Pierre Guelff, qui est un chroniqueur régulier sur le site de POUR, garde une unité de pensée tout au long des livres qu’il publie (Le chemin importe peu, la volonté suffit, De la puissance de la soumission à la force de la passion). Le pacifisme, la non-violence, la capacité d’agir pour chaque citoyen… sont les fils rouges qui inspirent ses écrits empreints d’Humanité et d’optimisme.
Le premier volet du livre “Et pourtant, ça marche” aborde la désobéissance civile. Les exemples de succès d’actes de désobéissance sans violence couronnés de succès prennent pour exemple les combats de Martin Luther King, de Gandhi, de Nelson Mandela et de Lech Walesa avec Solidarnosc. Le premier à avoir pratiqué et théorisé la désobéissance civile est probablement Henri David Thoreau qui refusa de payer ses impôts et vécut quasi deux ans dans une cabane isolée dans les bois.
Moins connue est Janrose Kasmir. Lors d’une manifestation non autorisée aux États-Unis, cette jeune fille de 17 ans s’avance vers des militaires de la garde nationale et leur tend une fleur. Cette photographie, prise par Marc Riboud de l’Agence Magnum, est devenue mythique, en tant qu’icône de l’affrontement entre la force et l’action non violente. A ce propos, Pierre Guelff écrit : « Cette photo est emblématique du mouvement pacifique qui perdure encore à l’heure actuelle : une fleur contre des armes, une attitude calme contre une attitude agressive, la paix contre la guerre ou la répression, la vie contre la mort. »
Pierre Guelff est souvent sur le terrain où se déroulent les affrontements entre ces deux mondes totalement opposés. Ainsi était-il présent lors de la Marche internationale non violente pour la démilitarisation entre Metz et Verdun, en 1976. Il était là dans le cadre de sa collaboration à POUR, première version. Il faut dire qu’il côtoya dans cette marche des personnages qui étaient ou allaient devenir célèbres : Lanza del Vasto, Théodore Monod, René Dumont, Bernard Clavel et les rédactions de La Gueule ouverte et de Charlie Hebdo : Cavanna, Wolinski, Reiser, Cabu… Ce dernier fut la victime de la violence extrême puisqu’il fut abattu lors de l’attaque de Charlie Hebdo par des djihadistes fanatiques.
Pierre Guelff détaille ensuite des combats menés par des citoyens ordinaires qui ont agi ensemble et qui ont souvent gagné leurs luttes sans avoir recours à la violence. On peut citer par exemple des actions comme les grèves de l’hiver 1960, en Belgique, contre « la loi unique », ou aussi le mouvement de mai 68 qui, au départ de revendications d’étudiants, a gagné toute la France. Il s’agit là de combats globaux qui concernent des pays entiers. Mais il est d’autres luttes plus locales qui sont souvent couronnées de succès. Le barrage prévu près de Couvin ne fut jamais construit suite à un mouvement citoyen de la population locale. Le camp militaire qui voulait chasser les paysans du lieu pour s’étendre sur le plateau du Larzac ne s’est jamais étendu ni développé. On se souviendra du démontage d’un Mac Donald avec comme figure exemplaire José Bové. Ce dernier a connu une telle célébrité qu’il est devenu député européen. Des actions originales, spectaculaires ou humoristiques sont une des armes non-violentes les plus efficaces. Dans cette stratégie, on citera Greenpeace ou Extinction Rebellion.
Coup de génie initié par Solidarnosc face à la propagande de l’État à la télévision et que le peuple ne supportait plus : « Des gens (des milliers et des milliers dans tout le pays) placèrent leur téléviseur dans une brouette ou une poussette et se promenèrent dans les rues à l’heure du JT ! »
Srdja Popovic qui lutta contre le régime de Milosevic, en Serbie, comprit que la militance ne devait pas être ennuyeuse. Son expérience de cette lutte, avec le mouvement Otpor! contre un régime dictatorial, lui inspira un livre : Comment faire tomber un dictateur qui est un véritable vade-mecum des multiples manières de déstabiliser un régime autoritaire. Banksy, lui, utilise les murs pour peindre ses œuvres militantes (photo de couverture du livre).
Les manifestations du vendredi des élèves en grève pour sensibiliser au dérèglement climatique, sont aussi un mouvement qui, sous l’inspiration de Greta Thunberg, jeune Suédoise du même âge que les jeunes grévistes des cours, a grandement œuvré à la prise de conscience de la population des dangers qui se profilent à l’horizon. Elle dénonce radicalement l’inertie des responsables politiques ou industriels.
La troisième partie du livre est constituée d’une série de biographies de personnes qui, au cours de leur vie, ont fait preuve de qualités que l’auteur juge importantes et qui ont agi de manière pacifique. Classées par ordre alphabétique, depuis Albert Camus et Angela Davis jusqu’à Rosa Luxembourg et Rosa Parks, en passant par Christine Mahy ou Jane Fonda, Pierre Guelff décrit les actions de 25 personnalités qui ont fait preuve de détermination pour lutter contre les injustices de ce monde sans jamais avoir recours à la violence. Où l’on se rend compte que le pouvoir de la parole et l’utilisation d’actions originales ou symboliques permettent de faire avancer une cause bien plus que la violence. Parmi ces 25 personnalités, on trouve 13 femmes pour 12 hommes. Alors que pour les faits d’armes, on trouve uniquement des hommes, ici les femmes sont légèrement majoritaires. On a là la confirmation que les femmes sont souvent plus avisées que les hommes et ont à cœur de défendre leurs idées sans recourir à la force brutale.
On remarque également que l’auteur a rencontré bon nombre des personnalités citées et les a parfois interviewées. En effet, le parcours de Pierre Guelff est varié – ouvrier, coopérant technique au Tiers-Monde, journaliste, auteur, chroniqueur de presse écrite et radio. Il fait la preuve qu’il n’est pas seulement un spectateur des faits qu’il décrit, mais est aussi souvent un acteur de terrain.
En conclusion, on pourrait croire que ces exemples sont mis en avant, mais que des luttes violentes sont plus efficaces. Une étude réalisée en 2011à l’Université de Columbia démontra qu’entre 1900 et 2006, il y eut 323 conflits d’envergure et que 26% ont réussi par les armes et 53 par la non-violence. On peut dès lors être d’accord avec le titre du livre de Pierre Guelff : Et pourtant ça marche, le pacifisme et la non-violence.
Alain Adriaens
Éditeur Le livre en papier
Octobre 2023
175 pages, 10€