CABLEGATE : LA REVANCHE DES ÉTATS-UNIS – JULIAN ASSANGE

JULIAN ASSANGE, UNE VIE
Épisode 20

Petit rappel sur le point de vue de Julian Assange sur le journalisme, et la position des États-Unis sur la liberté de la presse.

Pour Julian, la démocratie et l’accès à l’information sont indissociables :

Vous êtes ce que vous savez, et aucun État n’a le droit de vous “réduire” en vous privant d’informations. De nombreux États modernes oublient qu’ils ont été fondés sur les principes des Lumières, que le savoir est un garant de la liberté et de la démocratie. (…) veiller à ce que le pouvoir ne contrôle jamais absolument les informations n’est rien d’autre que de veiller à la démocratie. C’était autrefois le premier principe du journalisme dans tous les pays où la presse est libre.

Or la liberté d’expression, qui comporte la liberté de la presse, c’est le fondement de la constitution américaine, et l’objet de son fameux Premier Amendement :

Le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparation des torts subis.
Les États-Unis aiment à rappeler que « le premier amendement est ce qui distingue notre République de tous les autres pays du monde ». Alors… Comment les États-Unis vont-ils réagir à la publication du Cablegate ?

Ils vont criminaliser la personne de Julian Assange. Après le « sang sur les mains » (Épisode 16 de WANTED), de nouveaux éléments de langage apparaissent : Julian est désormais celui qui « met en danger la sécurité de l’État ». Il est devenu un… « terroriste ». Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, dira : « Cette divulgation n’est pas seulement une attaque contre la politique étrangère américaine ; c’est une attaque contre la communauté internationale, les alliances et les partenariats, les conventions et les négociations qui sauvegardent la sécurité mondiale et font progresser la prospérité économique ». Joe Biden, franchira un pas de plus et qualifiera Julian de « terroriste high-tech ». Des appels à son assassinat extrajudiciaire seront proférés. Nous nous souvenons de la phrase : « Can’t we drone this guy ? » prononcée par Hillary Clinton. Ce discours sera appuyé par nombre de gouvernements étrangers. Dès le 29 novembre, par exemple, le porte-parole du gouvernement français François Baroin, ancien journaliste, déclare que si un site similaire à Wikileaks apparaissait en France, il faudrait être « intraitable » et le poursuivre.

Sur le terrain il s’agit de faire en sorte que « WikiLeaks soit mis hors d’état de nuire le plus rapidement possible ». La guerre s’ouvre sur plusieurs fronts :

  • ATTAQUE DNS : le 28 novembre, une attaque informatique phénoménale surcharge le site de Wikileaks. Les débits de 10 gigabit par seconde signent son origine étatique.
  • SUPPRESSION DU NOM DE DOMAINE WIKILEAKS : le 23 décembre, à l’appel du sénateur américain Joe Lieberman, les prestataires de WikiLeaks (son hébergeur Amazon le 1/12 et son fournisseur de nom de domaine evryDNS le 2/12) mettent fin à leur relation avec l’organisation. WikiLeaks rebondit le jour même, se constitue un nouveau nom de domaine en Suisse (wikileaks.ch) et s’adjoint les services d’Octopuce, une petite entreprise d’hébergement basée à Paris, dirigée par Benjamen Sonntag, le co-fondateur de la Quadrature du Net… WikiLeaks se maintient grâce à des sites miroirs et à la solidarité de milliers d’internautes.
  • SUPPRESSION DES SERVICES DE PAIEMENT EN LIGNE : Paypal, Visa et Mastercard rompent unilatéralement les liens avec WikiLeaks, compromettant la survie de l’organisation. Pourtant, même le Trésor américain, compétent en matière de blocage financier, déclare qu’il n’y a aucun fondement légal. De tous côtés pleuvent les condamnations : médias, ONGs de droits humains, Nations Unies, par la voix de Nancy Pillay, la rapporteuse de l’ONU pour les droits humains. « Nous savons désormais que Visa, Mastercard et PayPal sont des instruments de la politique étrangère américaine», déclarera Julian Assange. Wikileaks saisira en 2011 la Commission européenne, qui s’en lavera les mains. Finalement, en 2013, la justice islandaise, pays où est logée la société Datacell, qui assure la gestion technique des transferts, donnera raison à Wikileaks. MasterCard et Visa lèvent le blocage. Mais c’est bien tard, le mal est fait. « Wikileaks a été d’un coup privée de 95% de ses revenus », explique Kristinn Hrafnsson, porte-parole de l’organisation. « Nous n’avons jamais retrouvé le niveau antérieur de donations. Les dons sont toujours élevés au moment où on publie le plus de révélations et c’était le cas fin 2010 ».
  • INJONCTION A TWITTER (et sans doute aussi Facebook et Google) de livrer à l’administration américaine les données de tous les membres de WikiLeaks.… Twitter préviendra WikiLeaks.

