Une expérience de transition au sud de l’Espagne

S’engager dans la voie de la transition implique assez souvent une rupture nette avec sa vie antérieure. La rupture qu’ont décidée Isabelle et Cédric est vraiment grande. En migrant en Andalousie ces deux jeunes Belges ont concrétisé la réponse à leur question « Peut-on, avec peu de moyens, s’installer loin des villes, pour vivre selon ses convictions lorsqu’on est une famille aspirant au bien-être, à la simplicité et au respect des autres et de la nature ? ».

Les Alpujarras sont ces petits villages blancs qui constellent une vallée longeant le flanc sud de la Sierra Nevada à mi-chemin entre Grenade et Alméria. C’est à proximité d’un de ces villages, Yegen, qu’Isabelle et Cédric sont allés s’installer il y a près de 7 ans. En contre-bas de ce village est un énorme rocher appelé el peñon del Fuerte, un roc aux faux-airs de château-fort en ruine. C’est à son pied que nos deux « aventuriers des temps modernes » ont posé leurs pénates dans une ferme qu’ils ont baptisé la Finca del Fuerte.

Quitter la ville

Alors qu’ils étaient engagés dans une vie ordinaire, avec bon boulot et tout et tout, nos deux jeunes urbains ont voulu « un rythme de vie plus tranquille et moins dépendre de modes de production néfastes pour les hommes et la nature, quitte à faire nous-mêmes ». Ils ont cherché un lieu qui corresponde à cette attente et l’on trouvé un endroit permettant une transition vers un mode de vie responsable et écologique au sud de l’Espagne, près d’un village qui ne compte guère plus de trois cents âmes. Il faut dire que les habitants traditionnels des Alpujarras ont toujours vécu de cette manière, même si les temps ont changé et qu’aujourd’hui beaucoup s’étonnent de la démarche des nouveaux arrivants : pour eux, la ville c’est mieux que la campagne.

Comme tous les immigrés de fraîche date, Isabelle et Cédric doivent se faire accepter. « Sans prétendre être complètement intégrés, nous participons aux activités et événements qui rythment le village et les environs : fêtes patronales, potager collectif, association de producteurs bio, système participatif de garantie. Nos enfants vont à la petite école du village qui ne compte plus qu’une grosse dizaine d’enfants. Cédric est le seul étranger à assister aux réunions de l’importante « communauté des arroseurs », terminologie traditionnelle pour les personnes du village qui utilisent l’eau de la montagne à des fins agricoles et constituée exclusivement d’hommes ! ». De fait, l’eau est d’une importance cruciale dans cette région au climat continental en hiver et sec semi-aride en été. Et comme dans bien des régions (ou chez nous avant la privatisation des biens communs), l’élément vital au sens premier du mot qu’est l’eau, est gérée collectivement par la communauté qui lui doit sa survie.

« Faire nous-mêmes »

Pour ce qui est de leur intention de « mettre la main à la pâte », les nouveaux fermiers sont passés à l’acte. Depuis la vue imprenable qu’offre le sommet du « fort » sur le domaine on découvre une petite maison de bois et de paille auto-construite, les bassins d’irrigation et trois potagers. Peu de végétaux ont des racines capables de retenir les eaux de pluies – abondantes au printemps et à l’automne – et le sol, souvent à nu, a perdu sa couche humique depuis longtemps. Par ici, pas de culture en été sans captation de l’eau venue de la montagne.

Ils cultivent donc près de 150 oliviers qui étaient déjà là et qui sont parfaitement adaptés au rude climat local. Ils produisent ainsi de l’huile d’olive. Ils commencent aussi à échanger avec les voisins les produits de leur potager et  des quelques fruitiers qui commencent à pousser. Un regard attentif remarquera peut-être en effet quelques jeunes arbres discrets (les plantes qui résistent à la sécheresse poussent lentement) : « Au cours de ces 5 dernières années, nous avons planté près de 200 arbres, d’une vingtaine d’essences différentes, capables de résister aux longs étés avec très peu d’eau ». L’énorme travail de terrassement est, lui aussi, peu visible : « Nous avons passé un temps incalculable à niveler, creuser des baissières, des rigoles, et des trous au pied des arbres ; à faire des buttes ; et à remblayer les ravines avec branches, pierres et BRF (bois raméal fragmenté). Pour relancer l’activité biologique du sol, outre nos toilettes sèches, nous utilisons du fumier et du compost : aucun déchet organique ne sort de notre terrain ! C’est une des routines qui permet d’augmenter peu à peu la productivité de nos potagers, et qui a déjà contribué à redonner vie à plus de 500m² de terre meurtrie par des années d’érosion et de traitement au glyphosate.

