Trois femmes et un coup fin (3)

En 2016, le Parlement de Wallonie s’est fait (re)connaître avec le CETA et une résolution votée fin avril. C’est Stéphane Hazée qui, le premier, s’était inquiété des conséquences de ce traité. Et le rôle du président André Antoine a été essentiel tout au long du processus. Mais que ce soit en commission ou en dehors, il y eut aussi le travail consistant et au long cours fourni par les 3 députées wallonnes que sont Hélène Ryckmans (Ecolo), Marie-Dominique Simonet (cdH) et Olga Zrihen (PS).
En cette fin d’année, nous avons voulu leur donner la parole pour revenir sur cette tranche de vie parlementaire. A Hélène Ryckmans et Olga Zrihen succède Marie-Dominique Simonet.

 

Vous vous êtes très impliquée dans l’opposition au CETA, au sein du Parlement wallon. Pourquoi?

J’ai été ministre des Relations internationales dans le gouvernement wallon, de 2004 à 2009. En 2014, lors de la mise en place du Parlement wallon, je me suis donc tout naturellement engagée dans sa commission des affaires européennes. Je suis favorable à l’Union européenne, mais il y a des orientations qui ne me conviennent pas, et la meilleure façon de changer les choses, c’est de s’engager. Je suis pour une Europe avec ce qu’on souhaiterait y trouver, plutôt qu’avec ce qu’on y trouve actuellement.

Mais je n’étais pas spécialement motivée par les traités de libre-échange. Je n’avais pas pensé aux traités TTIP et CETA. On découvre les choses petit à petit. C’est comme avec la directive détachement, on voit maintenant ce que ça donne, un dumping légal en plus d’un dumping illégal! Cette directive, le MR était pour, ils écoutaient les patrons. Aujourd’hui, ce sont les patrons qui demandent d’arrêter avec ça, notamment dans le bâtiment.

C’est la même chose avec les règles comptables européennes (la «SEC»), qui bloquent l’investissement. Les écoles, les hôpitaux, les investissements dans le durable… On n’a pas le droit de les amortir…

Le tram de Liège?

Oui, le tram de Liège. On doit tout amortir en un an, y compris quand il s’agit de partenariat public-privé. Le Port de Liège voulait amortir des investissements en trois ans, même ça n’a pas été accepté!

Bloquer les investissements publics, ce serait dans le but de laisser la place aux grandes firmes privées?

Oui, on finirait par devenir paranoïaque… Mais l’Europe est une association de pays. Avec des valeurs différentes. Manœuvrer le paquebot Europe n’est pas facile. Par exemple, le dumping. La commissaire belge, Marianne Thyssen, veut faire bouger les choses mais, face à la Pologne et à d’autres pays de l’Est, ce n’est pas facile.

Et c’est donc dans ce contexte que vous «montez au créneau» pour le CETA…

Oui. Au départ, j’étais plutôt favorable, avec le Canada. On avait l’expérience de la question de  la diversité culturelle, on avait réussi avec eux à éviter que le débat ne soit porté à l’OMC, mais qu’il le soit plutôt à l’Unesco.

Et votre questionnement vient-il progressivement ou d’un seul coup?

On a le souci, au sein de cette commission, de faire un travail sérieux. Elle est présidée par André Antoine, à qui on doit beaucoup.

Mais au départ, on ne sait même pas encore si le traité sera mixte, ou pas. J’y vais, car je trouve qu’on a notre mot à dire, qu’on a le droit et même le devoir de s’exprimer.

Progressivement, on entend les pour, et les contre. Je me réjouissais d’entendre les réponses des gens qui sont pour. Dans certains cas, je ne reçois pas de réponse, et ma conviction va se forger. Parfois, dans les contre, certains forcent le trait, mais d’autres soulèvent des questions pertinentes, et je vais les poser le moment venu. Et j’en profite pour retravailler et me renseigner. Et cela commence à me poser problème.

Par exemple, le problème de la liste négative. Je suis juriste, et j’en ai les réflexes pour interpréter, comprendre, mettre en lien. On me répond «ne vous tracassez pas, tout a été bien fait». Mais on découvre que tout est dans le traité, sauf les exceptions explicitement mentionnées. Mais alors, où met-on les futures découvertes, les technologies qui vont encore apparaître, les nouveaux services, dont nous ne savons rien? Qu’en est-il du droit des Etats à légiférer pour protéger les citoyens? Y compris des citoyens canadiens, d’ailleurs.

Trouvez-vous que la «société civile» a joué un rôle important?

La société civile a joué un rôle très important. Elle a été entendue. Certains ont eu des analyses très intéressantes. Il y a eu des alertes parfois excessives; il ne faut pas jouer le grand complot. Mais aujourd’hui, on a les livres ouverts. Et notamment en Région wallonne, la société a eu accès aux débats du parlement. On ne pourra plus faire ces traités de la même façon, comme il y a 25 ans. Le huis-clos, c’est fini.

Il y a un doute énorme sur toutes les institutions, et les gens ont besoin d’avoir confiance dans leurs élus.

