à la défense du pays.
L’invasion à grande échelle de la Russie et la froide réalité qui était que l’Ukraine menait seule une guerre pour sa survie ont poussé Kiev à trouver un moyen de mettre fin à l’agression et s’assurer que cela ne se reproduirait plus jamais. Le 14 mars, alors que les deux délégations se rencontraient via Zoom, Zelensky a publié un message sur sa chaîne Telegram appelant à des « garanties de sécurité réelles et efficaces » qui ne soient pas « comme celles de Budapest ». Deux jours plus tard, lors d’un entretien avec des journalistes ukrainiens, son conseiller Podolyak a expliqué que ce que Kiev souhaitait, c’était des « garanties de sécurité optimales » qui exigeraient que « les signataires […] ne restent pas à l’écart en cas d’attaque contre l’Ukraine, comme c’est le cas aujourd’hui. Au contraire, ils [prendraient] une part active à la défense de l’Ukraine en cas de conflit. »
Les exigences de l’Ukraine de ne pas se retrouver de nouveau abandonnée à elle-même est tout à fait compréhensible. Kiev voulait (et veut toujours) disposer d’un mécanisme plus fiable que la seule bonne volonté de la Russie pour assurer sa sécurité future. Mais il serait difficile d’obtenir une garantie. Naftali Bennett était le Premier ministre israélien au moment des pourparlers et jouait un rôle actif de médiateur entre les deux parties. Dans un entretien avec le journaliste Hanoch Daum publié en ligne en février 2023, il rappelle qu’il a tenté de dissuader Zelensky de s’obstiner sur la question des garanties de sécurité. « Il y a une blague sur un type qui essaie de vendre le pont de Brooklyn à un passant, a expliqué Bennett. J’ai dit : L’Amérique vous donnerait des garanties ? Elle s’engagerait à envoyer des soldats dans plusieurs années si la Russie ne respectait pas quelque chose ? Après avoir quitté l’Afghanistan et tout le reste ? » J’ai ajouté : « Volodymyr, ce n’est pas comme ça que ça se passera. »
Pour être plus précis : si les États-Unis et leurs alliés n’étaient pas disposés à fournir à l’Ukraine de telles garanties (par exemple, sous la forme d’une adhésion à l’OTAN) avant la guerre, pourquoi le feraient-ils après que la Russie ait démontré de manière aussi éclatante sa volonté d’attaquer l’Ukraine ? Les négociateurs ukrainiens ont élaboré une réponse à cette question, mais finalement, sans convaincre leurs collègues occidentaux peu enclins à prendre des risques. La position de Kiev était que, comme l’impliquait le concept de garanties émergentes, la Russie serait également un garant, ce qui voulait dire que Moscou convenait que les autres garants seraient obligés d’intervenir si elle attaquait à nouveau. En d’autres termes, si Moscou acceptait de considérer que toute nouvelle agression contre l’Ukraine entraînerait une guerre entre la Russie et les États-Unis, elle ne serait pas davantage tentée d’attaquer à nouveau l’Ukraine que de s’en prendre à un allié de l’OTAN.
Une percée
Tout au long du mois de mars, de violents combats se sont poursuivis sur tous les fronts. Les Russes ont tenté de prendre Tchernihiv, Kharkiv et Sumy, mais leur échec a été cuisant, bien que les trois villes aient subi de très lourds dommages. Mi-mars, la poussée de l’armée russe vers Kiev a été bloquée et ses pertes ont été très lourdes. Les deux délégations poursuivaient leurs discussions par vidéoconférence, mais le 29 mars, elles se sont de nouveau rencontrées, cette fois à Istanbul, en Turquie.
À cette occasion, ils ont semblé avoir fait une percée. À l’issue de la réunion, les parties ont annoncé qu’elles s’étaient mises d’accord sur un communiqué commun. Les termes en ont été largement décrits lors des déclarations à la presse des deux parties à Istanbul. Mais nous avons obtenu une copie du texte intégral du projet de communiqué, intitulé « Principales dispositions pour un traité sur les garanties de sécurité de l’Ukraine ». Selon les participants que nous avons interrogés, les Ukrainiens avaient en très grande partie rédigé le communiqué et les Russes avaient temporairement accepté l’idée de l’utiliser comme trame pour un traité.
Selon le traité envisagé dans ce communiqué, l’Ukraine serait proclamée comme un État neutre et non nucléaire à tout jamais. L’Ukraine renoncerait à toute intention d’adhérer à des alliances militaires ou d’autoriser la présence de bases militaires ou de troupes étrangères sur son sol. Le communiqué cite comme garants possibles les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (dont la Russie) ainsi que le Canada, l’Allemagne, Israël, l’Italie, la Pologne et la Turquie.