 

POURQUOI LES ÉTATS-UNIS VIOLENT-ILS SANS VERGOGNE LE PREMIER AMENDEMENT ?

Belgium4Assange vous soumet deux pistes de réflexion :

L’État affirme sa souveraineté en affirmant son droit de ne pas obéir au droit
Pour Geoffroy de Lagasnerie, « dans les États contemporains, la souveraineté (…) ne se manifeste plus dans l’application de la loi. Elle s’exprime au contraire, dans le moment de sa suspension. L’État affirme sa souveraineté en affirmant son droit de ne pas obéir au droit ».

Mais Julian, émet une autre hypothèse. Pour lui, le storytelling autour du premier amendement et de la liberté d’expression est un élément de langage dont les États-Unis avaient besoin lors de la guerre froide pour se distinguer de l’URSS. Depuis que le mur est tombé et qu’ils n’ont plus de rivaux à leur taille, ce besoin ne se fait plus ressentir. Les masques tombent…

C’est la première fois que Julian se retrouve privé de liberté.
Le 7 décembre 2010, suite à une convocation concernant l’affaire suédoise, Julian Assange se rend à la police de Londres. A peine arrivé, il est… arrêté et incarcéré dans la prison de Wandsworth. Rappelons que ce mandat a été émis dans des conditions irrégulières, que personne n’a porté plainte, que la Suède ne demande qu’un interrogatoire, dans le cadre d’une enquête préliminaire, et qu’aucune charge ne pèse contre Julian (Épisode 17 de WANTED).

C’est la première fois que Julian se retrouve privé de liberté. Il pense alors que c’est temporaire. Et en effet, après 10 jours, il est libéré sous caution. Mais la liberté sous caution et l’assignation à résidence ne sont pas la liberté… une liberté qu’il n’a jamais recouvrée 10 ans plus tard.

Voilà, c’était le 20ème épisode de Wanted, la série qui vous emmène au cœur du réacteur de notre monde. C’est le journalisme de Julian qui vous y a emmené et Julian est maintenant en prison et WikiLeaks dans la tourmente. Demain nous découvrirons les actes de solidarité avec WikiLeaks…

En triste bonus, aujourd’hui, nous joignons ce petit texte de Julian qui témoigne de son premier jour d’emprisonnement :
« J’ai beaucoup pensé à Chelsea Manning, qui subissait un traitement sévère dans une prison américaine, injustement condamnée pour avoir donné l’alerte sur une guerre illégale. Confiné dans ma cellule, je pensais à elle. Ensuite, ça a été les hauts et les bas. J’étais une panthère en cage. Il me fallait trouver un exutoire à toutes ces actions que j’aurais voulu faire et que je ne pouvais plus faire. J’arpentais ma cellule de long en large, je planifiais ce que j’avais à faire, en essayant de m’adapter physiologiquement à cet espace si petit. Tout était terrible (…) vous essayez de vous concentrer. Dans le monde extérieur, puisque c’est ainsi qu’on l’appelle, mes avocats faisaient des heures supplémentaires pour me sortir de là. Et ce monde me semblait à des années-lumière… Je ressentais dans ma chair là, comme jamais, le sens et la substance du mot solitude. (…) Moi qui ai consacré ma vie à “l’art de la connexion”, j’ai soudain pris conscience à quel point il me serait difficile de ne pas entendre et de ne pas être entendu. La position de Wikileaks était particulièrement délicate : nous étions engagés dans une guerre de communication avec un certain nombre d’adversaires et c’était là des situations qui nécessitaient une réactivité et des prises de décision heure par heure. (…) Quand le jour s’est levé et que la lumière est revenue, la première chose que j’aurais à faire serait de découvrir comment passer des appels. Ils feraient sûrement preuve de tolérance pour un type comme moi et me donneraient un accès à Internet… Non?… Oui, je sais, (…) ma position a toujours été de penser que l’impossible n’est impossible que jusqu’à ce que votre imagination prouve le contraire. »

