“Good Move ou Bad Move ? ” : NOTRE DOSSIER

UNE ANALYSE DE GWENAËL BREËS.

Il y a des débats plus empoisonnés que d’autres. Des débats manichéens où deux camps irréconciliables semblent occuper tout le terrain, réduisant l’espace des nuances à peau de chagrin. Des débats clivants où se mêlent rapports de domination, dogmes, modes de vie et de survie, questions éthiques, affects à vif…
Le débat qui fait rage sur le nouveau plan de mobilité de la Région bruxelloise est de ceux-là.
Il met en jeu les habituels antagonismes entre défenseurs et opposants à la voiture, et ce n’est pas tendre.

Mais au-delà de ces positions tranchées, il agit comme un révélateur de l’état de la démocratie urbaine, de l’accélération des inégalités sociales et du déni qui continue à entourer les questions écologiques.

 

Pas besoin d’avoir suivi de près la mise en place des premières “mailles apaisées” cet été, pour comprendre qu’elles ont été synonymes de déficit de concertation avec les populations des quartiers concernés… Et ce malgré les années de préparation de Good Move, version modernisée et anglicisée des plans régionaux de mobilité, dont les prédécesseurs (Iris I en 1998 et Iris II en 2010) “n’ont pas produit le changement espéré” selon la Région bruxelloise.

Good Move a été lancé en 2016, conçu à douce allure jusqu’à son adoption en 2020 après une enquête publique de quatre mois, mais c’est à l’été 2022 que son application est passée à la vitesse supérieure et que le plan est devenu tangible pour un grand nombre de Bruxellois.
Car les autorités ont beau avoir diffusé de l’information pendant toutes ces années, comment nier que celle-ci fut amplement insuffisante et pédagogiquement déficiente au regard des enjeux et des incidences concrètes dans la vie quotidienne des habitants ? Essentiellement cantonnée à des canaux que le commun des mortels ignore le plus souvent (tout comme nul citoyen n’est censé ignorer la loi mais n’en lit pas pour autant le Moniteur Belge), elle fut probablement confiée à des communicants dont la spécialité est d’emballer un message politique comme d’autres emballent des sodas.
Avec pour résultat des apparences smart, apaisantes et souriantes, un langage inepte et une grammaire peu inclusive véhiculant une forme inconsciente d’arrogance envers qui n’appartient pas à la catégorie sociale de ses concepteurs – les selfies et autres vidéos égocentristes de différents ministres et échevins “verts” de la mobilité n’y font pas exception.

Mais de véritable concertation (du latin concertare, se mettre d’accord), faut pas rêver.
Dans l’éventail des techniques de gouvernance, la “participation citoyenne” se limite au pire à un effet de manche, un gimmick, voire une instrumentalisation des habitants ; et au mieux, à une belle intention menée sur des temps trop courts, sur des enjeux rendus trop peu perceptibles, avec des moyens trop limités et des pratiques trop institutionnelles pour impliquer un nombre significatif de personnes aux profils sociologiques variés.
Quelle que soit la raison pour laquelle les institutions bruxelloises ne mènent pas de processus réellement participatifs, le résultat est le même : le fait de claironner leur prétendue existence provoque de perpétuels malentendus, frustrations et ressentiments.

À ce premier écueil, il suffit d’ajouter quelques-uns des ingrédients relativement habituels des politiques urbaines à Bruxelles, tels une dose de mécanique institutionnelle, une ration de marchandage et de compromis entre différents partis et niveaux de pouvoir, un zeste de technocratie et d’incompétence – ou à tout le moins de méconnaissance de certaines réalités de terrain (les “mailles” ne font pas l’objet d’études d’incidences)… et voilà comment on obtient, sans réelle surprise, un résultat qui ne tient pas la route.
À l’image de la “maille apaisée” de Cureghem qui a vu la population découvrir, un beau matin de juillet, des blocs de béton posés brutalement au milieu des rues, assortis de “boucles de circulation” et de quelques panneaux de signalisation kafkaïens, l’ensemble produisant paradoxalement une augmentation des embouteillages et de la pollution dans les artères vers lesquelles le trafic censé “s’évaporer” avait été renvoyé.

Même s’il ne s’agissait-là que d’un “test grandeur nature” destiné à observer la répartition des flux avant de procéder à des aménagements définitifs, même si l’intention des “mailles” est de décourager les automobilistes de traverser les quartiers résidentiels, et non d’empêcher les riverains de s’y rendre, et bien qu’il soit évident (aux yeux des planificateurs du moins) que changer des habitudes requiert du temps, admettons qu’il y a plus enviable carte de visite pour un dispositif qui prétend “apaiser” un quartier, en améliorer les conditions de vie et y diminuer la pollution.
En l’absence de réel dialogue et de toute autre forme d’accompagnement, la “simplification routière” n’a pas été mieux reçue par les automobilistes locaux que la “simplification administrative” n’est généralement comprise par les citoyens.
Le dispositif a été vécu comme une décision hors-sol, un “enfermement” des habitants dans leur quartier, et la symbolique particulièrement malheureuse des barrières et blocs de béton (dites : “filtres multimodaux”) a exacerbé cette colère.