Le communiqué précisait également que si l’Ukraine était attaquée et demandait de l’aide, tous les États garants seraient tenus, après consultation avec l’Ukraine et entre eux, de lui fournir une assistance pour rétablir sa sécurité. Il est frappant de noter que ces obligations étaient énoncées avec beaucoup plus de précision que l’article 5 de l’OTAN : imposer une zone d’exclusion aérienne, fournir des armes ou intervenir directement avec la propre force militaire de l’État garant.
Le communiqué d’Istanbul appelait les deux parties à chercher à résoudre pacifiquement leur différend au sujet de la Crimée au cours des 15 années à venir.
Dans le cadre proposé, même si l’Ukraine était déclarée définitivement neutre, la voie de l’adhésion de Kiev à l’Union européenne resterait ouverte, et les États garants (y compris la Russie) confirmeraient explicitement « leur intention de faciliter l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne ». Il s’agissait là d’une décision tout à fait extraordinaire : en 2013, Poutine avait exercé une très forte pression sur le président ukrainien Viktor Ianoukovitch pour qu’il renonce à un simple accord d’association avec l’UE. Et voilà qu’aujourd’hui, la Russie acceptait de « faciliter » la pleine adhésion de l’Ukraine à l’UE.
Alors que l’intérêt de l’Ukraine à obtenir ces garanties de sécurité est évident, on ne comprend pas très bien pourquoi la Russie accepterait tout cela. Quelques semaines auparavant, Poutine avait tenté de s’emparer de la capitale de l’Ukraine, de renverser son gouvernement et d’imposer un régime fantoche. Il semble absurde qu’il ait soudainement décidé d’accepter que l’Ukraine – qui, grâce aux agissements de Poutine, était désormais plus hostile à la Russie que jamais – devienne membre de l’UE et que son indépendance et sa sécurité soient garanties par les États-Unis (entre autres). Et pourtant, le communiqué laisse entendre que c’est exactement ce que Poutine était prêt à accepter.
Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses quant aux raisons de l’échec de la guerre éclair menée par Poutine. C’était quelque chose d’évident dès le début du mois de mars. Peut-être était-il désormais prêt à réduire ses pertes s’il obtenait ce qu’il demandait depuis longtemps : c’est à dire que l’Ukraine renonce à ses espoirs de rejoindre à l’OTAN et n’accueille jamais de forces de l’OTAN sur son territoire. S’il ne pouvait pas contrôler l’ensemble du pays, il pouvait au moins garantir ses intérêts sécuritaires les plus fondamentaux, arrêter l’hémorragie de l’économie russe et restaurer la réputation internationale du pays.
Le communiqué comprenait également une autre disposition qui, rétrospectivement, est stupéfiante : les deux parties devaient chercher à résoudre pacifiquement leur différend concernant la Crimée au cours des dix à quinze années à venir. Depuis que la Russie avait annexé la péninsule en 2014, Moscou n’avait jamais accepté de discuter de son statut, affirmant qu’il s’agissait d’une région de la Russie comme les autres. En proposant de négocier ce statut, le Kremlin admettait tacitement que ce n’était pas le cas.
Combattre et dialoguer
Dans les remarques qu’il a faites le 29 mars, immédiatement après la conclusion des pourparlers, Medinsky, le chef de la délégation russe, s’est montré résolument optimiste, expliquant que les discussions sur le traité relatif à la neutralité de l’Ukraine entraient dans la phase concrète et que, compte tenu de toutes les complexités dues au fait que le traité impliquait de nombreux garants potentiels, il était possible que, dans un avenir prévisible, Poutine et Zelensky le signent lors d’un sommet.
Le lendemain, il a déclaré aux journalistes : « Hier, la partie ukrainienne a, pour la première fois, fixé par écrit sa volonté de mettre en œuvre une série de conditions essentielles à l’établissement de futures relations normales et de bon voisinage avec la Russie. » Et de poursuivre : « Ils nous ont transmis par écrit les principes d’un éventuel arrangement à venir. »
Pendant ce temps, la Russie cessait ses efforts pour prendre Kiev et retirait ses forces de l’ensemble du front nord. Alexander Fomin, vice-ministre russe de la Défense, avait annoncé cette décision à Istanbul le 29 mars, la qualifiant d’effort pour « bâtir une confiance mutuelle ». En réalité, il s’agissait d’une retraite forcée. Les Russes avaient surestimé leurs capacités et sous-estimé la résistance ukrainienne. Ils transformaient dorénavant leur échec en une mesure diplomatique élégante destinée à faciliter les pourparlers de paix.
