La récente sortie de route, fin février, de Macron qui se voit désormais envoyer
) a surtout, jusqu’ici, ouvert une sacrée boîte de pandore.
À la base de toute cette agitation, la prise de conscience que la divine surprise de la résistance des Ukrainiens face à l’invasion russe touche à sa fin et un axiome idiot : « Si la Russie avance encore en Ukraine (notamment à Kharkov et Odessa), c’est la totalité de l’Europe, qui sera menacée. » Qu’en était-il alors de la sécurité de l’Europe lorsque le rideau de fer se situait plus de 1.500 kilomètres à l’ouest qu’aujourd’hui le « front russe » ? Hormis les Baltes et la Pologne, aveuglés par leur russophobie congénitale, la majorité des pays membres de l’UE (et les USA) restent quand même réticents aux provocations macroniennes et ont conscience des risques d’engrenage fatal qu’entraînerait une cobelligérance assumée avec l’Ukraine.
Les énergies guerrières des planqués de l’arrière se sont donc engouffrées dans la brèche ouverte par le chef suprême des armées de la République française. Le « baromètre LCI » (qu’est-ce d’autre, les émissions de Darius Rochebin ce n’est quand même pas une source d’information…) nous en donne une bonne mesure, ainsi que quelques débats sur France 5 (C ce soir et C politique). Extraits du bêtisier, sans commentaires, c’est tellement gros et grossier. On se demande parfois s’ils pensent vraiment ce qu’ils disent. Et on se croit revenu aux débilités déversées durant la guerre froide (l’autre, celle avec l’URSS), qui nous annonçaient sans rire l’arrivée des chars russes à Bruxelles et Paris.
Benjamin Haddad (député macroniste de Paris, chercheur en relations internationales) : « Il faut mettre fin à 20 ans de reculades occidentales devant la Russie (…) montrer à Poutine que nous sommes prêts ».
Elsa Vidal (cheffe de la rédaction russe de Radio France International) se réfère à « la politique de paix de l’Occident envers la Russie au cours des 30 dernières années ».
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France 5
(C ce soir, 28-02-2024)
Marie Mendras (professeure à l’Institut d’études politiques de Paris) : « Poutine représente une menace existentielle pour l’Europe ».
LCI
(Le 22 heures de Darius Rochebin, 08-03-2024)
Gallagher Fenwick (grand reporter) : « La Russie nous fait la guerre ».
Général Nicolas Richoux (ancien commandant de la 7ème brigade blindée) : après un extrait de la déclaration de F. Roussel (à sa sortie de la réunion des chefs de partis avec Macron), selon laquelle le président a indiqué que si Odessa et Kiev sont menacées, il faudra réagir avec des troupes, le sang du général ne fait qu’un tour (il devient de plus en plus ordurier dans ses interventions, lui qui, il y a encore un an, se montrait plus factuel et réaliste) : « Roussel est le digne héritier de monsieur Thorez qui a déserté en 1939, il n’y a pas de raison que le parti communiste soit différent de ce qu’il était à l’époque, il joue contre son camp ».
« Je préfère être mort que rouge »
Plus tard, le général, vraiment très remonté, ajoute : «
Je préfère être mort que rouge » ; «
aujourd’hui, on montre qu’on arrête de baisser la culotte quand Poutine parle un peu fort, maintenant, il est temps qu’on redevienne un petit peu carnivore (…) maintenant il faut y aller, enfin pas aller au combat, mais montrer notre détermination (…) quand on montre les gros bras, c’est la meilleure dissuasion ».
LCI
(Le 20 heures de Darius Rochebin, 09-03-2024, vers 20h.10)
Jan Emeryk Rościzewski (ambassadeur de Pologne en France), quelques phrases tirées de ses propos militaristes, russophobes et rétrospectivement antisoviétiques, et de son travestissement décontracté et volontiers hilare de l’histoire : « La doctrine de l’Armée Rouge prévoit que là où le soldat russe a mis le pied, ce territoire appartient à la Russie (…) dans certaines doctrines de l’armée russe, c’est écrit (…) à l’époque napoléonienne Paris était occupée par les Russes, en 1815 (…) dans la doctrine tout est absolument possible, j’exagère, mais je pense qu’il faut toujours garder ça dans la tête (…) les Russes ont cette tradition [ndjam : tradition de l’espionnage, de l’infiltration, des “petits hommes verts” pointés par Rochebin] depuis toujours, l’Okhrana, les polices secrètes soviétiques, le Komintern (…) ils ont une tradition de désinformation parce que ces gens-là, ils sont habitués de vivre dans une vie qui n’est pas réelle (…) ces gens-là essaient toujours de mentir (…) vous êtes en train de comprendre ce que veut dire la vraie Russie ». Et aussi sur la filiation de Jean-Paul II, son fameux « N’ayez pas peur ! » : « Il y a une certaine conséquence historique, comme vous voyez ».
