Ce 17 octobre 2017, c’est la journée mondiale de lutte contre la pauvreté.
Le Réseau Wallon de Lutte contre cette pauvreté va tous nous mobiliser à Namur mardi prochain. Nous avons pensé que c’est le bon moment pour poser les “Trois questions à…” à Christine Mahy.
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Retranscription de l’interview
Bonjour Christine Mahy,
Ce 17 octobre, c’est la journée mondiale de lutte contre la pauvreté. Le réseau wallon de lutte contre cette pauvreté va tous nous mobiliser à Namur mardi prochain. Nous avons pensé que c’est le bon moment pour te poser les « Trois questions à… »
Les oubliés, les gens de peu, les écrabouillés du système – que celui-ci a d’ailleurs largement contribué à rendre invisibles – augmentent chaque jour. Qu’est-ce qui dérape ? En quoi et pourquoi le gouvernement fédéral aggrave-t-il sans cesse l’inégalité ?
Alors, c’est vraiment une bonne question, parce que c’est quand même l’inquiétude croissante depuis des années : un gouvernement fédéral qui prend des mesures qui accablent les mêmes, les plus faibles, ceux qu’il a soumis, ceux qui sont les plus dépendants, en quelque sorte, de la sécurité sociale, pour ne plus savoir accéder au travail parce que le travail n’existe plus, en tout cas dans les formes qui leur sont accessibles, parce qu’ils sont en difficulté sociale, parce qu’ils sont malades, etc.
Alors on peut se demander pourquoi, systématiquement dans les politiques fédérales prises en toute matière – en matière de justice, en matière de santé, en matière de travail, en matière de chômage, en matière de CPAS, en matière de famille d’accueil, etc. – les dispositions prises accablent, affaiblissent, font perdre du droit, en fait, font perdre l’accès à ce qui porte les hommes et les femmes dans une société.
Alors, est-ce que c’est d’avoir vendu complètement son âme au libéralisme complet et à la financiarisation du monde, qui visent à utiliser une partie de la population davantage comme des objets porteurs des défauts du système ? C’est à dire, il y aurait des gens qui seraient fautifs et qu’il faudrait aller traquer sans cesse et tracer, comme si on leur faisait porter la responsabilité des problèmes budgétaires, de l’argent qu’il n’y aurait pas, etc. Et comment ça se fait que l’attention est aussi tournée vers eux et n’est pas tournée vers l’organisation structurelle de la finance, l’organisation structurelle des rapports de force dans la société. Comment on n’est pas plus tournés vers une réflexion sur une économie qui soit construite encore avec par et pour les humains, plutôt qu’une économie qui soit tournée vers une capitalisation à outrance qui arrive dans les mains des mêmes, etc.
Alors est-ce que le gouvernement fédéral a envie que le regard se porte vers ceux-là pour détourner l’attention des vrais problèmes, du fait de ne pas s’occuper de l’évolution environnementale, du fait de laisser échapper des finances publiques, du fait de remettre en cause un modèle solidaire et une sécurité sociale, plutôt que de défendre ce type de modèle-là, du fait de céder à toutes les sirènes de la méritocratie. Ce serait les gens qui se feraient par eux-mêmes, indépendamment de leur environnement, indépendamment de la richesse familiale, indépendamment des patrimoines, etc.
Et donc, également, est-ce qu’on n’est pas en face d’un gouvernement qui court à son autoreproduction, à la particratie qui veut garder le pouvoir, développer le pouvoir, etc., et qui, alors, utilise un langage qui séduit une majorité de gens qui font partie peut-être encore d’une classe aisée et qui ont peur pour l’avenir et qui se disent « Ah ! Oui, finalement les gens qui posent problème dans notre société ce sont ceux qui n’ont pas d’emploi, ce sont ceux qui sont malades, etc., alors que le problème est ailleurs. Donc on se pose des questions éthiques par rapport au gouvernement, des questions de pouvoir, des questions de rapport de force, des questions de profit. Est-ce que, vraiment, il n’y a plus de morale ? Est-ce qu’être riche et encore plus riche c’est une valeur et ça doit se faire en écrasant les autres ? Et donc est-ce que le système est au service de ça ou est-ce qu’une société a à construire sa richesse sur base de « comment sa population va bien se porter pour être, elle, collaborante à l’entièreté du bien de cette société » ?
Les pauvres, on les met à genoux. Et la secrétaire d’Etat N-VA Zuhal Demir, leur propose des sparadraps sur des blessures sociales. Elle annonce que leurs allocations ne permettront pas de dépasser le seuil européen de pauvreté, alors que c’est son gouvernement qui a dégradé les conditions de vie de ces personnes. Pourquoi la révolte ne gronde-elle pas. Pourquoi est-elle insuffisante ?