Il nous aura fallu du temps pour mettre en place l’indispensable et nous adapter à cette nouvelle vie : découvrir le patois local ; comprendre le climat – si différent de celui de notre plat pays natal – ; apprendre à manœuvrer les canaux d’irrigation et la culture des arbres et plantes avec des étés de 4 à 5 mois sans pluie ; remettre en production les quelque 150 oliviers que compte notre terrain, en prenant soin de la biodiversité. Semer, arroser les jeunes plantes, surveiller le niveau des batteries et nous adapter en permanence à la météo sont autant de routines avec lesquelles nous devons encore nous familiariser. En outre, la transformation des produits du potager, la préparation des repas, les lessives et la vaisselle nous prennent beaucoup de temps. Il y a aussi les animaux à nourrir et les seaux des toilettes sèches et des déchets de cuisine à vider tous les jours. Sans compter qu’il n’est pas toujours évident de s’occuper de deux enfants en bas âge [en plus du travail dans le domaine, notre couple a aussi fabriqué deux descendants] avec peu d’aide extérieure. Bref, nos journées sont bien remplies et le travail ne manque jamais ».

Si vous voulez connaître plus en détail le lieu, les travaux et les jours qui se déroulent en ce beau domaine, il suffit d’aller sur le très convivial site qui présente tout cela. On réalise ainsi que c’est dans le domaine informatique que Cédric œuvrait lorsqu’il était en Belgique.

Rendre possible à d’autres cette simplicité de vie

« Les aspects positifs nous apparaissent nombreux : nous ressentons la satisfaction d’être acteurs de nos vies. Nous mettons les choses en œuvre pour être physiquement et psychiquement sains. Nous sommes en famille la plupart du temps et pouvons être auprès de nos fils, les voir et les aider à grandir. Nous avons du temps pour faire la cuisine, jouer de la guitare ou repriser nos chaussettes, sommes beaucoup au grand air et profitons d’un environnement paisible. Nous avons la conviction que notre démarche est accessible au plus grand nombre et que si nous sommes loin de mener une vie de château en Espagne, nous n’en n’avons pas besoin pour être heureux. Nous continuons de penser que choisir soi-même la vie que l’on veut mener est un premier pas vers l’épanouissement personnel ».

C’est dans l’idée de rendre possible cette transition vers une vie frugale et heureuse qu’avec une dizaine de sympathisants enthousiastes de la première heure, Cédric et Isabelle ont cofondé l’association ResiWay dont le but est de mettre en relation, encourager et soutenir les initiatives qui, comme la leur, s’efforcent d’aller dans le sens du bien-être et de la résilience (la capacité d’une communauté à faire face aux changements tout en s’épanouissant).

Chacun à son échelle mais ensemble dans la même direction.

Sur le site internet www.resiway.org , les informations sont libres dans le cadre des règles des Creative Commons et le développement informatique des outils de partage est ouvert à tous. Autrement dit, la plateforme est collaborative et chacun peut y poser des questions ou partager des trucs et astuces bio, écologiques(« Par quoi commencer pour réduire un peu mes déchets ? Quel remède naturel contre mes maux de tête menstruels ? Est-ce qu’un vermicompost dans ma cuisine va attirer des mouches ? », etc)

L’objectif de ResiWay est teinté d’optimisme : « L’idée est de pouvoir agir, chacun à son échelle mais ensemble dans la même direction. Que l’on cultive un jardin permacole ou quelques herbes aromatiques sur le balcon de son appartement ; que l’on souhaite être autonome en énergie ou réduire sa facture électrique ; que l’on soit Pierre Rabhi ou Anne Onyme, tous, nous pouvons participer à une large diffusion des savoirs pour apprendre à vivre de manière saine et écologique, à faible coût énergétique et économique, et mener ainsi l’Humanité à un bel avenir ».