Les enjeux écologiques et climatiques deviennent déterminants pour l’avenir des sociétés humaines. Cependant, les idéologies écologistes à la mode ne semblent pas à la hauteur des enjeux. Trop souvent, l’écologie apparaît comme une spécialité qui se refuse de remettre en cause tous les aspects du problème. L’écologie se contente souvent de pointer des conséquences superficielles du capitalisme, sans s’attaquer à la racine du problème.
Cette théorie de l’effondrement demeure fataliste. Elle reprend une forme de déterminisme historique et dissuade de passer à l’action pour tenter de sauver la planète. Mais la collapsologie semble également naturaliste dans une démarche cohérente. Le social est naturalisé. Il devient donc inutile de lutter contre ses lois implacables. Les collapsologues ne veulent pas changer le monde, mais accommoder la société capitaliste à l’effondrement. Le philosophe Benoît Bohy-Bunel s’attaque à la collapsologie à travers une critique serrée des essais de Pablo Servigne, figure de proue de ce courant, dans le livre Une critique anticapitaliste de la collapsologie.
Ce positivisme, qui naturalise les rapports sociaux, débouche vers un fatalisme qui refuse l’action. Les collapsologues se veulent experts d’une maladie tellement incurable qu’il devient vain de lutter contre. Les collapsologues s’appuient sur le best-seller de Jared Diamond, Effondrement. Ce livre entend démontrer la disparition de la population de l’Île de Pâques pour des raisons climatiques et démographiques. Daniel Tanuro rappelle que ce sont les raids esclavagistes et colonialistes qui ont détruit cette civilisation et ruiné définitivement l’écosystème.
Les collapsologues comme Pablo Servigne et Raphaël Stevens, mais aussi l’ancien ministre Yves Cochet, insistent sur les causes démographiques de l’effondrement. La gestion des naissances par l’État devient alors la seule politique. « Le validisme et la gestion autoritaire de la natalité des plus pauvres ont toujours accompagné les projets malthusiens, malgré les bonnes intentions », rappelle Benoît Bohy-Bunel.
Écologie et capitalisme
Le courant de la critique de la valeur observe une diminution des travailleurs productifs comme les ouvriers, les techniciens et les ingénieurs. En revanche, le nombre de travailleurs improductifs ne cesse de se développer avec les secteurs des banques, des assurances, du conseil, de la comptabilité. Ce sont ces emplois improductifs qui génèrent le plus de profits. Les professions qui ne sont pas impliquées dans le processus de production se développent également avec les services à la clientèle, la publicité, le marketing. Un processus d’auto-destruction du capitalisme peut alors s’observer.
Des technologies nouvelles permettent de réduire le temps de travail nécessaire afin d’augmenter la croissance et la productivité. Les machines et les combustibles permettent un remplacement ou une accélération du travail humain. « L’expansion du machinisme implique le surdéveloppement de combustibles fossiles (gaz, pétrole, charbon), qui aggrave la crise climatique », observe Benoît Bohy-Bunel. La crise écologique résulte donc de la logique productiviste et de l’accumulation capitaliste.
Les collapsologues se focalisent sur le dérèglement climatique et la crise écologique. Mais, si le pétrole est devenu une ressource clé, c’est en raison de la logique de compulsion capitaliste. Plutôt qu’un attentisme mortifère, il semble indispensable de renverser la logique d’accumulation pour inventer une société qui repose sur la satisfaction des besoins. « Si nous ne fétichisons plus les produits du travail, et si nous produisons en vue des désirs et besoins concrets des individus, les énergies mortifères ne seront certainement plus indispensables comme elles paraissent l’être aujourd’hui », suggère Benoît Bohy-Bunel. Mais la théorie du grand déclin naturel s’oppose à une perspective de transformation sociale.
Management écologiste
Dans le livre Une autre fin du monde est possible, Servigne, Stevens et Chapelle ne se contentent plus du constat d’un effondrement de la « civilisation thermo-industrielle ». Ils prétendent inventer une nouvelle discipline scientifique : la « collapsosophie ». Ce qui se réduit à appliquer une série de recettes de sagesse au milieu de l’effondrement. Cette posture croise la psychologie, la spiritualité et la métaphysique.
Les collapsosophes mobilisent également le marketing et l’idéologie managériale. « Ils deviennent de véritables coachs en développement personnel, à l’ère de l’effondrement », ironise Benoît Bohy-Bunel. Une forme de « survivalisme » coupe l’individu de toute capacité d’action collective. Il ne s’agit plus de tenter d’éviter l’effondrement inéluctable, mais de parvenir à y survivre. Ce qui débouche vers une acceptation résignée de la crise écologique. « Le développement personnel en régime marchand promeut un comportement intégré qui permet aux individus de rester productifs tout en supportant joyeusement leur aliénation », analyse Benoît Bohy-Bunel. La résilience et le développement personnel permettent à cette idéologie post-apocalyptique de se mouler dans les valeurs productivistes à la racine des crises du capitalisme contemporain.
