Réflexion sur la présentation du livre de Chantal Mouffe,
«L’illusion du consensus»
La dénonciation du consensus mou autour de la démocratie libérale couplée à l’économie de marché est très convaincante. Le principe du TINA (There is no alternative) qui discrédite, a priori, toute recherche ou espoir d’une autre organisation politique, économique et sociale de la collectivité nationale, régionale ou internationale, est totalement inacceptable.
Les concepts d’agonisme et de plurivers réhabilitent quant à eux les principes de conflit (entre adversaires et non ennemis) et de pluralisme dans la et entre les société(s).
Cette approche est stimulante pour les nombreux partisans d’une société plus démocratique, plus sociale, plus humaine, débarrassée des prédateurs humains, parasites de l’économie capitaliste des marchés non régulés. Elle nous indique en effet que le conflit est nécessaire et que la lutte contre les tenants de cette économie inégalitaire par nature est indispensable pour créer l’autre modèle sociétal espéré.
Se pose alors la question du rapport de force entre les adversaires: tenants du capitalisme néo-libéral aujourd’hui triomphant et se présentant comme seul modèle possible dans une société de liberté (liberté de qui et pour qui?) d’un côté; militants des organisations politiques, sociales, associatives de toutes catégories, dont le dénominateur le plus commun est celui de vouloir ériger une société répartissant équitablement les bénéfices de l’économie et les bienfaits des progrès scientifiques.
Contre «l’illusion du consensus», ne pas promouvoir «l’illusion du dissensus»
Le dissensus est en effet la maladie chronique des partis, mouvements et associations progressistes. Chacun a la tentation de s’accrocher à ses caractéristiques distinctives et, dès lors, à critiquer voire à combattre les spécificités des autres. D’où l’incapacité à s’unir pour créer l’indispensable rapport de force: c’est en effet le poids de l’ensemble du mouvement progressiste qui peut, avec quelque chance de succès, déstabiliser le poids de la «majorité consensuelle» dominante.
L’exemple politique français est, à, cet égard, particulièrement éclairant. C’est au cours des périodes d’unité que des avancées politiques et sociales ont été réalisées. Pensons au Front populaire de 1936, à l’union de la résistance au sortir de la seconde guerre mondiale, à l’Union de la gauche avec Mitterrand en 1981, à la «gauche plurielle» de Jospin en 1997-2002. Ces périodes «d’unité» n’étaient pas celles du consensus mou, mais d’un accord pour donner la priorité à l’action en commun, plutôt qu’aux luttes politiques entre forces progressistes. Cela supposait de mettre en sourdine certaines spécificités politiques et de pousser ensemble les objectifs partagés.
Comment créer aujourd’hui une telle dynamique tant au niveau régional ou national (fédéral en Belgique) qu’au niveau européen et international?
Plutôt que de nous opposer, au sein des forces progressistes, entre partisans et adversaires de l’allocation universelle, partisans et adversaires de l’abandon de l’euro, partisans et adversaires de la décroissance, partisans et adversaires de la sortie de l’OTAN, etc., mettons provisoirement ces divergences entre parenthèses et unissons nos efforts dans la construction du rapport de force global contre le néolibéralisme et la financiarisation de l’économie.
Philippe Lamberts préconisait cette démarche d’une unité «rouge-rose-vert» le 24 mai dernier lors du débat «Tempête sur la gauche» à Bruxelles et le 31 mai à Namur lors de notre soirée-débat «Changer l’Europe». C’est aussi la pratique de nos parlementaires progressistes du Parlement européen, de chercher, chaque fois que la possibilité se fait jour, de bâtir une majorité alternative à la majorité traditionnelle des conservateurs, sociaux-démocrates et libéraux.
Est-il vraiment illusoire d’espérer qu’une telle dynamique soit consciemment et systématiquement mise en oeuvre dans tous les lieux et enceintes du débat politique?