Depuis des mois les signes s’accumulent: la cocotte-minute financière semble sur le point d’exploser encore une fois, même si jusqu’ici tout cela « tient » grâce au soutien appuyé des décideurs politiques et autres gouverneurs de banques centrales[1]. On ne peut pas en dire autant des écosystèmes et du vivant en général, dont la destruction s’accélère à grands coups de béton, d’incendies et autres accidents provoqués par ceux qui mènent la danse. L’une ne va bien sûr pas sans l’autre et il faut épuiser et détruire pour nourrir ces détenteurs de capitaux qui en demandent toujours plus. Mais la situation est intenable pour une part croissante des habitant∙e∙s de cette planète et ceux et celles qui résistent, à commencer par le sud du globe, sont assassiné∙e∙s, enfermé∙e∙s, jugé∙e∙s, frappé∙e∙s, mutilé∙e∙s, ou « juste »empêché∙e∙s ou gêné∙e∙s dans leur liberté d’action et de parole.
Une prochaine crise financière pourrait bien crisper encore plus ceux qui se trouvent à la tête des pouvoirs (politique, économique, médiatique) et gagnent à maintenir le système tel quel. Crispation répressive, crispation autoritaire et austéritaire… Mais ils ne le pourront que si nous acceptons encore une fois de payer la facture. Ce qui rend la chose difficile, c’est que nous sommes pris.es dans ce système et que nous n’avons pas envie de voir nos petites économies partir en fumée avec le prochain krashboursier ou la prochaine faillite bancaire. Alors le moment venu, difficile de ne pas céder aux sirènes du sauvetage total et immédiat pour « éviter le chaos ». Il faudra sûrement sauver quelque chose, mais cela ne veut pas dire qu’il faudra TOUT sauver, qu’il faudra sauver TOUT l’argent de TOUT le monde. Cela ne veut pas dire que l’on doit encore une fois accepter leurs conditions.
Et si nous prenions le temps de parler de tout cela ? Si nous nous arrêtions, le plus souvent possible, quelques heures, quelques jours, de faire tourner la machine à détruire et qu’ainsi nous nous libérions du temps pour penser à d’autres scénarios que ceux qu’on nous impose, pour résister à celui qui se déploie contre nous, et pour (re)construire ?
Penser sans ce système qui oppresse et détruit, et à son avant-garde, l’appareil financier qui tourne plus que jamais au service d’une minorité – tout aussi flippée que nous si l’on en croit l’engouement pour les bunkers de luxe et la ruée vers les terres réputées les plus préservées et les plus fertiles. Les rats quittent le navire, mais s’empressent bien, avant cela, de pomper toutes les réserves, minérales et vivantes, et de s’accaparer ce qu’il reste d’espace.
Penser les moyens de résister à sa prochaine explosion, puisqu’elle est imminente, et que si l’on n’y prend garde, c’est encore la majorité qui n’y est pour rien ou pas grand-chose qui va payer les pots cassés. Préparons-nous à reprendre, à nous réapproprier des banques qui feront faillite, à en arrêter les activités nocives ou inutiles, et à faire assumer les pertes à ceux qui ont accumulé tant de gains ces dernières années – que dis-je, ces dernières décennies. L’expropriation fait peur, mais de quoi avons-nous peur au juste ? Parce que les milliards ne manquent pas contrairement à la soi-disant pénurie qu’on essaie de nous faire avaler: les milliards, « quand y’en a plus, y’en a encore », il suffit de regarder la liste Forbes et autres classements mondiaux des grosses fortunes.
Retrouver une autonomie, non pas individuelle mais collective, dans la production des biens dont nous avons l’usage, dans l’accès à un logement pour toutes et tous sans que le paiement de ce logement ne soit la cause de tous nos renoncements, dans la production et l’accès à une alimentation saine, qui respecte ceux et celles qui la produisent, qui respecte la terre et qui respecte chacun∙e de nous qui mangeons. Pour que les crises financières ne nous affectent plus, la construction de cette autonomie passera nécessairement par le refus de payer des dettes illégitimes, oppressantes et dont le remboursement infini vole nos futurs. Elle passera par des luttes difficiles, mais elle passera aussi par la découverte de tout ce que nous pouvons construire de magnifique si nous nous y mettons et que nous osons rejoindre ceux et celles qui ont déjà commencé.
Aline Fares
[1]Voir l’article de Martine Orange, « Alerte rouge sur le marché monétaire »”, Mediapart, 18 septembre 2019.