Après un premier article décrivant la catastrophe climatique qui vient, il convient de rappeler que malgré sa terrible ampleur, celle-ci ne saurait être la seule et unique motivation du mouvement écologiste actuel, car sauver le climat ne veut pas dire sauver le vivant… À quoi bon éviter la montée des mers si c’est pour qu’elles ne contiennent plus de poissons ? A quoi bon éviter la désertification si c’est pour regarder passivement le bétonnage des derniers oasis ? A quoi bon éviter le réchauffement si c’est pour laisser des quantités astronomiques de déchets toxiques aux générations futures ?
Avec le développement récent de la collapsologie, de plus en plus de gens semblent réaliser qu’une croissance infinie dans un monde fini est impossible. Entre crises d’angoisse et dépressions, beaucoup d’occidentaux vivent durement l’épée de Damoclès qu’ils se découvrent au-dessus de la tête. Pourtant les annonces de la crise écologique et des difficultés qu’elle risque d’entraîner pour nos sociétés capitalistes ne datent pas d’hier. Dès 1972 le rapport Meadows du Club de Rome lançait une première alerte sur les conséquences néfastes de l’exploitation de la nature, réitérée de nombreuses fois depuis, par exemple en 1992 quand 1.700 scientifiques signaient le World Scientists’Warning to Humanity, voir plus récemment en 2017 avec Le Monde publiant le cri d’alarme de 15.000 scientifiques, ou encore le dernier rapport du GIEC paru en 2018. Mais force est de constater qu’aucun changement politique significatif n’a jamais émergé de ces multiples alarmes.
Aussi, si la réalité du danger d’un emballement du réchauffement climatique est aujourd’hui celle requérant l’action la plus urgente, elle ne doit pas pour autant nous faire oublier les nombreux autres enjeux écologiques qui menacent tout autant la vie sur Terre, et qui concernent eux des ravages actuellement en cours. Par « effondrement », il est souvent entendu l’effondrement à venir de notre civilisation, mais l’effondrement peut, et devrait même, surtout désigner l’effondrement en cours du vivant et des écosystèmes favorables à la vie sur Terre. Un effondrement dont nous autres occidentaux, humains participant au système capitaliste, somme en partie responsables, mais que nous ne ressentons qu’indistinctement, car délocalisé dans d’autres parties du globe. Cet article se propose donc de recenser les divers aspects de la catastrophe en cours afin que chacun puisse en tirer une vision plus globale de la gravité de la situation, préalable à toute volonté d’action se voulant un tant soit peu efficace.
L’empoisonnement de l’air
Commençons d’abord par la pollution de l’air. Après l’« airpocalyspe » chinoise, où le smog avait affecté près de 500 millions de personnes et fait fuir des villes des milliers de citadins en quête d’air respirable, alors que l’air que nous respirons est classé cancérigène par l’OMS, et que selon des chiffres de 2016 de l’Institut de mesures de la santé et d’évaluation de l’université de Washington, plus de 5,5 millions de personnes meurent prématurément chaque année en raison de la pollution de l’air, France Info titrait dernièrement « La pollution de l’air tue désormais davantage que le tabac », se basant sur une nouvelle étude affirmant que le nombre de décès liés à la pollution atmosphérique dépassait désormais celui des morts liés à la cigarette : 8,8 millions de morts par an, contre 7 millions à cause du tabac. En effet, les évolutions techniques ont fait que les particules sont devenues de plus en plus fines, celles-ci pouvant alors provenir du trafic, du chauffage, mais aussi de certains polluants issus de l’agriculture. Et à entendre leurs effets sur les populations humaines, on n’ose même pas imaginer les conséquences pour les populations non-humaines et les écosystèmes qui en dépendent…
« Les pathologies sont de plus en plus diverses. Au départ, ce sont les pathologies respiratoires : bronchopathies chroniques obstructives, cancers pulmonaires, déclenchement ou aggravation des asthmes. Mais ce sont aussi désormais des maladies cardio-vasculaires, parce que les particules ultra-fines vont passer dans la circulation sanguine et se fixer sur les parois artérielles, entraînant thromboses, AVC, infarctus… Ce sont également des maladies endocriniennes telles que le diabète. On parle aussi de plus en plus de maladies neurodégénératives, comme Alzheimer, et même des pathologies qui touchent les sportifs qui s’exercent à proximité des autoroutes. On observe également des retards de développement fœtal et d’accouchements prématurés, parce que les particules qui passent dans la circulation sanguine arrivent dans le placenta et se retrouvent chez le fœtus. Le champ s’élargit progressivement à mesure que l’on étudie les formes de pollution les plus récentes. » alerte Gilles Dixsaut, président du comité national contre les maladies respiratoires.
