Pendant un an et demi, la société civile bruxelloise s’est mobilisée –via des manifestations, des conférences, des cartes blanches…– contre le projet d’ordonnance Bxl numérique.
Cette mobilisation citoyenne inédite a permis de mettre en lumière l’importance du contact humain entre les services d’intérêt général et leurs usagers.
Ce mouvement a également poussé à politiser la question du numérique. La place du numérique dans la société et ses impacts sociaux, démocratiques et environnementaux font désormais l’objet d’un débat public dans la capitale.
Ces actions collectives ont également permis de faire évoluer favorablement certains aspects du projet d’ordonnance.
Le 12 janvier 2024, au moment où les députés étaient réunis en séance plénière pour examiner et voter le texte polémique, une nouvelle mobilisation de plusieurs centaines de personnes a eu lieu en face du parlement bruxellois. A cette occasion, quatre questions ont été posées et relayées au ministre Clerfayt et aux parlementaires de la majorité.
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Quelles analyses fait Lire et Ecrire Bruxelles des propos tenus et des votes effectués en commission et dans l’hémicycle régional ?
Des précisions importantes ont été apportées oralement. Mais celles-ci sont insuffisantes.
Des précisions importantes ont été apportées oralement tant en commission qu’en séance plénière du parlement. Mais celles-ci sont insuffisantes.
Le 13 décembre, en commission parlementaire, le ministre Clerfayt a expliqué : Le digital by default
« n’a jamais voulu dire que l’interaction entre les services publics et les citoyens devait choisir la voie numérique par défaut à la place de tout autre mode de communication ». Le compte-rendu officiel de la commission se poursuit ainsi : « Le ministre rejoint donc entièrement le secteur associatif avec le fait qu’il doit s’agir de ‘’l’humain par défaut’’ car il n’a jamais été question de supprimer le contact humain. Le ‘’digital by default’’ s’applique à la manière dont l’administration traite les dossiers des citoyens en back office (et non en front office), à la manière dont les capacités de traitement de données sont exploitées ». En plénière, Ecolo et PS ont insisté sur ce point : l’ordonnance établit « l’humain par défaut » comme règle.
Le 6 décembre, en commission parlementaire, le ministre Clerfayt précisait : « Le numérique (…) doit être considéré comme un canal additionnel venant compléter ceux existants. Pour cette raison, nous consacrons l’existence d’alternatives au numérique et nous obligerons donc les administrations à garantir ce droit. Elles devront maintenir et rétablir un accueil physique, un service téléphonique et un service postal ». Ce point a été rappelé en séance plénière quand il a été fait rapport de la commission. Et le ministre a répété : « On prévoit le maintien d’un guichet physique (un contact humain), d’un contact téléphonique (aussi avec un contact humain) et d’un contact postal ».
Oralement, le ministre a donc répondu par la positive à la première question posée par la société civile. Mais dès qu’il s’est agi de creuser cette question en entrant dans les détails de l’article 13, les propos de M. Clerfayt ont été beaucoup moins rassurants. MR, PS, PTB et Engagés ont relayé les autres questions formulées par les acteurs associatifs bruxellois.
Concernant le paragraphe 8 et la charge disproportionnée, M. Ghyssels a ainsi expliqué que pour le PS il était indispensable que « les guichets physiques, les téléphones et la voie postale ne soient pas balayés sur base de cette charge disproportionnée ». Mais sur ce point, le ministre a juste déclaré que le coût des services publics n’est pas une charge disproportionnée.
Concernant le risque de voir les guichets remplacés par d’autres alternatives hors-ligne, le ministre a expliqué : « Je ne peux pas garantir que certaines administrations ne vont pas réduire certains guichets mais on ne peut pas supprimer l’accès physique ». Suite à une relance de Mme De Smedt du PTB, il a tenu à indiquer : « il sera obligatoire de conserver au moins un accès guichet en quantité suffisante pour satisfaire la population qui vient ».
Enfin, le ministre n’a pas cherché à rassurer la société civile quant à la possibilité offerte aux administrations de sous-traiter leurs guichets.
Ecolo, par l’entremise de Mme Tahar l’a concédé : « Ce texte est perfectible. Les inquiétudes sont légitimes » Et pour un autre partenaire de majorité, le PS, « ce texte aurait pu être plus clair ».
Une nouvelle fois, aucun des amendements déposés n’a été approuvé par la majorité en séance plénière.
Pourtant, une nouvelle fois, aucun des amendements déposés n’a été approuvé par la majorité en séance plénière.
De Beukelaer (Les Engagés) : « Ce texte laisse encore trop de place aux interprétations. La majorité a de bonnes intentions mais alors pourquoi la majorité vote contre les amendements qui enlèvent l’ambiguïté du texte et font en sorte que le texte soit aligné sur ces intentions ? » Réponse lapidaire du PS : « L’accord de majorité en a décidé autrement ».
Quelles conclusions tirer des prises de position des politiciens et quelles suites donner au mouvement citoyen mobilisé sur ce dossier ?
Le bon sens aurait voulu que des analyses préalables soient réalisées sur les impacts sociaux, environnementaux et démocratiques du numérique.
L’ordonnance Bxl numérique pose de nombreux problèmes notamment à propos du droit à l’accompagnement numérique et du droit à l’égalité de traitement, quel que soit le canal utilisé par le citoyen (en termes de coûts et de délais). Aussi, l’ordonnance établit la collecte unique des données par les administrations, sans pour autant organiser/faciliter l’accès du citoyen à ses propres données. En outre, les questions des algorithmes utilisés par les services publics et de l’harmonisation des sites web existants ne sont même pas évoquées.
Concernant l’enjeu central auquel s’attache le secteur associatif, à savoir la garantie des guichets physiques, les propos du ministre et de parlementaires de la majorité sont rassurants à certains égards mais beaucoup moins sur d’autres. Il est donc très décevant que des amendements permettant de protéger les guichets physiques n’aient pas été adoptés. Le texte, voté majorité contre opposition, est insatisfaisant sur plusieurs points, en particulier son article 13, paragraphes 1, 2 et 8.
Le bon sens aurait voulu que des analyses préalables soient réalisées sur les impacts sociaux, environnementaux et démocratiques du numérique.
Le bon sens aurait voulu que soit rédigée une ordonnance centrée sur le principe de l’humain d’abord.
Le bon sens aurait voulu que soit rédigée une ordonnance centrée sur le principe de l’humain d’abord, garantissant clairement des guichets physiques et des services téléphoniques accessibles et de qualité dans les administrations, et proposant des alternatives numériques définies sur base d’analyses d’impact. Mais dans ce dossier la loyauté gouvernementale a triomphé du bon sens.
Était-il si difficile de garantir clairement les guichets physiques dans le texte de l’ordonnance ? A l’évidence, non ! Mais dans ce dossier l’acharnement d’un ministre a triomphé de l’évidence.
De Beukelaer l’a mentionné en séance plénière du parlement : « Légiférer en rupture avec l’associatif n’augure rien de bon ». Les centaines d’associations bruxelloises qui ont mené campagne contre cette ordonnance prendront le temps d’analyser collectivement les suites à donner à leur action. La possibilité d’introduire un recours devant la Cour constitutionnelle n’est pas à exclure.
La mobilisation citoyenne n’a pas été vaine.
La mobilisation citoyenne n’a pas été vaine. Les débats au parlement se sont focalisés sur les critiques du monde associatif, qui a obtenu plusieurs avancées significatives dans ce dossier. Le combat –pour l’accès aux droits et pour une ville humaine, accessibles à toutes et à tous– continue.
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