Même après que les rapports concernant Boutcha aient fait la une des journaux en avril 2022, les deux parties ont continué à travailler jour et nuit à la rédaction d’un traité.
Ce retrait a eu des conséquences considérables. Il renforçait la détermination de Zelensky, éliminant une menace immédiate contre son gouvernement, et démontrait que l’imposante machine militaire de Poutine pouvait être repoussée, voire vaincue, sur le champ de bataille. Elle permettait également à l’Occident d’apporter une aide militaire de grande envergure à l’Ukraine en rétablissant les axes de communication menant à Kiev. Pour finir, la retraite ouvrait la voie à la découverte macabre des atrocités commises par les forces russes dans les faubourgs de Kiev, à Bucha et Irpin, où elles ont violé, mutilé et assassiné des civils.
Les informations en provenance de Boutcha ont commencé à faire la une des journaux au début du mois d’avril. Le 4 avril, Zelensky s’est rendu dans la ville. Le lendemain, il s’est adressé au Conseil de sécurité de l’ONU par vidéo et a accusé la Russie d’avoir commis des crimes de guerre à Boutcha, comparant les forces russes au groupe terroriste État islamique (également connu sous le nom d’EI). Zelensky a demandé au Conseil de sécurité des Nations unies d’expulser la Russie, membre permanent de l’organisation.
Il est toutefois tout à fait singulier que les deux parties aient continué à travailler jour et nuit à un traité que Poutine et Zelensky étaient censés signer lors d’un sommet qui devait se tenir dans un avenir assez proche.
Les parties échangeaient régulièrement des versions préliminaires et, semble-t-il, commençaient à les partager avec d’autres parties. (Dans son interview de février 2023, Bennett a déclaré avoir vu 17 ou 18 avant-projets d’accord. Loukachenko a également déclaré en avoir vu au moins un). Nous avons examiné de près deux de ces projets, l’un daté du 12 avril et l’autre du 15 avril, dont les participants aux pourparlers nous ont dit qu’il s’agissait du dernier projet échangé entre les parties. Ils sont globalement similaires mais présentent des différences importantes, et tous deux montrent que le communiqué ne résolvait pas certaines questions problématiques.
Premièrement, alors que le communiqué et le projet du 12 avril indiquaient clairement que les États garants décideraient indépendamment de venir en aide à Kiev en cas d’attaque contre l’Ukraine, dans le projet du 15 avril, les Russes tentaient de contourner cet article crucial en insistant sur le fait que pareille intervention n’aurait lieu que « sur la base d’une décision approuvée par tous les États garants » – donnant ainsi un droit de veto à l’envahisseur probable, la Russie. Selon une annotation figurant sur le texte, les Ukrainiens ont rejeté cet amendement, insistant sur le maintien de la formule initiale, en vertu de laquelle les garants avaient individuellement l’obligation d’agir et pouvaient le faire sans avoir à parvenir à un consensus.
Extrait d’un projet de traité russo-ukrainien daté du 15 avril 2022. Le texte en rouge et italique représente les positions russes non acceptées par la partie ukrainienne. Le texte rouge en gras représente les positions ukrainiennes non acceptées par la partie russe.
Deuxièmement, les projets contiennent plusieurs articles qui ont été ajoutés au traité sur l’insistance de la Russie, mais qui ne faisaient pas partie du communiqué et portaient sur des questions que l’Ukraine refusait de discuter. Ces articles demandaient à l’Ukraine de proscrire « le fascisme, le nazisme, le néo-nazisme et le nationalisme offensif » et, à cette fin, d’abroger six lois ukrainiennes (en tout ou partie) qui traitaient, en gros, d’aspects litigieux de l’histoire de l’ère soviétique, en particulier du rôle des nationalistes ukrainiens pendant la Seconde Guerre mondiale.
Il est aisé de comprendre pourquoi l’Ukraine se refusait à laisser la Russie déterminer sa politique en matière de mémoire historique, tout particulièrement dans le contexte d’un traité sur ses garanties de sécurité. Les Russes savaient en outre que ces dispositions compliqueraient considérablement les négociations avec les Ukrainiens en vue de l’acceptation du reste du traité. Elles pourraient en effet être regardées comme une pilule empoisonnée.
