Besançon (France) (AFP) – « On fabrique, on vend, on se paie ! ». Il y a 50 ans, les employés de la manufacture des montres Lip prenaient les commandes de leur usine en faillite, dans un épisode d’autogestion post-mai 1968 totalement inédit.
Dans le quartier de Palente à Besançon, les bâtiments industriels sans âme restants ne portent plus aucune trace de ces années folles où s’affichait en grosses lettres « C’est possible ! ».
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Trésor de guerre
Mais le 12 juin, c’est le coup de colère quand les administrateurs provisoires annoncent la liquidation et le licenciement du millier d’employés. La suite prend une tournure rocambolesque: des administrateurs séquestrés, un trésor de guerre de montres caché autour de Besançon, une usine occupée par ses salariés, des ventes sauvages organisées dans toute la France, des sacs d’argent transportés en train jusqu’à une banque parisienne. Mais également des nuits de cogitation et quelque 200 assemblées générales.
La révolte des Lip résonne dans les oreilles post-soixante-huitardes en France et même à l’international. Le 29 septembre 1973, 100.000 personnes défilent à Besançon.
« Idée subversive »
Devenu « symbole même de l’autogestion », Lip « apparaît à certains des héritiers de Mai-68 comme un laboratoire, comme une brèche ouvrant sur cette autre société rêvée », développe l’historien.
Fondé en 1867 par Charles Lipmann, Lip, dans les années 1960, représentait l’excellence de l’horlogerie française et fabriquait 300.000 montres par an. Le dernier de la famille fondatrice, Fred Lip, sera chassé de l’entreprise en 1971. « À travers la France, la montre Lip était très connue, c’était la montre qu’on offre à la communion et à différents moments de la vie », insiste Roland Vittot, une montre du designer Roger Tallon toujours au poignet. Sa loupe d’horloger lui sert désormais à pallier une vue déclinante pour observer les photos d’époque.
Les ouvriers s’autogéreront jusqu’à un accord de réembauche au printemps 1974 sous la houlette de Claude Neuschwander. Deux ans plus tard, autre dépôt de bilan et nouvel épisode d’autogestion, faute de repreneur, avant la création d’une Scop en 1977, jusqu’au milieu des années 1980.
Après diverses aventures, la manufacture Lip de l’époque a disparu, mais la marque a remis un pied en 2015 à Besançon, où sont de nouveau assemblées les montres. Si elle a inspiré d’autres « conflits autogestionnaires » en France et à l’étranger les années suivantes, selon Frank Georgi, cette autogestion truculente n’aura pas sauvé Lip.
A-t-elle été un échec pour autant ? « Oui », répond sans ambages Charles Piaget, dont, un demi-siècle plus tard, la fibre syndicale est toujours aussi vive. « Mais quand même, c’est une idée qui a gêné, une idée subversive »
AFP, Agence France Presse