L’urgence climatique et l’effondrement qui vient

« La structure de nos connexions neuronales ne nous permet pas d’envisager facilement des évènements de si grande ampleur. Trois millions d’années d’évolution nous ont forgé une puissance cognitive qui nous empêche d’appréhender une catastrophe qui se déroule sur le long terme. C’est l’image de l’araignée : la vue d’une mygale dans un bocal provoque davantage d’adrénaline que la lecture d’un rapport du GIEC ! »
Pablo Servigne

D’alerte en alerte, de COP en COP, les émissions de gaz à effet de serre non seulement ne diminuent pas, mais ne cessent d’augmenter. Alors qu’il faudrait les réduire de 45% pour limiter le réchauffement climatique à +1,5°C en 2030, le rythme actuel nous entraîne vers une augmentation de 3°C, et cela même sans compter les effets en chaîne qui risquent de s’enclencher si les émissions à l’origine du réchauffement ne s’arrêtent pas immédiatement.

Selon l’historien Christophe Bonneuil, depuis l’ère quaternaire, notre planète balance entre un état glaciaire et un état interglaciaire. Cette oscillation entre deux périodes de glaciation se fait environ tous les 100.000 ans. Mais le problème du réchauffement climatique actuel est que la pollution engendrée par l’industrie capitaliste risque de nous faire sortir des limites de cette oscillation et ce à une vitesse qui a accéléré dangereusement depuis la révolution industrielle. Ce scénario où la terre sortirait de son alternance entre deux périodes de glaciation pour basculer vers un état d’étuve semble donc malheureusement de plus en plus probable.

Un réchauffement qui risque de s’auto-alimenter une fois passé le point de rupture

Ainsi, une étude parue cet été dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences exposait le risque d’un effet domino dans la fonte des pôles qui pourrait alors transformer la planète en étuve. Passé un seuil critique de fonte des glaces, le processus de réaction s’auto-entretiendrait car de fortes quantités de méthane et de CO2 emprisonnées dans le permafrost (sol gelé en permanence au Canada et en Russie) seraient libérées, renforçant ainsi l’effet de serre au fur et à mesure du réchauffement. Dans le même temps la fonte de la banquise et la montée des océans généreraient aussi un autre effet : la diminution de l’albédo, qui consisterait en une réduction de la réflexion des rayons du soleil (que la glace réfléchit mais que la mer absorbe) et participerait donc aussi à l’augmentation globale de la température terrestre.

Stopper d’urgence les émissions de gaz

Que ce soit par notre incapacité à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ou par l’effet domino que celles-ci engendreront de toute façon si on ne les stoppe pas assez vite, des conséquences désastreuses pour la vie sur notre planète se dessinent dans un horizon de plus en plus proche. Ainsi, sans un arrêt drastique des émissions dans les 2 prochaines années, le scénario des 1,5°C d’augmentation paraît plus qu’utopique. Même les 2°C semblent un cap peu probable si on considère le risque d’emballement qui lui nous porterait plutôt vers une augmentation de 5°C d’ici la fin du siècle. Dans ce futur, la fonte des glaces de l’Antarctique pourrait conduire à une montée des mers de 25m. C’est donc l’ONU elle-même qui lançait l’alarme, en septembre 2018, via son secrétaire général António Guterres : « Si nous ne changeons pas d’orientation d’ici 2020, nous risquons […] des conséquences désastreuses pour les humains et les systèmes naturels qui nous soutiennent. »

Quand le réchauffement amène le désert

Dans une mesure plus ou moins importante (en fonction du nombre de degrés supplémentaires), mais toujours dramatique, le réchauffement entraînerait de nombreuses conséquences telles que la hausse des températures moyennes et la récurrence de chaleurs extrêmes, y compris dans le nord de notre hémisphère. L’augmentation des sécheresses à travers la planète, en détruisant les ressources d’eau douce, rendrait impossible l’agriculture dans de nombreux endroits, causant donc d’énormes famines et renforçant la crise alimentaire mondiale. Et cela même sans mentionner les énormes feux de forêts (dont on a déjà pu constater l’augmentation cet été) et les vagues de chaleur mortelles (par exemple la France pourrait connaître des pics de chaleur à 50°C à la fin du siècle. Hors de l’Europe la situation serait encore bien pire. Ainsi le National Geographic titrait fin 2018 « Les trois quarts de l’humanité menacés de mourir de chaud en 2100 », rappelant que si la chaleur n’était pas considérée comme un énorme problème en Inde, au Pakistan et dans d’autres pays du Sud, d’intenses vagues de chaleur se font désormais de plus en plus fréquentes à cause du changement climatique.

Quand le réchauffement renforce l’extinction de masse de la biodiversité

Toutes ces sécheresses et modifications des températures viendraient alors s’additionner au problème de la 6ème extinction de masse (qui est aujourd’hui en cours), par la destruction d’écosystèmes rares et la modification de l’aire de distribution de certains animaux et végétaux. Cette autre catastrophe moderne qui met elle aussi la survie de l’humanité en péril – nos cultures et élevages étant dépendants d’un écosystème capable d’assurer la fertilité des sols – se verrait donc renforcée par de nouvelles extinctions d’espèces et des migrations intempestives liées à un réchauffement climatique ne faisant qu’augmenter l’ampleur du massacre du vivant et de ses conséquences sur l’humanité.

Quand le réchauffement fait monter les mers

Enfin, l’élément le plus terrifiant de ce scénario où nous ne parviendrions pas à stopper très rapidement les émissions de gaz à effet de serre est la montée des eaux. Dans la meilleure option celle-ci serait proportionnelle à l’augmentation de la température terrestre et s’élèverait jusqu’à 1m pour un réchauffement restant sous la barre des 2°C, scénario déjà terrible par les destructions de grandes villes côtières et les migrations de population générées. Mais dans l’hypothèse d’un emballement du réchauffement avec la fonte de l’Antarctique, c’est plus d’une dizaine de mètres d’augmentation du niveau de l’eau que l’on pourrait craindre d’ici la fin du siècle, avec toutes les conséquences meurtrières que l’on peut imaginer, sachant que 2/3 des mégalopoles sont installées moins de 10m au-dessus du niveau de la mer, tout comme les plaines agricoles qui les nourrissent. Outre les morts par noyade lors de tempêtes (cfr la Nouvelle Orléans), les migrations augmenteraient tellement considérablement qu’on pourrait craindre de véritables « guerres climatiques » entre les survivants et l’avènement de dictatures militaires prétendant assurer la survie collective par la violence et l’appropriation de terres baignées du sang d’innocents.

Difficile de penser la fin du monde ?

Une catastrophe d’une telle ampleur, l’image d’une Terre couverte d’eau et de désert, où la biodiversité s’est presque éteinte et où les humains survivants, en proie aux famines et aux maladies, se livrent des guerres meurtrières pour leur survie, semble difficile à accepter. Pourtant il est clair que le risque d’emballement climatique menace toute l’humanité, non seulement d’un effondrement global, mais potentiellement aussi d’une extermination totale. Si beaucoup de personnes aujourd’hui peinent à réaliser, préfèrent se réfugier dans un déni climato-sceptique, ou n’ont tout simplement même pas le loisir de s’intéresser aux questions climatiques, le danger n’en est pas moins réel.

Pour que notre priorité soit le vivant, et pas la civilisation qui l’exploite

Ne laissons pas les médias, les politiques et le système capitaliste en général, nous enfermer dans une vision de « l’effondrement » comme étant seulement celui de notre civilisation. Le terme effondrement doit désigner le problème, bien plus grave, de l’effondrement de la vie sur Terre. Et si éviter la catastrophe climatique est le premier pas urgent pour contrer l’effondrement du vivant, il est clair que la biodiversité terrestre est aujourd’hui tellement menacée par les diverses pollutions humaines que l’on ne saurait de se contenter de résoudre ce seul problème (cela sera l’objet d’un prochain article).

Aujourd’hui,  100 multinationales représentent à elle seules 70% des émissions de gaz à effet de serre et  les émissions ne cessent d’augmenter de manière provocante (+ 1,8 % en Europe et + 3,2 % en France en 2017 par rapport à 2016). Continuer à attendre et à repousser la résolution du problème climatique paraît donc suicidaire. Il ne s’agit plus ni de vouloir être toujours plus nombreux, ni de « faire sa part ». Il s’agit de faire le nécessaire, ici et maintenant, avec ceux qui sont prêts à agir. Il en va de notre survie en tant qu’espèce, et même de la survie de la magnifique diversité de la vie qui peuple notre Terre.

Louis Paul


Illustration : SILEX Dessinateur-Illustrateur