Colonel Peer de Jong (ancien aide de camp de Mitterrand et Chirac, cofondateur de l’Institut Themiis), jusqu’alors assez raisonnable, maintenant résolument « pour l’envoi de troupes européennes au sol sur les rives occidentales du Dniepr, pour dissuader les Russes », « la vraie guerre, c’est la guerre de terrain ».
LCI
(Le 22 heures de Darius Rochebin, 09-03-2024)
Le pacifisme a une raison historique, celle de la guerre
Le général Richoux (encore lui) râle maintenant avec d’autres contre l’Allemagne gangrenée par le pacifisme et envahie d’espions russes : «
Le pacifisme a une raison historique, celle de la guerre, qui a été enseignée aux enfants et aux enfants de leurs enfants, de manière presque génétique, c’est la première fois qu’il y a un patrimoine génétique du pacifisme qui se transmet de génération en génération, c’est ça le vrai problème ». Et puis, cap sur «
le Vatican, autre lieu où il y a un pacifisme très actif », dixit Rochebin.
Débat sur l’appel du pape François à « avoir le courage de hisser un drapeau blanc et à négocier » pour mettre un terme à la guerre d’Ukraine « avant que les choses ne s’aggravent », « Négocier est un mot courageux. Quand vous voyez que vous êtes vaincu, que les choses ne marchent pas, ayez le courage de négocier ».
Le pacifisme, voilà donc l’ennemi désigné. Les participants préfèrent rappeler le « N’ayez pas peur ! » du bon pape Jean-Paul II, lancé « pendant l’occupation soviétique de la Pologne » dixit Samantha de Bendern (chercheuse associée à l’Institut royal des affaires internationales de Chatham House, ancienne officier politique de l’OTAN).
Richoux, en grande forme, pointe le pape « venu d’Amérique du Sud qui exprime une opinion antiaméricaine », « est-ce qu’il faut négocier avec le diable, dans la doctrine catholique, on combat le diable, on combat le malin, est-ce qu’il faut négocier avec les forces du mal, à un moment ça suffit », « Moi, je suis consterné, je suis catholique ». Le plateau se moquera encore, un peu plus tard de « la lâcheté de Scholz (…) il a peur ».
France 5
(C politique, 10-03-2024)
« si nous cédons en Ukraine, Poutine ne s’arrêtera pas »
Retour sur les thèmes mis en avant par Macron : la
« lâcheté » et la «
peur » de certains devant les Russes, la légitimité de «
ne plus se fixer de limites » face à un ennemi accusé de ne pas en avoir, lui. Multiplication des comparaisons improbables avec Munich en 1938, août 1914, 1916, l’hiver 1942, etc. Et comparaisons encore plus douteuses de Poutine avec Hitler. Le géopolitologue Dominique Moïsi pontifie sur le caractère «
exceptionnel » du régime poutinien qui peut être comparé à celui d’Hitler, «
par sa volonté absolue de soumettre les autres à ses diktats et le non-respect de la vie humaine ». Et «
si nous cédons en Ukraine, Poutine ne s’arrêtera pas » (…) «
la Russie est à nos portes ». Voilà ce que se permet d’affirmer le conseiller spécial de l’IFRI, qui a enseigné à l’université Harvard, au Collège d’Europe et au King’s College de Londres.