Non, elle ne l’est pas. Elle ne l’est pas, suffisante, parce que cette déclaration, elle est écœurante. Moi je l’ai lue comme un coup de poing dans l’estomac. Alors même si je me disais « on a pas beaucoup de preuves qu’il sont en train d’y travailler véritablement », on doit combattre pour essayer qu’ils mettent ce dossier sur la table, etc., déclarer quand on est secrétaire d’Etat à la lutte contre la pauvreté que la mesure principale du plan fédéral de lutte contre la pauvreté est presqu’une des rares mesures positives du plan fédéral de lutte contre la pauvreté parce que ce plan contient beaucoup de mesures qui, au contraire, accablent les gens, les rendent responsables à titre individuel de la situation dans laquelle ils sont alors que ce n’est pas le cas. Cette mesure-ci, elle vise quand même à dire « le portefeuille compte. Il est nécessaire d’avoir une somme d’argent pour vivre qui soit satisfaisante, dont l’importance permet d’affronter la vie, d’accéder à tous les droits.
Et donc, que la secrétaire d’Etat déclare ça, ça devrait nous faire tous sortir de nos gonds, ça devrait mettre tout le monde dans la rue.
On sait aujourd’hui qu’on peut acheter des avions qui coûtent cher pour l’armée, on sait aujourd’hui qu’on a beaucoup de mal à organiser – et Dieu sait si le gouvernement fédéral prend du temps, fait un pas en avant et puis fait deux pas en arrière – au niveau de la fraude fiscale, mais aussi au niveau de l’évasion légale de l’argent vers les paradis fiscaux, etc., qui pourrait tout à fait alimenter la sécurité sociale, qui pourrait permettre de construire du travail décent, du travail durable, du travail avec un revenu correct, dans des conditions correctes, etc. On sait que tout ça se passe et on voit là que « Qu’est-ce qu’on fait ? ». D’une part on organise terriblement la traque à la fameuse fraude sociale qu’on surdimensionne et dont on a l’air de dire qu’elle est absolument importante, mais en accablant là le droit à la vie privée, le droit des gens à la débrouille quand ils n’ont pas en suffisance, et puis, maintenant on vient dire « Ah mais, arrivé au seuil de pauvreté (qui est déjà un seuil qui permet de vivre tout juste, hein, il faut le rappeler), Hé bien non, ça ne sera pas possible, ça ne peut pas faire partie des objectifs ».
Alors évidemment, la population en général, peut être crédule par rapport à ça : « Ah c’est vrai, il y a des difficultés financières, on ne sait pas comment boucher le trou, on ne sait pas ceci, on ne sait pas cela… ».
Mais il y a des choix à poser et ces choix devraient nous faire sortir effectivement tous dans la rue. C’est indécent, c’est inadmissible de se dire qu’aujourd’hui les gens peuvent vivre avec 800 €, avec 900 €, avec 1000 €, avec 1200 € du revenu du travail, hein, dans certains cas, dans beaucoup de cas. Le travail à temps partiel ne conduit pas nécessairement au-dessus de 1000 € aujourd’hui. Et entendre – c’est pas n’importe qui ! – c’est la secrétaire d’Etat à la lutte contre la pauvreté ! Alors moi je veux bien qu’on dise « la pauvreté, elle est multifactorielle, elle est culturelle, elle est sociale, etc. ». Oui d’accord. Je suis d’accord : on doit s’intéresser à ces portes d’entrée multiples de la pauvreté. Mais on doit dire aussi qu’elle est dans le portefeuille, la pauvreté ! Et que les gens s’usent à devoir quotidiennement régler les problèmes matériels, perdre leur créativité, perdre leur force, perdre leur énergie à cela parce que la somme d’argent dans leur portefeuille n’est pas suffisante pour vivre. Ca doit nous faire réagir fortement.
La journée du 17 octobre, c’est bien sûr une journée qui dénonce les causes de la pauvreté, mais c’est surtout une marche pour reconquérir les droits au logement, à la santé, à l’enseignement. Convaincre que les inégalités peuvent être vaincues par les convergences de lutte et ensemble recréer des victoires sociales et humaines.
Comment faire ?
Je pense qu’il faut remettre au cœur du débat, au cœur du dispositif législatif, au cœur des administrations, la réduction des inégalités comme outil de travail permanent, outil d’évaluation des politiques publiques, outil d’organisation des droits, outil de répartition des richesses, outil de captation des richesses. Comment inscrit-on la réduction des inégalités ?
