Ce dimanche s’achèvent les représentations de Birds, un spectacle participatif imaginé par Seppe Baeyens, chorégraphe chez Ultima Vez, et co-créé par Martha Balthazar et Yassin Mrabtifi. Le but de ce spectacle ? Se réapproprier l’espace public et faire tomber les parois qui divisent nos sociétés.
Se découvrir et découvrir les autres par le partage d’un moment, d’un espace, d’un sourire ou d’un regard
Avant de partir en tournée européenne, le spectacle Birds se joue deux dernières fois ce dimanche après midi Rue de l’Intendant à Molenbeek, devant le numéro 225 . C’est un pari réussi pour le chorégraphe Seppe Baeyens, qui explore la création de communautés éphémères. On n’assiste pas à Birds, on prend part à une nuée d’oiseaux et on se laisse entrainer par les danseurs qu’on saurait à peine distinguer du public. Et ce « on » englobe tout le monde. Qu’on ait trois ou 90 ans, que l’on soit noir ou blanc, riche ou pauvre, artiste ou non. Tout le monde est le bienvenu, et on irait même jusqu’à dire que tout le monde est attendu. C’est l’essence même de ce spectacle. Se découvrir et découvrir les autres par le partage d’un moment, d’un espace, d’un sourire ou d’un regard. C’est en ce sens que le pari de Seppe Baeyens est réussi. A en voir la communication silencieuse entre participants, on a le sentiment d’assister à une grande fête entre amis. C’est nouveau pour la plupart d’entre nous, ça a une saveur bien particulière après un an de restrictions sanitaires et de fêtes interdites, et c’est donc forcément déroutant.
Un projet plus qu’un produit
Martha Balthazar, co-créatrice et dramaturge, explique que le processus de création a démarré trois ans avant le début du spectacle. Au début, la majeure partie de ce travail de recherche artistique consistait juste à être dans la rue et observer. Observer le comportement des passants, leurs déplacements, leurs interactions. « La première chose qu’on a remarqué, c’est ce que déclenche le contact visuel », raconte-t-elle. C’est ensuite avec des ateliers de quartiers ouverts à tous que l’idée de sélectionner des danseurs amateurs leur est venue. Tous les samedis depuis 2017, ces ateliers ont lieu dans les studios d’Ultima Vez et ont été créés de la manière la plus ouverte possible. Une participation financière libre, pour tous les âges, dans toutes les langues et sans pré-requis. Lors de ces ateliers, des parents amènent leurs enfants, d’autres tombent dessus par hasard. On y voit donc une diversité générationnelle poussée à son paroxysme. Le plus âgé, c’est Léon, 97 ans et voisin des locaux d’Ultima Vez : « c’est certainement le plus vieux danseur du monde », rigole Seppe Baeyens. Cette diversité est d’ailleurs primordiale pour lui et ses acolytes lors des spectacles :
c’est important que toutes les tranches d’âges soient représentées, pour créer un miroir de la société, une représentativité.
Elle sert en effet à ce que tout le monde puisse s’identifier à un danseur, que tout le monde se donne le droit de participer. Et ils ne s’arrêtent pas là. Le but, c’est aussi de rassembler les communautés, qui se mélangent si peu à Bruxelles, de les faire se rencontrer autour d’une activité commune. « C’est une autre manière de rencontrer les gens, sans demander le prénom ou le métier. Ça se fait par le regard, par le partage d’un espace commun. C’est encore plus intéressant selon moi. On se détache de ce que la société nous demande de faire pour se connaître, et ça rend la chose encore plus honnête » explique Yassin Mrabtifi, également co-créateur et spécialisé dans le mouvement. Tinka, l’une des participantes, le rejoint d’ailleurs sur ce point : « ça fait réfléchir sur l’espace qu’on occupe individuellement et celui qu’on partage avec les autres. J’ai l’impression d’avoir eu la chance de connaître tous les participants. » Des participants et danseurs qui n’auraient peut-être jamais mis un pied dans le monde de la danse contemporaine sans ce projet.
Rendre la culture accessible à tous
“Ce n’est pas une invasion, mais une invitation à venir, à être ensembles, à faire quelque chose ensembles.”
Le but de Birds, et de Seppe Baeyens dans sa recherche artistique de manière plus générale, c’est aussi de faciliter l ’accès et de sensibiliser à la culture. C’est en effet un énorme problème en Belgique. En 2018, selon rapport d’enquête de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 21% des enfants de 1e et 2e primaire affirmaient n’avoir aucune activité en dehors de l’école. Aussi, une commune sur deux inscrites dans le dispositif « Accueil durant le temps libre » indiquait que le coût des activités culturelles et sportives pouvait représenter un obstacle à la participation des enfants. Un accès à la culture généralement trop cher et marqueur, encore une fois, des énormes disparités économiques en région bruxelloise. La culture, c’est pour les riches ! C’est donc essentiel pour Seppe Baeyens de la rendre accessible. L’idée n’est donc pas d’uniquement se représenter dans des communes défavorisées, au risque de participer au phénomène de gentrification qu’elles connaissent, mais de faire participer leurs habitants. Comme l’explique si bien Yassin Mrabtifi, les gens de ces communes sont alertes et sentent ce phénomène arriver à grand pas. Beaucoup, d’ailleurs, commencent à résister en refusant de vendre, de quitter leur quartier. « Dans cet état d’esprit, dès que les gens sentent que ce n’est pas une invasion, mais une invitation à venir, à être ensembles, à faire quelque chose ensembles, il y un autre rapport », explique-t-il. Et bien au-delà, ce genre de projet crée selon lui de nouvelles opportunités pour certains jeunes
il faut enfoncer les portes qui sont fermées à des artistes issus de communautés alternatives, pas forcément ethniques mais aussi plus ostracisées et moins visibles dans la société.
Dans cette optique, et en hommage à Léon, le plus vieux danseur du monde, le chorégraphe d’Ultima Vez a décidé de suivre son propre chemin en créant les Ateliers Léon. Un projet qui s’inscrit dans la durée et qui permettra à des jeunes de grandir avec cette opportunité.
Nicolas Perrin
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