Servigne et Chapelle semblent rejoindre les idéaux libertaires dans le livre L’entraide, l’autre loi de la jungle. Cependant, leur démarche semble contestable. Ils développent un anthropomorphisme qui attribue aux plantes des caractéristiques et des comportements humains. Ce qui apparaît comme le pendant de leur biologisation du social. Ensuite, leur conception de l’entraide ne renvoie pas à la solidarité de classe et à l’auto-émancipation des prolétaires. L’entraide reste considérée comme un simple moyen de survie après l’effondrement. Mais jamais comme un moyen pour éviter la catastrophe et inventer une société nouvelle. L’entraide reste dans un cadre survivaliste d’un affrontement entre différents clans en compétition pour leur survie. Les individus s’entraident pour s’adapter aux contraintes du système marchand, et pour le reproduire.
Anticapitalisme et collapsologie
Benoît Bohy-Bunel propose une critique éclairante de la mouvance collapsologue à travers une discussion des écrits du médiatique Pablo Servigne. Benoît Bohy-Bunel insiste sur la naturalisation du fait social. Les collapsologues présentent l’effondrement comme inéluctable et naturel. Dès lors, il ne sert à rien de tenter d’inverser le cours de l’Histoire. Certes, une partie de la destruction de la planète semble irréversible. Néanmoins, une transformation sociale peut permettre d’envisager un avenir moins sombre. Au contraire, les collapsologues se contentent de prêcher la résignation. L’écologie apparaît comme une nouvelle religion, avec l’attente eschatologique de l’effondrement. Les collapsologues proposent d’acter l’effondrement pour mieux s’adapter. Benoît Bohy-Bunel montre bien comment cette démarche rejoint les idéologies à la mode du développement personnel au management néolibéral.
Benoît Bohy-Bunel se raccroche ouvertement au courant de la critique de la valeur qu’il oppose comme alternative à la collapsologie. La mouvance incarnée par Anselm Jappe peut effectivement orienter les inquiétudes face au désastre écologique vers des réflexions plus approfondies que celles proposées par Pablo Servigne. La critique de la valeur ne se contente pas de faire de l’écologie une spécialité. L’effondrement de la planète est replacé dans le cadre d’une dynamique d’auto-destruction du capitalisme. La logique marchande de profit et d’accumulation est directement remise en cause. La critique de la valeur propose une véritable analyse globale des dynamiques des sociétés capitalistes. Surtout, contrairement à la collapsologie, cette mouvance se refuse à épouser les tendances nouvelles du capital. La critique de la valeur propose une véritable critique du monde capitaliste.
Néanmoins, cette mouvance partage avec la collapsologie un catastrophisme résigné. « La critique de la valeur n’est pas un attentisme », ose Benoît Bohy-Bunel. Certes, Robert Kurz évoque une transformation émancipatrice. Mais il peine à en esquisser des pistes stratégiques concrètes. Ces courants partagent la même déconnexion à l’égard des luttes sociales et écologiques. Il semble au contraire important de s’appuyer sur les mouvements écologistes, et surtout sur les soulèvements sociaux, pour ouvrir des perspectives pour échapper à l’auto-destruction du monde marchand.
Source : Benoît Bohy-Bunel, Une critique anticapitaliste de la collapsologie, L’Harmattan, 2022
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Pour aller plus loin :
Vidéo : Effondrement : “Un processus déjà en marche”, émission diffusée sur le site Arrêt sur images le 20 juillet 2018
Radio : Armand Paris, Une analyse critique de la collapsologie, émission Sortir du capitalisme diffusée sur le site Spectre
Radio : Benoît Bohy-Bunel, Critique de la sociobiologie anthropologisante de “L’entraide, une autre loi de la jungle” de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, émission diffusée sur le site Palim-Psao le 24 Mars 2021
Radio : Entretien #2 : introduction à la critique de la valeur-dissociation (feat Benoît bohy bunel), émission diffusée par Martin Eden le 22 décembre 2021
Benoît Bohy-Bunel, Remarques critiques à propos d’une certaine collapsologie (Pablo Servigne, Yves Cochet, etc.). Complément : série d’articles concernant la question écologique, publié le 25 avril 2020
Sandrine Aumercier, Benoît Bohy-Bunel et Clément Homs, Règne de la valeur et destruction du monde, publié sur le site Palim-Psao le 8 mai 2022
Daniel Tanuro : « Collapsologie : toutes les dérives idéologiques sont possibles », publié sur le site de la revue Ballast le 21 juin 2019
Daniel Tanuro, L’effondrement des sociétés humaines est-il inévitable ?, publié sur le site de la revue Contretemps le 19 juin 2018
Daniel Tanuro, La plongée des « collapsologues » dans la régression archaïque, publié sur le site de la revue Ctretemps le 6 mars 2019
Pascale Monnier, Crise climatique, collapsologie…. L’ingénieur agronome Daniel Tanuro refuse de se résigner, publié sur le site Presse toi à gauche ! le 4 novembre 2019