Il est également possible, cependant, que ces dispositions aient été conçues pour permettre à Poutine de sauver la face. Par exemple, en forçant l’Ukraine à abroger des lois qui condamnaient le passé soviétique et qualifiaient de combattants de la liberté les nationalistes ukrainiens qui avaient combattu l’Armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale, le Kremlin pouvait affirmer qu’il avait atteint son objectif déclaré de « dénazification », même si dans son sens initial cette expression renvoyait sans doute au remplacement du gouvernement de Zelensky.
En fin de compte, il n’est pas certain que ces dispositions auraient conduit à une rupture de l’accord. Le principal négociateur ukrainien, Arakhamia, a par la suite minimisé leur importance. Comme il l’a déclaré lors d’une interview accordée en novembre 2023 lors d’un programme d’information de la télévision ukrainienne, la Russie avait « espéré jusqu’au dernier moment qu’elle [pourrait] nous contraindre à signer un tel accord, que nous [adopterions] la neutralité. C’était le plus important pour eux. Ils étaient prêts à mettre fin à la guerre si, comme la Finlande [pendant la Guerre froide], nous adoptions un statut de neutralité et nous engagions à ne pas rejoindre l’OTAN. »
Les discussions ont délibérément évité la question des frontières et des territoires.
La taille et la structure de l’armée ukrainienne ont également fait l’objet d’intenses négociations. Le 15 avril, les deux parties restaient très éloignées sur ce point. Les Ukrainiens voulaient une armée de temps de paix de 250 000 personnes. Les Russes insistaient sur un maximum de 85 000 personnes, ce qui était nettement inférieur à l’armée permanente dont disposait l’Ukraine avant l’invasion de 2022. Les Ukrainiens voulaient 800 chars, les Russes ne leur en autorisaient que 342. Enfin, la question de la portée des missiles se posait avec encore plus d’acuité : 280 kilomètres, soit environ 174 miles (la position ukrainienne), et 40 kilomètres seulement, soit environ 25 miles (la position russe).
Les discussions ont délibérément évité la question des frontières et des territoires. De toute évidence, l’idée était que Poutine et Zelensky décident de ces questions lors du sommet prévu. Il est facile d’imaginer que Poutine aurait insisté pour conserver tous les territoires que ses forces avaient déjà occupés. La question est de savoir si Zelensky aurait pu être convaincu d’accepter cet accaparement des terres.
Malgré ces désaccords importants, le projet du 15 avril laisse entendre que le traité serait signé dans les deux semaines. Certes, peut-être cette date aurait-elle pu être modifiée, mais elle montrait que les deux équipes avaient l’intention d’aller vite. « À la mi-avril 2022, nous étions très près de terminer la guerre et de conclure un accord de paix », a déclaré l’un des négociateurs ukrainiens, Oleksandr Chalyi, lors d’une apparition publique en décembre 2023. « Une semaine après le début de l’agression, Poutine était arrivé à la conclusion qu’il avait commis une terrible erreur et a essayé de faire tout ce qu’il pouvait pour conclure un accord avec l’Ukraine. »
Que s’est-il passé ?
Alors, pour quelle raison les négociations ont-elles capoté ? Poutine a affirmé que les puissances occidentales étaient intervenues et avaient fait échouer l’accord, en effet, l’intérêt de celles-ci était davantage d’affaiblir la Russie que de mettre fin à la guerre. Il a affirmé que Boris Johnson, alors Premier ministre britannique, avait transmis aux Ukrainiens, au nom du « monde anglo-saxon », un message clair, ils devaient « combattre la Russie jusqu’à la victoire et que la Russie subisse une défaite stratégique. »
La réaction occidentale à ces négociations, bien qu’éloignée de la caricature qu’en donne Poutine, a assurément été peu enthousiaste. Washington et ses alliés se sont montrés profondément sceptiques quant aux perspectives de la voie diplomatique émergeant d’Istanbul. Après tout, le communiqué éludait la question du territoire et des frontières, et les belligérants restaient très divisés au sujet d’autres questions cruciales. Pour eux, il ne s’agissait pas d’une négociation susceptible d’aboutir.