Belgium4Assange

Texte écrit par Delphine Noels,
Avec la collaboration de Marc Molitor, Pascale Vielle et Bogdan Zamfir

Le 4 janvier 2021 sera une date historique : à Londres, la justice britannique rendra son verdict dans le procès d’extradition de Julian Assange. Quels sont les enjeux de ce procès ? En quoi nous concernent-t-ils directement ? Difficile d’avoir les idées claires à ce sujet tant la mésinformation et la désinformation ont été grandes.

A partir du 1er décembre et jusqu’au 4 janvier, Belgium4Assange diffusera quotidiennement un épisode de WANTED, série Facebook qui raconte la vie de Julian Assange en 34 épisodes.

Sources / Pour en savoir plus

WikiLeaks Files, The World according to US Empire » éditions VERSO, 2016.

The most dangerous man in the world, Andrew Fowler, Skyhorse Publishing, 2011.

The unauthorized autobiography, Julian Assange, Canongate Books Ltd, 2011.

L’utopie déchue, une contre-histoire d’Internet, Felix Treguer, Fayard.

Google contre WikiLeaks, Julian Assange, éd RING. 2018: https://francais.rt.com/international/60923-pour-hillary-clinton-julian-assange-doit-repondre-actes

À propos des réactions des autres pays : https://en.wikipedia.org/wiki/Reactions_to_the_United_States_diplomatic_cables_leak .

https://www.leparisien.fr/international/wikileaks-la-colere-de-washington-l-embarras-des-dirigeants-mis-en-cause-29-11-2010-1170909.php.

Le grand jury : https://shadowproof.com/tag/wikileaks-grand-jury/.

Un petit moment d’Hillary Clinton à ne pas manquer : https://twitter.com/thehill/status/1116537592793767941?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1116537592793767941%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Ffrancais.rt.com%2Finternational%2F60923-pour-hillary-clinton-julian-assange-doit-repondre-actes.

Les messages qu’Assange a envoyés pour la constitution de sites miroirs de WikiLeaks : http://cryptome.org/0003/wikileaks-gest.htm

Lettre de soutien à Julian signée par John Pilger, Terry Jones, Miriam Margolyes AL Kennedy : https://www.theguardian.com/media/2010/dec/10/support-for-julian-assange-wikileaks.

Joe Biden, Julian Assange, like a high tech terrorist : https://www.theguardian.com/media/2010/dec/19/assange-high-tech-terrorist-biden.

À propos des déclarations de Sarah Pallin, 4 décembre : https://www.thenation.com/article/archive/sarah-palin-vs-julian-assange/.

Sarah Pallin/ Serious Questions about the Obama Administration’s Incompetence in the Wikileaks Fiasco : https://www.facebook.com/notes/sarah-palin/serious-questions-about-the-obama-administrations-incompetence-in-the-wikileaks-/465212788434.

À propos des révélations concernant la Russie : https://www.france24.com/fr/20101122-wikileaks-revelation-internet-assange-suede-enquete-viol-irak-afghanistan-russie-chine-liban.

L’emprisonnement de Julian : https://www.theguardian.com/media/2010/dec/09/julian-assange-wikileaks-wandsworth-segregation.

https://www.20minutes.fr/monde/635007-20101207-monde-wikileaks-julian-assange-passe-premiere-nuit-prison.

Un article sur le premier amendement : https://journals.openedition.org/transatlantica/545.