La réduction des inégalités, hé bien, c’est évidemment pour conquérir des droits, pour stabiliser des droits, pour se réengager dans le fait de dire « Il est normal d’organiser une société de droits », « Il est normal d’avoir une sécurité sociale forte qui garanti un certain nombre de droits », il faudrait d’ailleurs introduire dans cette sécurité sociale de nouveaux dispositifs qui tiennent à l’évolution de la vie aujourd’hui. Par exemple « Très bien s’alimenter dans les écoles », est-ce que ça ne devrait pas faire partie d’un pan à ouvrir de la sécurité sociale, puisque c’est quelque chose qui s’attaquerait à des questions de santé publique, à des questions d’environnement sur la production qu’on pourrait développer localement en quantité pour que ça puisse se faire, puisque ça redonnerait du temps à des parents en fin de journée à passer avec leurs enfants, à d’autres choses même que faire à manger puisqu’on aurait mangé sainement, correctement, ensemble à l’école, puisqu’on sait que manger en collectivité, ça aide à prendre de bonnes habitudes alimentaires, beaucoup plus que d’être dans la confrontation aux parents qui disent « mange tes légumes » « Non, je n’aime pas les légumes », etc. Donc on devrait réfléchir les choses comme celles-là, je pense, de façon extrêmement forte.
Un autre volet, évidemment, qui est un champ de bataille énorme à l’intérieur de la réduction des inégalités dans notre pays aujourd’hui et qui est un dispositif appauvrissant à des tas de points de vue aujourd’hui de façon grave et systématique, mais aussi un dispositif qui conduit au contrôle social massif, scandaleux, s’introduisant dans l’intimité de la vie privée des gens, c’est la question de l’individualisation des droits.
Le fait que les droits ne soient pas individualisés aujourd’hui appauvrissent les gens dans leur portefeuille, dans l’organisation de la vie familiale, dans la vie privée, dans la vie administrative, et rend légitime le contrôle à la fraude sociale.
Et ça, c’est absolument grave et il faut pouvoir aller démonter ce genre de choses-là.
Donc voilà, moi je pense que si on ne décide pas que l’accumulation des richesses, mais de toute forme de richesses – l’argent, l’accès à la connaissance, le droit à l’intimité, la vie personnelle, etc. – si on ne s’attaque pas à comment tout cela est mieux réparti, et pas de façon condescendante, pas de façon assistantielle, à travers des droits organisés, on n’en sortira pas.
Donc moi je propose qu’en toute matière ce soit le point de référence, le point d’évaluation, le point d’analyse de l’ensemble des politiques publiques, des décisions politiques, de la manière dont fonctionnent les partis politiques, de la manière dont on s’organise en société, de la manière dont on s’organise dans une association. A tous les endroits on doit se poser cette question-là. Et je pense qu’évidemment, remettre au cœur du débat la question des inégalités, de l’accès aux droits pour tous, ne se fera que dans une alliance forte, entre l’ensemble des acteurs de la société, ceux qui croient à ça et ceux qu’on doit convaincre pour s’engager dans cette lutte-là.
Et donc, que l’on regarde aujourd’hui les services publics, le monde associatif, le monde syndical, le champ mutuéliste, l’ensemble des acteurs – et même certains acteurs du monde économique – c’est ensemble qu’il faut revendiquer, négocier, parler, communiquer et dialoguer pour conquérir ces luttes-là.
On a aujourd’hui autant de travailleurs qui ont leurs droits complètement conditionnés, à certains d’ailleurs à qui on dit « Vous n’avez même plus à choisir votre travail, vous êtes contraints de prendre n’importe lequel à n’importe quelle condition », que des gens qui sont hors de l’emploi, que des gens qui sont malades, que des gens qui travaillent dans le privé et dans le public, qui ont les mêmes difficultés, les mêmes enjeux, mais aussi peut-être la même force pour venir combattre ensemble.
Donc tous ces gens doivent se mettre ensemble, que ce soit depuis la naissance jusqu’aux pensionnés, on est concerné aujourd’hui par ce délitement des droits, cette tendance à aller vers une individualisation et une méritocratie accrue, cette mise en concurrence des gens.
Et donc nous, on veut une lutte collective, pour briser cette mise en concurrence. Et on doit également y associer évidemment toutes les populations accueillies chez nous, toutes les populations d’origine étrangère, les réfugiés, etc. Ils ont autant d’importance que nous sur l’ensemble du territoire de la Wallonie et de la Belgique pour arriver à faire quelque chose de prospère au profit de tous.