En outre, selon un ancien fonctionnaire américain qui était chargé à l’époque de la politique ukrainienne, les Ukrainiens n’ont consulté Washington qu’après la publication du communiqué, alors même que le traité envisagé créait de nouveaux engagements juridiques pour les États-Unis, y compris l’obligation d’entrer en guerre avec la Russie si elle envahissait à nouveau l’Ukraine. Cette seule mention aurait rendu le traité inapplicable pour Washington. Ainsi, au lieu de faire sien le communiqué d’Istanbul et le processus diplomatique qui s’en est suivi, l’Occident a intensifié son aide militaire à Kiev et accru sa pression sur la Russie, notamment par le biais d’un train de sanctions de plus en plus sévères.
C’est le Royaume-Uni qui a ouvert la voie. Dès le 30 mars, Boris Johnson semblait peu enclin à opter pour la diplomatie, déclarant au contraire : « Nous devrions continuer d’intensifier les sanctions dans le cadre d’ un programme modulable jusqu’à ce que toutes les troupes [de Poutine] aient quitté l’Ukraine. » Le 9 avril, il s’est rendu à Kiev, premier dirigeant étranger à s’y rendre après le retrait russe de la capitale. Il aurait déclaré à Zelensky qu’il pensait que « tout accord avec Poutine serait quelque peu déshonorant ». Tout accord, rapporte-t-il, « serait une victoire pour lui : si on lui donne quelque chose, il le gardera, le mettra en réserve et se préparera à son prochain assaut. » Dans son interview de 2023, Arakhamia a froissé quelques esprits en semblant tenir Johnson pour responsable de la tournure des évènements. « Lorsque nous sommes rentrés d’Istanbul, Boris Johnson est venu à Kiev et a dit que nous ne signerions rien du tout avec [les Russes] et que nous continuerions de nous battre. »
Depuis lors, Poutine a utilisé à plusieurs reprises les commentaires d’Arakhamia pour rendre l’Occident responsable de l’échec des négociations et démontrer la subordination de l’Ukraine à ses soutiens. Nonobstant la manipulation de Poutine, Arakhamia mettait le doigt sur un vrai problème : le communiqué décrivait un cadre multilatéral qui impliquait la détermination de l’Occident à s’engager diplomatiquement avec la Russie et à envisager une véritable garantie de sécurité pour l’Ukraine. Ni l’un ni l’autre n’était une priorité pour les États-Unis et leurs alliés à l’époque.
Poutine et Zelensky étaient prêts à envisager des compromis extraordinaires pour mettre fin à la guerre.
Dans leurs commentaires en public, les Américains n’ont jamais été aussi méprisants que Boris Johnson à l’égard de la diplomatie. Mais ils ne semblaient pas la considérer comme un élément central de leur réponse à l’invasion russe. Le secrétaire d’État Antony Blinken et le secrétaire à la Défense Lloyd Austin se sont rendus à Kiev deux semaines après Johnson, principalement pour coordonner un soutien militaire plus important. Comme l’a déclaré Blinken lors d’une conférence de presse ultérieure : « La stratégie que nous avons mise en place – soutien massif à l’Ukraine, pression massive sur la Russie, solidarité avec plus de 30 pays engagés dans ces efforts – donne des résultats concrets. »
Toutefois, l’affirmation selon laquelle l’Occident a forcé l’Ukraine à se retirer des pourparlers avec la Russie est sans fondement. Cela laisserait entendre que Kiev n’avait pas son mot à dire. Il est vrai que les offres de soutien de l’Occident ont dû renforcer la détermination de Zelensky, et le manque d’enthousiasme de l’Occident semble réellement avoir atténué son intérêt pour la diplomatie. En fin de compte, cependant, dans ses discussions avec les dirigeants occidentaux, Zelensky n’a pas donné la priorité à la poursuite de la diplomatie avec la Russie pour mettre fin à la guerre. Pas plus les États-Unis que leurs alliés n’ont perçu une forte demande de sa part pour qu’ils s’engagent sur la voie diplomatique. À l’époque, compte tenu de l’élan de sympathie de l’opinion publique occidentale, une telle demande aurait certes pu influer sur la politique de l’Occident.
Zelensky était également indigné par les atrocités commises par les Russes à Boutcha et à Irpin, c’est indiscutable et il a probablement compris que ce qu’il avait commencé à nommer « génocide » de la Russie en Ukraine rendrait la diplomatie avec Moscou encore plus délicate sur le plan politique. Pourtant, le travail en coulisses sur le projet de traité s’est poursuivi et même intensifié dans les jours et les semaines qui ont suivi la découverte des crimes de guerre de la Russie, ce qui laisse penser que les atrocités de Boutcha et d’Irpin ont été un élément secondaire dans la prise de décision de Kiev.