« les Russes ne parviennent même pas à envahir l’Ukraine et vous pensez qu’ils iront jusqu’à Londres »
Benjamin Haddad fustige «
nos 20 ans de lâcheté par rapport à Poutine » et prétend sans rire que «
nous avons proposé une architecture de sécurité en Europe ». Florian Louis (agrégé d’histoire et docteur de l’École des hautes études en sciences sociales) observe
« la continuation de l’impérialisme russe qui prolonge celui de l’URSS et du tsarisme) ». Tous ces « experts », historiens et géopolitologues reconnus se réfèrent à un monde irréel d’où les responsabilités de l’Occident ont été entièrement effacées. Seul Henri Guaino, ancien conseiller du président Sarkozy, met en cause cet esprit de
« croisade du bien contre le mal » et appelle à la lucidité ;
« les Russes ne parviennent même pas à envahir l’Ukraine et vous pensez qu’ils iront jusqu’à Londres » ; «
après 5 siècles, l’occidentalisation du monde est terminée (…) un nouveau monde multipolaire va se développer (…) il faut l’organiser ».
LCI
(Le 22 heures de Darius Rochebin, 10-03-2024)
Au bout de cette avalanche de « si », il est urgent de renforcer le front balte
Retour sur «
la lâcheté des Occidentaux pendant tant de décennies » fustigée à Prague par Macron. Rochebin explicite la pensée présidentielle qu’il transforme en narratif : «
on a laissé tomber les Polonais, les Tchèques, etc., spécialement les Baltes qui étaient occupés, du point de vue du droit international, les Baltes étaient vraiment occupés par l’Union soviétique, les Soviétiques disaient annexés, en fait ils étaient occupés », voilà pour le rappel historique. Et à titre d’exercice pratique, embrayons sur le scénario catastrophe estonien imaginé par Xavier Tytelman (ancien aviateur militaire, spécialiste aéronautique
Air et Cosmos) : «
les Russes aujourd’hui, s’ils arrêtaient leurs offensives, s’ils arrêtaient leurs pertes, s’ils recommençaient à développer une capacité de manœuvre avec des masses de manœuvre, s’ils les plaçaient en face de ces États baltes, s’ils arrivaient, comme ils l’ont fait en Crimée et comme ils vont le faire demain en Moldavie, à déstabiliser les 10-15 % de la population russophones sur place, qui vont dire “au secours, on est martyrisés, venez nous sauver”, et s’ils interviennent, effectivement il nous faudra quinze jours, un mois avant de se poser la question si on se mobilise ou pas, il faudra encore des semaines avant de réellement envoyer ces forces sur place, et effectivement, au bout d’un mois et demi, quand on est sur place, face aux Russes qui auraient déjà avancé peut-être jusqu’à rejoindre l’enclave de Kaliningrad, ils arrivent avec le nucléaire, et disent “si vous revenez, bombe atomique pour tout le monde”, il sera trop tard alors pour agir ». Et voilà pourquoi, au bout de cette avalanche de « si », il est urgent de renforcer le front balte. Mais comme disait ma grand-mère «
avec des si, on met Paris en bouteille ».
« je suis persuadée qu’il [Le pape François] est manipulé par les Russes»
Et puis, sous les bandeaux « Le pape François fait-il le jeu de Poutine ? » et « Le pacifisme est-il au service de Poutine ? », nouvelles salves sur l’« Argentin de gauche (…) en phase avec le Sud global ». Renaud Pila (éditorialiste politique LCI) nous confie : «
on n’est jamais déçu avec le pape François, moi, je préférais largement Jean-Paul II qui se battait avec Lech Wałęsa, Solidarność, lorsque la Pologne était occupée par l’Union soviétique ». Mais la palme revient, comme souvent, à Oxana Melnitchouk (politologue ukrainienne, plateforme de communication « Unis pour l’Ukraine ») : «
écoutez, moi je suis persuadée qu’il est manipulé par les Russes (…) je suis persuadée, je sais selon nos sources de renseignements, qu’il a une petite faiblesse pour une chanteuse d’opéra russe, il est fort possible qu’il est manipulé par les services secrets russes ». Rochebin et ses autres invités se marrent un brin mais cette « révélation » permet à Elsa Vidal (RFI) de rebondir sur les réseaux d’influence et «
ce qu’on appelait les hirondelles, les jeunes femmes qu’on jetait très facilement dans les bras ou sur le chemin d’hommes qu’on souhaitait pouvoir contrôler ». Même dans les bras d’un pape ?
Jean Moulin