La désertification des mers
Du côté des océans les chiffres ne sont guère plus heureux : 90% des gros poissons ont déjà disparu (ou plutôt été exterminés). Une récente étude sur le sujet annonce qu’en 2050 « il y aura plus de plastique dans l’océan que de poissons » et une autre apprend que « la quasi-totalité des espèces de poissons et de crustacés pêchés pour la consommation auront disparu des océans avant 2050 ». Alors que la production de plastique a explosé depuis la deuxième moitié du XXe siècle, énormément échappe au système de collecte pour finir dans la nature, et particulièrement dans les mers. Ce serait aujourd’hui 150 millions de tonnes de plastiques qui flotteraient dans les océans, formant le fameux « 7ème continent ».
Mais le plastique n’y est pas le seul problème, et la pêche industrielle, véritable « déforestation des mers », comme les autres pollutions (exemple des marées noires) participe aussi grandement au massacre. La disparition des poissons entraîne alors un dérèglement de l’ensemble de l’écosystème des océans, jusqu’au phytoplancton qui sert normalement de purificateur en absorbant beaucoup de CO2 pour relâcher de l’oxygène (respiré ensuite en grande partie par le reste du vivant, dont les humains). S’ajoutant au déclin du phytoplancton, la concentration croissante de CO2 dans les océans entraîne l’acidification de ceux-ci, détruit les récifs coralliens, menace la faune aquatique (phytoplancton compris) et contribue donc à renforcer la fragilité d’un écosystème déjà en cours de destruction.
La destruction des fleuves et des forêts
Sur les continents, le massacre continue de plus belle. La déforestation est un problème majeur, alors que les forêts pourraient participer à stocker le CO2, ces éléments clés de la stabilité du climat continuent à être rasées méthodiquement, avec par exemple encore 12 millions d’hectares de forêts tropicales détruites en 2018. Partout les forêts vierges disparaissent ou sont menacées et certaines régions sont particulièrement touchées (les Philippines ont perdu 90% de leurs forêts). Seulement 10% des forêts tropicales seront encore intactes en 2030. Et cela sans même compter les feux de forêts qui risquent de se multiplier dans les prochaines années, le risque étant augmenté par la récurrence des sécheresses liées au réchauffement climatique.
De plus, d’énormes quantités d’eau douce sont détournées pour les cultures, l’élevage ou même la production électrique par les barrages (800.000 dans le monde dont 52.000 grands barrages), et ce sans même parler de l’eau volée par les grandes entreprises qui font leur business de ce qui devrait être un bien commun. De ce fait, la moitié des rivières du monde s’assèche et menace de ne plus pouvoir accueillir la vie. Aujourd’hui, 25% des fleuves n’atteignent plus l’océan, et avec l’intensification prévue du réchauffement climatique, c’est un tiers des terres arables de la planète qui sont ainsi menacées de disparaître dans les prochaines années, avec les conséquences dramatiques qu’on peut imaginer pour l’alimentation mondiale.
L’exploitation des sols et du vivant
L’agriculture, par la surexploitation des sols, le labourage industriel et les pesticides, participe fortement à l’extermination de la biodiversité (en trente ans, près de 80% des insectes auraient disparu en Europe) et à l’épuisement des terres arables (au cours des 100 dernières années, un milliard d’hectares de terres fertiles, l’équivalent de la surface des États-Unis, se sont littéralement volatilisés). On nous fait donc manger des légumes malades ou empoisonnés, avec des conséquences toujours plus dangereuses pour notre santé, pour la seule et bonne raison que le travail de la terre doit se soumettre aux lois de rentabilité du marché. L’industrie de l’élevage est elle-même un effondrement, avec la torture et l’extermination de milliards d’êtres vivants chaque années, pour l’entretien desquels est utilisée une grande partie de la production agricole terrestre, au lieu de nourrir les humains en besoin. L’élevage industriel est responsable d’énormément d’émissions de gaz à effet de serre et, indirectement, de nombreuses déforestations (91% des terres « récupérées » dans la forêt amazonienne servent ainsi aux pâturages ou à la production de soja qui nourrira le bétail).
Mais l’agriculture n’est pas la seule à menacer les forêts et autres écosystèmes encore sauvages : l’artificialisation des sols, l’urbanisation et la bétonisation du monde sont aussi un problème à part entière. En France, on bétonne 25m2 de terre agricole chaque seconde, soit un stade de foot toutes les 5 minutes. Amputer le territoire n’est pas seulement une atteinte à la beauté des paysages, c’est aussi un désastre écologique, par le massacre de la faune et la flore. Surtout quand l’on sait que par ailleurs c’est déjà des milliards de tonnes de l’épiderme « fertile » de la planète qui sont perdues chaque année (à cause de l’érosion, du tassement, de la perte de nutriments et de biodiversité, de l’acidification, des pollutions, de l’engorgement ou encore de la salinisation). Et tout cela alors même qu’il est évident que le sol est un écosystème indispensable : c’est une éponge qui sert à absorber les pluies et c’est un puits de carbone naturel, sa transpiration permet de rafraîchir la température de l’air, ce qui n’est pas négligeable au vu de la catastrophe climatique qui s’annonce… La volonté du toujours plus et de l’accumulation de profit au détriment du respect de l’environnement montre bien ses limites ici, par l’effondrement global des écosystèmes terrestres qu’elle est en train d’engendrer.
Le coup de grâce des industries de l’énergie
Pour faire fonctionner les machines du système capitaliste, seules capables de bétonner les sols, d’exploiter le vivant et de faire s’effondrer des écosystèmes entiers comme cité précédemment, une importante quantité d’énergie est nécessaire. Et comme on pouvait s’y attendre, cette énergie qui sert à alimenter la destruction de la planète est elle-même issue de processus participant grandement à cette même destruction. L’industrie minière est ainsi l’une des activités les plus destructrices au monde. En amont, les mégaprojets miniers ravagent les écosystèmes (certaines mines sont même à l’origine de la disparition de montagnes ou de forêts entières) : défrichage, déplacement de terre, vol de millions de litres d’eau… En aval, les sols et les eaux de surface et souterraines sont pollués par les métaux lourds, les produits chimiques utilisés pour séparer les métaux de la roche et par les émanations toxiques libérées lors de l’extraction. Cela génère de nombreux déchets souvent toxiques, une diminution globale de la qualité de l’air, de l’eau et une contamination et une érosion des sols allant jusqu’à la désertification. Ainsi chaque mine est un effondrement en soit, en plus des nombreuses destructions que les « ressources » pillées permettront de générer !
Mais pire encore est l’industrie nucléaire, particulièrement dangereuse par ses déchets, risquée par sa production, et beaucoup trop technique pour être démocratique (car soumise à des infrastructures nécessitant des investissements colossaux et des consignes de sécurité très contraignantes). Pourtant, alors que de nombreux réacteurs sont vieux et mal entretenus, le risque d’accident grave (comme on a pu le voir pour Tchernobyl ou Fukushima) susceptible de rendre inhabitables d’énormes étendues perdure. On pourra aussi noter que le réchauffement climatique et les sécheresses, même temporaires, qu’il provoque risquent d’être une contrainte de plus en plus forte pour des réacteurs qui utilisent souvent l’eau comme moyen de refroidissement (en France, cet été, EDF a mis 4 réacteurs à l’arrêt à cause de la canicule). Et même en dehors des accidents, le fonctionnement normal des centrales pose problème, puisque, pour ne citer qu’un exemple, chaque année supplémentaire d’activité des centrales belges alourdit le fardeau pour les générations suivantes de 120 tonnes de déchets hautement radioactifs, d’une durée de vie de plusieurs siècles, et ce alors même qu’il n’existe toujours aucune solution pour ces déchets. Après la crainte de l’effondrement futur et l’horreur de l’effondrement en cours, le nucléaire nous fait goûter aux délices d’un potentiel effondrement de la vie par la radioactivité, capable de s’étaler sur des centaines, voire des milliers d’années…
Nommer les problèmes et leurs responsables
Ainsi, tandis que l’air s’emplit d’une pollution mortelle, tandis que les océans se vident de vie, se couvrent de plastique et deviennent de plus en plus acides, tandis que les fleuves sont asséchés, les forêts rasés et qu’un triste désert de cratères miniers et de déchets toxiques avance partout sur le globe, qui pourrait encore dire que l’effondrement n’est pas déjà en cours ? Qui pourrait encore avoir l’hypocrisie de parler d’une « extinction », alors que ce que nous avons sous les yeux n’est rien d’autre qu’une « extermination » en règle ? Qui pourrait encore affirmer que sauver le climat sauvera le vivant, alors que rien qu’actuellement c’est déjà un million d’espèces qui sont menacées de disparition ? En réalité, c’est sauver le vivant qui sauvera le climat, car aujourd’hui du massacre du phytoplancton à celui des forêts, le capitalisme semble prêt à saper jusqu’aux bases des mécanismes naturels permettant l’autorégulation terrestre du CO2. Affronter la dure réalité en face sera donc le fardeau des jeunes générations. Il nous faudra nommer les problèmes et leurs responsables, le système capitaliste et la civilisation industrielle, sans quoi nous ne manquerons pas d’échouer à sauver ce qui peut encore l’être ici-bas.
Louis Paul