La confiance retrouvée des Ukrainiens en leur capacité à gagner la guerre a également joué un rôle évident. Le retrait des Russes de Kiev et d’autres grandes villes du nord-est ainsi que la perspective de recevoir davantage d’armes de l’Ouest (les routes menant à Kiev étant désormais sous contrôle ukrainien) ont modifié l’équilibre militaire. L’optimisme quant aux gains possibles sur le champ de bataille réduit souvent l’intérêt d’un belligérant à faire des compromis à la table des négociations.
Et en effet, à la fin du mois d’avril, l’Ukraine a durci sa position, exigeant un retrait russe du Donbas comme condition préalable à tout traité. Comme l’a déclaré Oleksii Danilov, président du Conseil ukrainien de sécurité nationale et de défense, le 2 mai : « Un traité avec la Russie est impossible : seule une capitulation est acceptable. »
Et puis il y a le côté russe de l’histoire, qui est difficile à évaluer. L’ensemble des négociations était-il une mascarade bien orchestrée, ou Moscou était-elle sérieusement intéressée par un règlement ? Poutine s’est-il dégonflé lorsqu’il a compris que l’Occident ne signerait pas les accords ou que la position ukrainienne s’était durcie ?
Même si la Russie et l’Ukraine avaient surmonté leurs désaccords, le cadre qu’elles ont négocié à Istanbul aurait nécessité l’adhésion des États-Unis et de leurs alliés. Ces puissances occidentales auraient dû alors prendre un risque politique en s’engageant dans des négociations avec la Russie et l’Ukraine, et mettre leur crédibilité en jeu en garantissant la sécurité de l’Ukraine. À l’époque, et au cours des deux années qui ont suivi, la volonté de se lancer dans une diplomatie à haut risque ou de réellement garantir la défense de l’Ukraine à l’avenir a fait cruellement défaut tant à Washington que dans les capitales européennes.
Une dernière raison de l’échec des pourparlers est que les négociateurs ont mis la charrue de l’ordre sécuritaire de l’après-guerre avant les bœufs de la fin de la guerre. Les deux parties ont ignoré les questions essentielles de gestion et d’atténuation des conflits (création de couloirs humanitaires, cessez-le-feu, retrait des troupes) et ont plutôt tenté d’élaborer quelque chose comme un traité de paix à long terme qui résoudrait les différends sécuritaires à l’origine des tensions géopolitiques sévissant depuis des dizaines d’années. Cette tentative était incroyablement ambitieuse, mais elle s’est avérée trop ambitieuse.
Pour être honnête, rappelons que la Russie, l’Ukraine et l’Occident s’étaient déjà essayé à la démarche inverse et avaient également lamentablement échoué. Les accords de Minsk signés en 2014 et 2015 à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie et de l’invasion du Donbas portaient sur des points de détail tels que la date et l’heure de la cessation des hostilités et les systèmes d’armes qui devaient être retirés et de quelle distance. Les préoccupations essentielles des deux parties en matière de sécurité n’avaient été abordées que de manière indirecte, voire pas du tout.
Ce récit des faits incite à penser que les futurs pourparlers devraient avancer sur des voies parallèles, les aspects pratiques de la fin de la guerre étant abordés sur une voie tandis que les questions plus générales seraient couvertes sur une autre.
Bien garder ça à l’esprit
Le 11 avril 2024, Loukachenko, l’intermédiaire de la première heure des pourparlers de paix russo-ukrainiens, a appelé à un retour au projet de traité du printemps 2022. « C’est une position raisonnable, a-t-il déclaré lors d’une conversation avec Poutine au Kremlin. C’était également une position acceptable pour l’Ukraine. Ils ont accepté cette position. »
Poutine a renchéri. « Bien sûr, ils étaient d’accord ».
En réalité, les Russes et les Ukrainiens ne sont jamais parvenus à un texte de compromis final. Mais ils sont allés plus loin dans cette direction qu’on ne l’avait cru jusqu’à présent, en parvenant à un cadre général pour un éventuel accord.
Après les deux années de carnage qui viennent de s’écouler, tout cela n’est peut-être que de l’eau qui a coulé sous les ponts. Mais cela nous rappelle que Poutine et Zelensky étaient prêts à envisager des compromis extraordinaires pour mettre fin à la guerre. Si Kiev et Moscou reviennent à la table des négociations, ils y trouveront des idées qui pourraient s’avérer utiles à la construction d’une paix durable.
Samuel Charap et Sergey Radchenko
Source : Foreign Affairs, Samuel Charap, Sergey Radchenko, 16-04-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises