Ce devait être hier. Ce sera demain. Moult fois annoncée pour telle ou telle date dont le 1er juillet était la dernière connue, l’application provisoire du CETA a été reportée pour des motifs divers et pas toujours explicites. Depuis le G20 ce week-end, on connaît la date officielle: le 21 septembre 2017. Mais tout n’est pas réglé pour la cause.
Nous avons bien tenté de retenir la leçon. Les Canadiens sont nos amis. Le CETA-AECG est, au propre et au figuré, un modèle d’accord commercial. Tout se déroule dans une transparence inédite pour un accord de ce type. Etc. Tu parles, Charles.
On a fustigé tant et plus les détracteurs de ce traité dont la position aurait tenu à des considérations vagues ou vaseuses. Pourtant dans ce camp-là, une lecture attentive du texte a été faite. A ce titre, la formule «le diable se cache dans les détails» est revenue régulièrement. Aujourd’hui, nous y sommes.
En cause ici, le quota de fromages européens et ses modalités d’importation. Avec une entourloupe de première que le Canada a soumise récemment à la Commission européenne. C’est CBC News qui, bénéficiant d’une fuite, en a révélé le contenu. Le traité prévoit une ouverture du marché canadien dans un délai de six ans. A terme, les barrières tarifaires seront levées pour 16.000 tonnes supplémentaires de fromages européens — et accessoirement 1.700 tonnes de produits laitiers à destination de l’industrie agroalimentaire.
Or, Ottawa propose d’octroyer 60% de ces quotas d’importation aux producteurs laitiers et aux entreprises de transformation canadiens. Si cette disposition devait passer, elle leur permettrait soit de ne rien importer tout simplement, soit d’acheter du fromage européen à 0% de taxe de douane pour le revendre ensuite aux détaillants et restaurants canadiens avec une marge bénéficiaire. Auquel cas, l’accès au marché canadien se réduirait à 7.200 tonnes annuelles.
L’idée de l’entourloupe vient du fait qu’il y a une vraie inquiétude du côté canadien et québecois en particulier. Le secteur laitier redoute les imports made in UE et l’a fait savoir aux autorités canadiennes depuis longtemps. Mais celles-ci ont préféré rester discrètes vis-à-vis de leurs «amis» européens. En novembre dernier, il était seulement question d’une compensation de 350 millions de dollars canadiens par le gouvernement fédéral alors que les pertes potentielles sont estimées à une hauteur de 1,5 milliard des mêmes dollars.
Les sources qui se sont exprimées l’ont fait sous couvert d’anonymat et les réactions officielles sont maigres. Interrogé mi-juin, Justin Trudeau nous a gratifiés d’une enfilade de truismes: «nous savons que le commerce est important, nous recherchons de meilleurs produits et de meilleurs prix, nous devons veiller à protéger les intérêts canadiens…» (voir vidéo ci-dessous).
Pour la Commission européenne, une porte-parole confirme au même moment que «des échanges sont en cours sur les différents aspects de plusieurs règlements d’application et de mesures, notamment en ce qui concerne la gestion du contingent tarifaire sur le fromage». «Nous sommes optimistes quant à la résolution rapide de ces derniers problèmes, parce que les deux parties se sont engagées à assurer une application provisoire prompte et efficace du CETA», a-t-elle ajouté. Par charité, on se contentera de sourire.
Pour en revenir au Premier ministre canadien, on se demande à quel jeu il s’adonne quand le 29 juin, il fait diffuser le compte-rendu d’une conversation téléphonique avec Jean-Claude Juncker. Ainsi apprenons-nous qu’«il a vivement recommandé que l’accord soit appliqué de manière provisoire le plus tôt possible afin que ses retombées puissent se concrétiser». Il feint d’oublier que la proposition canadienne est à l’origine de ce nouveau report sur un calendrier déjà revu à plusieurs reprises. A ce jour, il n’existe aucun compromis connu et l’industrie laitière européenne, qui dispose de sérieux relais, n’acceptera pas d’application en l’état.
Outre le problème fromager sont aussi apparues des complications relatives aux médicaments génériques sur fond de propriété intellectuelle. Le dossier est très technique, il a d’ailleurs représenté une bonne partie du texte du C30 (projet de loi canadien visant à mettre en œuvre le traité). Là aussi, le diable se niche dans les détails avec des appréciations très diverses selon qu’on s’exprime d’une rive de l’Atlantique ou de l’autre. Et un accord n’a pas l’air de se dessiner. Les enjeux financiers sont conséquents et l’industrie pharmaceutique ne se confond pas avec une œuvre caritative.
Plus étonnant est ce que nous a appris la lecture d’un article du Soleil. En substance, le Québec ne serait pas de sitôt lié à l’AECG. La motion votée le 15 juin par l’Assemblée nationale de la Belle Province marque le début d’un long processus. A savoir d’abord l’adoption d’un «décret d’assentiment» en conseil des ministres, puis la présentation d’un projet de loi de mise en oeuvre prévu pour l’automne prochain et enfin, après le vote de cette loi, l’adoption d’un deuxième et dernier décret par le conseil des ministres, lequel liera alors officiellement le Québec à l’AECG.
Appliquerait-on provisoirement le traité partout au Canada sauf au Québec? Pour le moins bizarre. Une fois de plus, il est bien difficile d’obtenir une confirmation officielle.
Dans la première mouture du présent article, nous écrivions ceci.
«En définitive, l’entrée en vigueur de l’application provisoire du traité reste une inconnue. Parier sur une date semble aussi évident que de trouver de l’érable dans du sirop de Liège. Certains évoquent même 2018 comme horizon. Mais il semble que Trudeau plaidera une voie médiane au G20 qui se tient à Hambourg les 7 et 8 juillet. Cette voie serait une application provisoire rapidement mise en place en mettant de côté les dossiers litigieux, le temps qu’ils se règlent. Du coup, on comprend mieux le sens de son appel à Juncker et de la publicité qu’il lui a donné.»
C’est ce qui s’est finalement produit. Un communiqué commun de Justin Trudeau et Jean-Claude Juncker annonce: «Etant réunis au G20 de Hambourg, reconfirmant notre engagement commun en faveur d’un commerce international fondé sur des règles, nous sommes convenus de la date du 21 septembre 2017 pour entamer l’application provisoire de l’accord, afin que toutes les mesures nécessaires pour la mise en oeuvre soient prises d’ici cette date».
On suppose que toutes les mesures nécessaires visent aussi les litiges décrits plus haut. En tout cas, un porte-parole du ministre canadien du Commerce a déclaré que la question du quota fromages serait résolue avant la date butoir du 21 septembre. Wait and cheese…
Nous reviendrons d’ici peu sur l’avancement de la ratification du CETA et diverses nouvelles qui y touchent, dont l’installation ce 6 juillet de la Commission spéciale promise par Emmanuel Macron lors de sa campagne.
Article publié le 5 juillet et mis à jour le 9 juillet