Les cris d’alarme se multiplient en matière de lutte contre la criminalité financière et la fraude fiscale. Il y a pourtant des avancées. Mais il manque trop de contrôleurs et surtout de policiers spécialisés.Un article du Vif du 17/02/2022 par Thierry Denoël (dont le numéro du VIF n’est plus en vente en kiosque) qui fait notamment référence au courrier du RJF envoyé aux principaux ministres. Pour rappel, ce courrier avait pour objet notre insatisfaction quant à la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale illégitime. |
Objet : Notre insatisfaction quant à la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale illégitime, contre les fraudes financières et quant à la communication et à l’information en ces matières.
Mesdames, Messieurs,
Le Réseau pour la Justice Fiscale, ses associations membres ainsi que les adhérents et membres de ces associations sont profondément insatisfaits des mesures en matière de lutte contre la fraude fiscale et contre l’évasion fiscale illégitime ainsi que de la communication et de l’information en la matière.
L’annexe au présent courrier détaille le contenu précis des cinq motifs d’insatisfaction.
Notre premier motif d’insatisfaction (développé au point 1 de l’annexe) trouve sa source dans le constat de la disproportion entre le traitement respectif de la fraude sociale et de la fraude fiscale : d’une part, un nombre important de mesures sont déployées et effectivement appliquées pour lutter contre la fraude sociale et contre le dumping social, ; d’autre part, un nombre limité de mesures sont prises pour lutter contre la fraude fiscale et contre l’évasion fiscale illégitime, certaines sont de simples prolongements de mesures existantes et d’autres peinent à s’appliquer, ceci alors que les pertes de recettes dues à la fraude fiscale et à l’évasion fiscale illégitime sont nettement plus significatives que celles dues à la fraude sociale et au dumping social.
Notre second motif d’insatisfaction porte sur le fait que la réalisation des mesuresen matière de lutte contre la fraude fiscale et d’amélioration du recouvrement des recettes fiscales du premier plan antifraude du Gouvernement laisse à désirer.Quelques exemples portant sur le Système de Caisse Enregistreuse, le Recouvrement des créances fiscales et le contrôle des déclarations de succession sont développésdans le point 2 de l’annexe.
Notre troisième motif d’insatisfaction tient dans l’absence de bilan et d’évaluation de l’exploitation administrative et judiciaire de différentes fuites de données, dont l’inventaire est précisé au point 3 de l’annexe, et à l’absence du second volet fiscal du plan antifraude, portant sur la fraude fiscale internationale et sur l’évasion fiscale internationale, un volet plusieurs fois annoncé et toujours invisible.
Notre quatrième motif d’insatisfaction concerne le personnel et les indemnités liées au Plan National de Sécurité.
Notre dernier motif d’insatisfaction concerne les Administrations fiscales (pouvoirs d’investigation spécialisés, impact de l’informatisation notamment sur la consistance du personnel (1) et rétablissement à partir de 2023 d’une indemnitéde vérification à l’AGFISC).
Le RESEAU POUR LA JUSTICE FISCALE (RJF) et ses associations membres souhaitent vous rencontrer ou des représentants de vos cabinets pour vous présenter nos constats et nos demandes en matière de lutte contre la fraude fiscale et contre l’évasion fiscale illégitime.
Veuillez agréer, Mesdames, Messieurs, l’assurance de notre considération distinguée.
Daniel PUISSANT
Secrétaire du RJF
Le RJF réunit les confédérations syndicales et une trentaine d’ONG, d’associations et de mouvements de Wallonie et de Bruxelles qui eux-mêmes regroupent plusieurs milliers de membres actifs et des millions d’adhérents. Le RJF sensibilise le public et interpelle les autorités politiques et les partis politiques sur la nécessité d’une fiscalité plus équitable au service d’un refinancement des biens et services collectifs.
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pour mettre un terme aux politiques actuelles et explorer ensemble les possibles.
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ANNEXE
1) Enjeux budgétaires et comparaison entre le nombre de mesures de lutte contre la fraude sociale et le dumping social et le nombre de mesures de lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale illégitime
Certes, nous avons quelques remarques quant à certaines des 69 mesures du Plan 2021 de Lutte contre la fraude sociale et contre le dumping social, mais précisons tout d’abord que cette insatisfaction n’existe pas à l’égard dudit Plan (distinct des mesures légales et règlementaires que le Gouvernement fera adopter dans le cadre des réformes qu’il souhaite en matière d’activation du marché du travail, en matière de pensions et en matière d’activation des malades de longue durée) décidé en février 2021 et établi sous l’égide politique des trois Ministres compétents des Affaires Sociales, M. Vandenbroucke, des Affaires Economiques et de l’Emploi, M.Dermagne,et des Classes Moyennes, des Indépendants, des PME et de l’Agriculture, M.Clarinval, sous la coordination du SIRS avec les Administrations sociales concernées, les diverses procédures de consultation des organisations professionnelles et syndicales ayant été satisfaites.
Le plan 2021 de Lutte contre la Fraude sociale et le dumping social, présenté par ailleurs au Collège de lutte contre la fraude fiscale et sociale, reprend 69 mesures, dont 39 qui sont la continuation de mesures existantes et 30 nouvelles, et inspire également plusieurs (8) des 29 mesures du plan de Lutte contre la Fraude fiscale et sociale, adopté par le Gouvernement en avril 2021 et partiellement rendu public en juillet 2021, dont certaines mesures de contrôle adoptées pour certains secteurs économiques tant en matière de contrôle social que de contrôle fiscal.
Le plan anti-fraude reprend également diverses mesures demandées par la CTIF, par la Justice pénale ou liées aux activités de l’Inspection Générale Économique, sur lesquelles nous ne nous attarderons pas.
Quand on inventorie et analyse les mesures prises en matière de lutte contre la fraude fiscale et contre l’évasion fiscale illégitime spécifiquement, outre les mesures prises en conséquence d’une décision ou d’une règlementation européenne ou inspirées du rapport du Conseil Supérieur des Finances, on identifie 9 mesures du Plan de lutte contre la Fraude fiscale et sociale proposées par les Administrations du SPF Finances, dont 6 par les Administrations des Douanes et Accises et de la Perception et du Recouvrement, et 3 par les Administrations de la Fiscalité et de l’Inspection Spéciale des Impôts (ISI) , ces deux dernières plus précisément en charge des contrôles dans les domaines des Impôts sur les Revenus et de la TVA, dans lesquels fraude fiscale et évasion fiscale illégitime sont importantes et sensibles.
La disproportion entre d’une part le nombre des mesures en matière de lutte contre la fraude sociale et contre le dumping social (69 + 8) provenant de la sphère administrative sociale, lesquelles sont mises en œuvre, et d’autre part le nombre de mesures en matière de lutte contre la fraude fiscale et contre l’évasion fiscale illégitime provenant de la sphère administrative fiscale (9), dont certaines sont des mesures en continuation et d’autres peinent à être mises en œuvre, nous interpelle quant à la volonté politique et administrative de concrétiser une réelle lutte contre la fraude fiscale et contre l’évasion fiscale illégitime, alorsque les pertes de recettes du fait de la fraude fiscale et de l’évasion fiscale illégitime sont nettement plus significatives que celles résultant de la fraude sociale et du dumping social.
Nous sommes également interpellés par l’absence de publication sur le site du SPF Finances du plan de Lutte contre la fraude fiscale et sociale, comme si l’on voulait tenir à distance de ce plan le SPF Finances et ses administrations.
Nous sommes également interpellés par la non-publication du contrat d’administration du SPF Finances pour les années 2022 et ultérieures, ainsi que par l’absence d’évaluations publiques du contrat d’administration 2019 à 2021 et des plans annuels d’administration pour les années 2019, 2020 et 2021 en ce qui concerne les activités de lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale illégitime des Administrations fiscales du SPF Finances.
2) La réalisation effective de certaines des mesures fiscales du plan antifraude laisse à désirer.
2-1. Le Système de Caisse Enregistreuse (SCE)
En ce qui concerne le Système de Caisse Enregistreuse (SCE), applicable actuellement au seul secteur de la restauration, le plan antifraude envisage sa modernisation en 2022 et sa généralisation par accords sectoriels à partir de 2023, ce dernier aspect relatif à la généralisation étant cependant absent de la communication officielle du Ministre des Finances, notamment sur son site personnel. Or, l’expérience de la Suède montre que la généralisation du SCE à l’ensemble des secteurs économiques de la vente à une clientèle finale est un outil stratégique pour la réduction du GAP TVA dû notamment à la non-déclaration du chiffre d’affaires réalisé (2).
2-2.Le recouvrement de créances fiscales
Le plan anti-fraude envisage, en matière de recouvrement, la consolidation des expériences de nudging (3) en matière de créances fiscales, sans plus de précisions. Or, l’on sait, de l’expérience de l’ATO, Administration fiscale australienne, qu’un plafond existe en la matière, d’environ 7000 dollars australiens pour les PME, au-delà duquel les outils comportementaux employés n’ont aucun effet. Les statistiques publiées par les rapports annuels du SPF Finances n’indiquent aucun élément descriptif et/ou chiffré quant à l’existence d’un plafond et quant à sa valeur dans le cas des créances IPP en Belgique, bien que l’on puisse intuitivement estimer son existence effective. La consolidation envisagée en matière de nudging recouvrement ne concernerait donc que des créances faibles ou éventuellement moyennes de particuliers soumis à l’IPP, les documents publiés n’indiquant aucune autre mesure envisagée pour accélérer le recouvrement de créances fiscales non contestées plus importantes ou dans d’autres impôts.
2-3. Le contrôle des déclarations de succession
Aucune mesure de renforcement du contrôle des déclarations de succession n’est proposée, bien que l’Administration fiscale fédérale via l’Administration Générale de la Documentation Patrimoniale assure toujours actuellement le service des impôts en matière de droits de succession pour les Régions Wallonne et Bruxelloise (4). Or, des constats de fraudes importantes en la matière existent (5) et, en conséquence de l’échange International d’informations, l’Administration fédérale dispose de données quant aux actifs immobiliers et/ou financiers, sans réserve de spécialité, exploitables dans les contrôles en matière de droits de succession, que ceux-ci soient conduits par une Administration fiscale régionale ou par l’Administration fiscale fédérale. On devrait s’assurer du stockage de ces données, de leur mise à disposition et de l’organisation de leurs échanges.
3) Fraude fiscale internationale et évasion fiscale internationale illégitime
Le second volet du plan antifraude, qui concerne la fraude fiscale internationale et l’évasion fiscale illégitime dans ses aspects internationaux, promis plusieurs fois, tarde à venir et il est difficile de savoir en quoi il consistera.
Ce second volet contiendra-t-il les mesures de traduction législative, en droit interne, du compromis sur l’impôt mondial des multinationales en application des recommandations OCDE et des directives européennes en projet ou cet aspect en sera-t-il exclu, cette dernière option nous paraissant la plus cohérente eu égard à la finalité fonctionnelle des plans anti-fraude ?
Quelles sont les suites données aux recommandations des deux rapports de la Cour des Comptes Belges sur le traitement des données obtenues grâce à l’échange automatique de données, rapports demandés par la Commission Panama Papers, le premier publié en décembre 2019 et portant sur les données non financières et le second publié en novembre 2020 portant sur les données financières ?
Une évaluation, d’une part, des déclarations d’initiative, par les contribuables personnes physiques, de revenus étrangers, non financiers et financiers, dont l’Administration est informée par l’échange automatique, et, d’autre part, des contrôles opérés pour les revenus étrangers, non financiers et financiers (absence de déclaration ou déclarations incomplètes), devrait être produite par catégorie de contribuables personnes physiques (salariés, pensionnés tous statuts, dirigeants d’entreprises, indépendants), aucune distinction n’étant opérée par les rapports de la Cour des Comptes qui mentionnent uniquement des résultats du Pilier P ou des résultats non ventilés.
Quelles évaluations ont été retirées des traitements administratif et judiciaire des différents LEAKS tels HSBC, UBS, Crédit Suisse, Banque et Caisse d’Epargne de l’Etat luxembourgeois (BCEE), DubaiPapers, Panama Papers, ParadisePapers, PandoraPapers (6) ?
Les questions suivantes nous paraissent importantes.
– Cas de la BCEEL
En ce qui concerne les informations fournies par l’Allemagne relatives à 45.000 clients belges de la BCEEL, pourquoi aucun dossier judiciaire à charge de la banque n’a-t-il été ouvert et pourquoi aucun dossier judiciaire à charge de certains clients n’a-t-il été ouvert, contrairement à ce qui s’est passé dans les 3 Länder allemands concernés, le nombre de résidents fiscaux allemands concernés étant similaire à celui des résidents belges concernés ? Pourquoi aucune indication du rendement budgétaire des contrôles fiscaux menés au départ de ces informations obtenues ne peut-elle être produite si ces contrôles ont eu lieu, alors qu’une telle information existe pour le traitement administratif d’autres LEAKS ?
– Cas d’UBS
En ce qui concerne les informations UBS fournies par l’Allemagne, pourquoi l’Administration fiscale belge s’est-elle abstenue d’interroger le fisc suisse contrairement aux Pays-Bas ou à la France, qui ont obtenu gain de cause dans toutes leurs demandes ? Pourquoi l’Administration fiscale belge maintient-elle une interprétation de la notion de fishing expédition (7) contraire au Commentaire OCDE en la matière, contraire en ce qui concerne la Suisse à la jurisprudence constante en la matière du Tribunal Fédéral Suisse, contraire à la jurisprudence de la CJUE (arrêt C-437/19 du 25/11/2021, validation des demandes anonymes et groupées sur base de la Directive 2011/16) ?
– Cas des Panama Papers
Pourquoi aucune instruction judiciaire centrale n’a-t-elle été ouverte dans le LEAK Panama Papers, retardant de 2 ans en août 2020 la communication par l’Allemagne des informations relatives à des résidents belges, achetées par le BKA en collaboration avec le Land de Hesse et le FBI aux USA, les Autorités policières allemandes ne pouvant communiquer en absence d’autorité judiciaire et ayant dû transférer les données à l’Administration fiscale fédérale allemande pour que celle-ci les communique (avec 2 ans de retard par rapport à d’autres Etats) à l’Administration fiscale belge ? Pourquoi aucune instruction judiciaire n’a-t-elle été ouverte à charge de certains résidents fiscaux belges apparaissant dans les Panama Papers ou dans les ParadisePapers, contrairement à ce qui fut et est le cas dans le dossier HSBC ou dans le dossier DubaiPapers et contrairement à ce qui fut le cas dans divers Etats pour les 2 leaks cités, Panama Papers et ParadisePapers ?
– Cas des PandoraPapers
Quelle est la démarche intégrée pénale et administrative qui est ou sera mise en place dans le traitement du LEAK PandoraPapers ?
– Cas des Cum Cum et Cum EX
Nous sommes également interpellés par les réactions du Ministre des Finances et de l’attaché de presse néerlandophone du SPF Finances aux révélations de différents organes de presse en ce qui concerne les impacts des fraudes Cum Cum (8) et Cum Ex (9), la nouvelle étude en la matière développée sous la direction d’un Professeur d’économie de l’Université de Mannheim, maitre de recherches à l’Université d’Oxford et expert officiel auprès de la Direction Taxud de la Commission Européenne, auprès de l’OCDE et auprès du Parlement Européen pour les questions d’imposition des sociétés notamment. Cette étude chiffre la perte budgétaire de la Belgique à 7,5 Milliards d’euros en 20 ans, soit une moyenne annuelle de 375 millions d’euros. L’étude est publique et disponible en allemand et en anglais sur le site internet de l’Université de Mannheim, également sur le site internet du Consortium de journaux ayant développé l’enquête. Interrogé lors de la publication des articles, l’attaché de presse néerlandophone du SPF Finances laisse entendre que toutes les opérations en cause, notamment les opérations de bond stripping (10) transfrontalières, ne seraient pas de la fraude (mais ne seraient-elles pas de l’évasion fiscale illégitime ?). Interrogé à la Chambre, le Ministre des Finances indique que son Département ne dispose pas de la nouvelle étude en la matière et qu’il ne peut donc la commenter. Une telle étude mettant en avant une perte budgétaire annuelle de 375 millions d’euros mérite-t-elle aussi peu de considération ou faudrait-il renvoyer à la lecture de l’exposé des motifs et du texte légal de la réforme de l’impôt des sociétés de 1989, par laquelle l’avantage fiscal d’une opération de bond stripping au profit d’un résident fiscal belge soumis à l’Impôt des Sociétés fut annulé et ne le fut pas pour les opérations transfrontalières au profit d’un non-résident, hors application de dispositions anti-abus éventuelles ?
4) Moyens mis en œuvre dans la lutte contre la fraude fiscaleau travers du Plan National de Sécurité
Si le Réseau pour la Justice Fiscale et ses associations membres enregistrent avec satisfaction que la lutte contre la fraude fiscale sera une priorité du Plan National de Sécurité (PNS) 2021 à 2024, par ailleurs, au même titre que le Collège des Procureurs Généraux, le Procureur Fédéral, la direction de la Police Fédérale, certains directeurs de Services Judiciaires d’arrondissement, les organisations syndicales de policiers, nous constatons que, malgré les 1800 recrutements en 2021 pour la Police Fédérale (essentiellement les zones de police locale), les Services Judiciaires d’Arrondissement et les Offices centraux spécialisés, en première ligne dans la lutte contre diverses criminalités graves considérées comme des priorités du PNS, notamment la lutte contre la fraude fiscale, resteront en sous-effectif important dans le futur, notamment du fait qu’à compter de juillet 2021, une indemnité mensuelle d’intervention de 230 euros leur a été supprimée selon les déclarations de divers syndicats, le Ministre de la Justice constatant lui-même l’insuffisance des candidatures pour la Police Judiciaire et le caractère peu attractif de leur statut financier.
Il est donc essentiel à nos yeux que le statut pécuniaire des agents des SJA et des Offices Centraux soit rétabli puis amélioré et qu’au-delà des recrutements prévus pour la Police Fédérale dans la déclaration gouvernementale, un recrutement supplémentaire soit envisagé au profit de la Police Judiciaire.
5) Un triple chantier à ouvrir pour ce qui concerne les Administrations fiscales
Enfin, nous souhaitons que dans le cadre du plan de lutte contre la fraude fiscale et contre l’évasion fiscale illégitime, un triple nouveau chantier soit ouvert.
5-1. Des délais d’investigation et des pouvoirs d’investigation spécialisés à renforcer pour ce qui concerne les Administrations fiscales, hors les aspects liés à la collaboration avec des équipes d’enquêtes multidisciplinaires (Motem)
Nous constatons que depuis 15 ans, les pouvoirs d’investigation spécialisés de diverses Administrations fiscales d’Etats membres de l’Union Européenne ont été renforcés pour appréhender des situations de fraude fiscale grave et d’évasion fiscale illégitime, la Belgique nous paraissant à la traîne en ces matières.
Egalement, la consistance en personnel du Pilier Enquêtes et Recherches de l’Administration des Douanes et Accises devrait être évaluée quant à ses missions et leurs évolutions.
Il nous parait également nécessaire d’ouvrir une réflexion sur la mise en place d’un service administratif disposant des pouvoirs de perquisition et d’audition dans les formes judiciaires, tel le FIOD aux Pays-Bas.
5-2. Informatisation et examen des effectifs, qualifications et compétences
Le SPF Finances fait beaucoup d’efforts et développe beaucoup de projets en matière d’informatisation, comme le montre la lecture des Contrats d’administration et des plans annuels d’administration, cette informatisation étant censéecompenser les diminutions du personnel. Nous estimons qu’il est nécessaire d’entamer un examen sur le renforcement de la consistance (1) en personnel tant de la fonction contrôle que de la fonction gestion, les développements informatiques n’autorisant pas de réelle compensation des diminutionspassées et futures du personnel et les diminutions de personnel, notamment à l’Administration Générale de la Fiscalité, ayant dépassé depuis plusieurs années les réductions attendues du personnel telles qu’elles ressortaient des programmations des travaux de Coperfin en conséquence des développements de l’informatisation. Depuis plusieurs années, malgré les acquis de l’informatisation, parfois précaires ou discutables, les diminutions de personnel atteignent la consistance et la qualité des fonctions de gestion de l’impôt et de contrôle de l’impôt, affaiblissant en conséquence les recettes fiscales spontanées comme celles résultant des activités de gestion et de contrôle. Une interrogation similaire peut se poser ence qui concerne le télétravail, devenu généralisé y compris aux activités de gestion et de contrôle et dont l’exécution est construite sur les systèmes de traitement intégré informatisés.
Notre souhait est qu’une évaluation externe indépendantesoit réalisée, par exemple par la Cour des Comptes.
Cette évaluation devrait porter sur les aspects suivants.
– Quel est l’impact de l’évolution du personnel Douanes et Accises entre 2015 et 2021 sur les activités de contrôle des 1re et seconde ligne DA, notamment à Anvers ?
– Quel est l’impact de l’évolution du personnel de l’AGFISC entre 2015 et 2021, par pilier, sur les activités des teams gestion et des teams contrôle pour les Piliers P, PME et GE et par impôt.
– La mise en œuvre de la mesure annoncée en septembre 2017 d’affecter aux activités de contrôle les supposées réserves de productivité qui existeraient dans les teams de contentieux a-t-elle eu lieu et quelles ont été ses effets ?
– Quel est l’impact de l’informatisation déclarativeen IPP, en ISOC, en TVA, en Précompte professionnel et en Précompte Mobilier sur les recettes spontanées sans enrôlement (TVA et Précomptes) ou résultant des enrôlements déclaratifs (hors activités de vérification des déclarations en IPP et en ISoc) ?
– Quel est l’impact de l’informatisation (hors l’informatisation déclarative) sur les activités de gestion et de contrôle de chacun des 3 Piliers P, PME et GE de l’AGFISC et sur la consistance du personnel de ces activités de gestion et de contrôle, par Pilier ?
– Quel est l’impact de l’informatisation, par ailleurs différenciée, des procédures de contrôle en matière d’IPP, d’ISoc, de TVA, de Précompte Professionnel et de Précompte Mobilier, notamment sur le nombre des contrôles dans les divers Impôts et Précomptes, notamment les contrôles des restitutions TVA et des restitutions de Précompte Mobilier ?
– Tenant compte de la qualité et de la consistance de l’informatisation, quel est l’impact du télétravail sur les activités de gestion, de contrôle et de contentieux des trois Piliers P, PME et GE de l’AGFISC, par Pilier, avant COVID et durant COVID ?
5.3. Maintien de la prime mensuelle octroyée aux agents de l’AGFISC effectuant des vérifications sur place et dont la suppression est programmée pour 2023
La suppression de cette prime aura pour effet de diminuer encore l’attractivité des emplois dans ces fonctions essentielles.
Notes
(1) Consistance = Notion recouvrant le volume, les qualifications et les compétences du personnel.
(2) Selon la dernière évaluation du GAP TVA établie pour l’année 2019 et publiée par la DG TAXUD de la Commission Européenne en 2021, le GAP TVA annuel de la Belgique est passé de 3,549 milliards d’euros en 2009 à 4,444 Milliards d’euros en 2019, soit une progression de 895 millions d’euros en 10 ans. Ce gap TVA représente une perte de 12,3% des recettes annuelles de TVA due à la fraude fiscale et à l’évasion fiscale illégitime (notamment la non déclaration du chiffre d’affaires réalisé, laquelle ne concerne pas que le seul secteur de la restauration et impacte également la base imposable en matière d’impôts sur les revenus) ;ou aux erreurs des assujettis ou de l’Administration ou aux créances TVA non recouvrées.
Si l’on observe l’évolution du GAP TVA dans les divers pays de l’Union Européenne depuis 2015, Royaume Uni inclus, la Belgique figure parmi les mauvais élèves, son GAP TVA étant quasi stable en pourcentage des recettes TVA alors qu’il est en diminution, parfois significative, dans 24 pays de l’Union Européenne, dont le Luxembourg (-8,2%) ou les Pays-Bas (-5,7%), suite aux mesures de contrôle ou d’obligations comptables et déclaratives prises.
Rappelons que, contrairement à certains Etats européens, le GAP TVA de la Belgique ne trouve plus sa source dans les carrousels TVA, ce phénomène de fraude ayant été fortement entravé et réduit quant a son impact budgétaire depuis la première décennie des années 2000.
Par contre, comme on peut le constater notamment à la lecture des rapports du CTIF, des phénomènes de fausses facturations se sont amplifiés, soit dans certains secteurs économiques, soit pour des motifs de blanchiment.
(3) Nudging = techniques de suggestion indirecte pouvant, sans forcer, influencer les motivations et inviter à la prise de décision.
(4)Depuis 2015, la Région Flamande assure le service complet des droits de succession, donc le contrôle des déclarations déposées.
(5) En matière de droits de succession, le montant annuel (quelques centaines de milliers d’euros) des omissions constatées d’actifs financiers dans les déclarations de succession (source, rapport annuel de l’année 2020, publié en 2021, Tableau 2.4.2, chiffres depuis 2015) est relativement faible par rapport aux montants des capitaux (plusieurs centaines de millions d’euros) bénéficiant du régime de la DLU quater pour omission déclarative en matière de droits de succession (source, rapports annuels du Service des Décisions Anticipées, chapitre DLU, tableaux statistiques), lequel est lui-même relativement faible par rapport aux omissions d’actifs (4,5 milliards d’euros) citées en 2021 dans 4 dossiers judiciaires de fraude en matière de droits de succession.
(6) Leak HSBC : communication de données par la DGI France traitées administrativement et instruction judiciaire pénale au Parquet de Bruxelles avec conclusion d’une transaction pénale.
Leak UBS : communication de données par l’Allemagne, traitées administrativement sans demande d’informations à la Suisse (contrairement aux Pays-Bas ou à la France, par exemple) et instruction judiciaire pénale au Parquet de Bruxelles avec conclusion d’une transaction pénale.
Leak Crédit Suisse : via la Douane judiciaire française et Parquet Financier France, communication au Parquet Fédéral de Belgique puis à l’Administration fiscale des données Crédit Suisse relatives à des résidents fiscaux belges obtenues dans le cadre de l’opération coordonnée en 2017 par Eurojust et le FIOD néerlandais avec les services à compétence de prosécution de diverses Administrations fiscales, à l’exclusion de l’Administration fiscale belge qui ne dispose pas de telles compétences.
