Trumpitudes du libre-échange

On n’a pas fini de parler de la victoire de Donald Trump et de ses causes avérées ou supposées. Mais dès le lendemain du scrutin, on envisageait aussi les conséquences de cette arrivée au pouvoir et il serait plus exact de dire qu’on s’en inquiétait, et ce tout azimut. Au rang des principales préoccupations sont apparues la vision de l’économie et la politique commerciale.

La Commission européenne, par la voix de son président, a été parmi les premiers à se manifester. Jean-Claude Juncker a enjoint le 45ème président étatsunien à clarifier son programme, citant d’abord le commerce mondial. Concernant le TTIP, il a estimé que l’accord ne devrait pas se produire dans les deux prochaines années. Le lendemain, Cecilia Malmström, indéfectible optimiste, a déclaré s’attendre à une pause dans les négociations.

A suivi le même jour une réaction du FMI dont les Etats-Unis sont les premiers actionnaires. Le porte-parole Gerry Rice n’a pas craint de déclarer que «les effets négatifs du commerce international doivent être davantage pris en compte en faveur de ceux qui se sentent laissés-pour-compte», ajoutant que la mondialisation devait davantage profiter à «tous». On appréciera.

Toujours de l’autre côté de l’Atlantique, les deux partenaires de l’ALENA que sont le Mexique et le Canada depuis 1994 n’ont pas non plus tardé à réagir. Pour rappel, lors de sa campagne, le candidat républicain avait répété qu’il exigerait au plus vite une renégociation voire une abrogation de cet accord. Le pire jamais signé par les Etats-Unis selon lui.

Justin Trudeau, premier ministre canadien, a d’emblée fait savoir qu’il était ouvert à une renégociation, mais assurément pas avec l’idée de casser l’accord. Quant au président mexicain Enrique Peña Nieto, dont le pays a été fustigé à de nombreuses reprises par le multi-milliardaire, il a affirmé vouloir privilégier le dialogue. Lui aussi défend avec force l’ALENA.

Cette question d’une abrogation, de nombreux commentateurs et analystes se la sont posées. Juridiquement, elle est possible mais faute de jurisprudence, il n’est pas sûr que la décision puisse être prise sans l’aval du Sénat américain. Et là, les choses se compliqueraient indubitablement. Mais ALENA ou non, Mexique et Canada pourraient souffrir du protectionnisme annoncé. On situe mieux les enjeux quand on sait que la moitié de l’économie canadienne dépend des exportations vers les États-Unis et que 75% de l’export est destiné à ce puissant voisin.

Retour en Europe, à Luxembourg précisément. Le dimanche suivant l’élection s’est tenu un dîner informel imprévu entre ministres des Affaires étrangères, à l’initiative de Federica Mogherini, chef de la diplomatie de l’UE. Pour débattre d’une approche commune vis-à-vis de l’administration Trump mais aussi, selon un haut responsable européen, «pour faire remonter les sujets prioritaires à leurs yeux, qu’ils soient régionaux, thématiques ou liés à la défense et à la sécurité».

Avaient décliné l’invitation Boris Johnson, qui n’en voyait pas l’intérêt, le Hongrois Peter Szijjarto, dont le gouvernement s’est affiché pro-Trump, et Jean-Marc Ayrault, pour une question d’agenda. Les déclarations d’après dîner n’ont pas donné lieu à des révélations. Avoir un partenariat fort avec la nouvelle administration et faire entendre la voix de l’Europe furent les deux principaux échos.

Des jours qui ont suivi jusqu’à aujourd’hui, on retiendra encore l’attitude réservée et prudente de l’actuel président comme du futur président des Etats-Unis. Dès le 11 novembre, l’administration Obama annonçait la suspension des démarches visant l’adoption du Partenariat Trans-Pacifique par le Congrès. Les efforts intenses déployés depuis des mois pour une ratification avant l’intronisation du nouveau président auront donc été vains.

Ensuite, lors de sa tournée d’adieu en Europe, Barack Obama a laissé Angela Merkel annoncer que le TTIP était rangé au placard. Pour ce partisan acharné des accords commerciaux multilatéraux de grande envergure, l’échec est patent.

Du côté du richissime homme d’affaires, il a été peu question de commerce international. Son slogan «America first» s’est vérifié avec les premières nominations de son équipe — pour la plupart très controversées et inquiétantes pour la suite —. Celles-ci ont en effet concerné son administration, la politique intérieure et la sécurité avec les désignations successives du secrétaire général de la Maison Blanche (Reince Priebus, président du parti républicain), du conseiller spécial du président et stratège en chef (Steve Bannon, ultra et anti à tout crin), du conseiller à la sécurité nationale (l’anti-islam Michael Flynn), du ministre de la Justice (Jeff Sessions au passé raciste) et du patron de la CIA (le faucon Mike Pompeo).

En début de semaine, Donald Trump a diffusé une vidéo où il énonce ce que seront ses 100 premiers jours au pouvoir. Histoire de marquer les esprits en rappelant une des promesses emblématiques de sa campagne, il commence par déclarer qu’au«day one», il engagera l’abandon du TPP. La suite de son programme n’évoque plus le libre-échange et rejoint grosso modo le mémo de transition pour les 200 premiers jours que CNN avait divulgué peu avant. Wait and see.

A lire en complément

Le programme économique de Trump en 7 thèmes clés

Trump, Brexit: les naufragés du «libre-échange», une mise en contexte de la victoire de Trump par l’économiste Jean Gadrey