Leak BCEEL : des données relatives à 45.000 clients belges communiquées par l’Allemagne qui les avait achetées. Aucun traitement pénal. Réalité d’un traitement administratif fiscal non établie. Dans les 2 cas, traitement pénal de la banque avec conclusion d’une transaction et de plusieurs dizaines de clients allemands en Allemagne et traitement fiscal de milliers d’autres.
(7) Fishing expédition = recherche non spécifique d’informations dans le cadre de procédures d’une enquête administrative ou pénale.
(8) Cum Cum = Revente avant l’échéance du dividende par un contribuable, pour lequel le précompte mobilier sur dividendes est un impôt définitif, de ses actions ou des coupons dividendes à un contribuable pour lequel le précompte mobilier n’est pas un impôt définitif ou à un contribuable (non résident) qui peut récupérer une partie du précompte mobilier sur les dividendes en application notamment des réductions conventionnelles. L’opération n’a pas d’autre but que fiscal. Vendeur et acheteur se partagent le remboursement de précompte mobilier qu’obtient l’acheteur vu son statut fiscal. Des intermédiaires mettant en relation vendeurs et acheteurs sont commissionnés.
(9) Cum Ex = Des institutions financières de divers Etats réclament le remboursement du précompte mobilier sur les dividendes des mêmes actions échangées via les systèmes de trading à haute fréquence, chacune des institutions financières se déclarant bénéficiaire des dividendes et obtenant ainsi le remboursement du précompte mobilier. Les montants du précompte mobilier sont donc remboursés plusieurs fois. Le mécanisme a été mis au point par un ancien fonctionnaire de l’Administration fiscale allemande devenu avocat fiscaliste pour le secteur financier. Le mécanisme est construit sur les spécificités techniques et technologiques du trading d’actions et sur les défauts et incomplétudes des mécanismes de contrôle des demandes de restitution dans le chef des Administrations fiscales.
(10) Bond Stripping = Démembrement d’une action entre le titre représentant le capital (auquel est lié le droit de vote) et le coupon (auquel est lié le dividende).
Courrier envoyé à :
-M. Van Peteghem, Vice-Premier Ministre et Ministre des Finances, en charge de la coordination de la lutte contre la fraude, Président du Comite Ministériel de Lutte contre la Fraude fiscale et sociale,
-M. Dermagne, Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires Economiques et de l’Emploi, Vice-Président du Comité Ministériel de Lutte contre la Fraude fiscale et sociale,
– M. Van Quickenborne, Vice-Premier Ministre et Ministre de la Justice et de la Mer du Nord, membre du Comité Ministériel de Lutte contre la Fraude fiscale et sociale.
Copie à l’attention de :
-M. De Croo, Premier Ministre, membre du Comité Ministériel de Lutte contre la fraude fiscale et sociale,
– M. Vandenbroucke, Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires Sociales et de la Santé Publique, membre du Comité Ministériel de Lutte contre la fraude fiscale et sociale,
-Mme Sophie Wilmès, Vice-Première Ministre et Ministre des Affaires Etrangères, des Affaires Européennes, du Commerce Extérieur et des Institutions culturelles fédérales, membre du Comité Ministériel de Lutte contre la fraude fiscale et sociale,
– Mme Petra de Sutter, Vice-Première Ministre et Ministre de la Fonction Publique, des Entreprises publiques, des Télécommunications et de la Poste, membre du Comité de Lutte contre la fraude fiscale et sociale,
– M.Gilkinet, Vice-Premier Ministre et Ministre de la Mobilité, membre du Comité de Lutte contre la fraude fiscale et sociale,
– Mme Verlinden, Ministre de l’Intérieur et des Reformes Institutionnelles et du Renouveau Démocratique, membre du Comité Ministériel de Lutte contre la fraude fiscale et sociale,
– M.Clarinval, Ministre des Classes Moyennes, des Indépendants, des PME, de l’Agriculture, des Réformes Institutionnelles et du Renouveau Démocratique, membre du Comité Ministériel de Lutte contre la fraude fiscale et sociale.