Il est essentiel de travailler autrement. Il faut essayer d’avoir une Europe la plus unie, mais refuser les choses qui ne vont pas dans le bon sens. Et pas se lancer dans des aventures qui ne réunissent pas tout le monde.

Une Europe à plusieurs vitesses?

Cela dépend comment on la fait. Si la déclaration interprétative avait été le mandat de négociation dès le début, avec les balises qu’elle apportait… On a travaillé à l’envers, et ça, ce n’est plus possible.

Mais oui, une Europe la plus unie possible. A défaut, on peut faire des choses avec moins de partenaires que les 28 ou 27.

On pourrait se demander si ce moment de symbiose — vous étiez quand même soutenus pas plus de soixante pour cent de la population — entre élus et citoyens ne pourrait pas être l’ébauche de quelque chose de nouveau? Certains évoquent, par exemple, des commissions parlementaires mixtes…

La société civile nous a rendus plus intelligents, plus forts, plus pointus. Les élus ne prétendent pas détenir la science. Oui, la société civile nous a portés en avant. C’ est un moment nécessaire à garder, à maintenir. On doit entendre les gens. Mais, à un moment donné, tout le monde ne peut pas décider de tout.

On a entendu les gens et on a fait plus, on les a suivis. On n’a pas tout obtenu, par exemple la liste négative n’est pas détricotée, mais, avec les Canadiens, on peut travailler ensemble. Pour l’ICS, on nous avait dit que les Canadiens n’accepteraient jamais, et finalement on l’a quand même obtenu. C’est un pas énorme dans le bon sens. Cela encourage les gens qui veulent changer les choses. Le message aux négociateurs, c’est «tenez compte de l’avis des gens».

Pour revenir à votre question, je suis néanmoins perplexe devant les projets de commissions où on fait venir des citoyens. Je n’aimerais pas que ce soit le cache-sexe des mouvements. Quel serait le statut de ces commissions? Consultatif? Il y a déjà beaucoup d’organismes de concertation, qui réunissent des tas de forces vives. Je suis dubitative, il ne faut pas changer les choses pour le plaisir de les changer, il faut changer pour avoir un impact. Tout le monde ne peut pas diriger.

Je ne suis pas une parlementaire professionnelle. La première fois que j’ai fait une campagne électorale, j’ai vu tout l’intérêt des contacts directs. Les gens vous disent ce qu’ils ne vous disent pas pendant l’année, vous prenez le pouls de la population.

Mais attention à ne pas fragiliser le système. Une commission avec des citoyens intéressés par un seul sujet, qui iraient décider entre eux, ça peut donner du lobbying…

Récemment, vous avez dit que le dossier CETA était loin d’être terminé. Que vouliez-vous dire?

On a donné plein pouvoir pour la signature, mais le traité doit encore être ratifié par tous les parlements.

Et quid de l’avis de la Cour de justice de l’UE?

On a eu une négociation avec le fédéral, et il s’est engagé à demander cet avis. Lui seul peut activer les traités. Il y a le traité sur le fonctionnement de l’UE, l’article sur la demande d’avis à la Cour de justice existe et on a ici un traité CETA qui pose question juridiquement. La bonne gouvernance est d’utiliser les outils prévus, pour avoir les bonnes réponses.

Je ne vois pas de quelle «outrecuidance» aurait fait preuve la Région wallonne en se saisissant de cela.

On a assisté, durant la «séquence CETA», à une alliance parlementaire large, qui allait du CDH au PTB, une alliance qui a réjoui de très nombreux citoyens, qui ont vu ça comme un espoir. Pensez-vous que cette alliance pourrait être la préfiguration de quelque chose? Au niveau belge, voire au niveau européen? Ou bien reprend-on le business as usual?

Une alliance large, oui, et il faut y ajouter DEFI. Ce que j’ai voulu, et je l’avais dit dès le début, c’est qu’on ait une position commune, car nous n’avons pas les mêmes sensibilités. Ecolo voulait qu’on arrête toutes les négociations. J’ai lutté pour cette unité.

En pratique, ce sont des parlementaires femmes qui se sont lancées. Elles ont joué un grand rôle, elles ont peut-être plus facile à travailler ensemble. On a travaillé principalement avec Olga et Hélène en cherchant à trouver ce qui nous réunit. La confiance s’est établie, on a réussi à faire l’unité. On a aimé travailler ensemble, et nos collaborateurs parlementaires aussi.

Le TTIP, lui, est-il mort?

Beaucoup d’inconnues jouent ici. Et notamment le résultat des élections américaines.

La balle est dans le camp de l’Europe, mais celle-ci ne peut pas apparaître comme le partenaire qui dit «non». Donc, ils disent qu’on continue, on ne peut pas tout arrêter comme ça. Mais l’Union européenne va se retrouver dans un grand écart avec les balises obtenues pour le CETA, y compris la motion votée par le parlement européen qui mettait aussi des balises.

On a découvert que la Wallonie n’était pas aussi isolée qu’on l’a dit. Les autres pays ont demandé et obtenu une série de choses. Regardez, sur le site de l’Union européenne, dans les annexes au CETA, les exceptions pays par pays. Une vraie shopping-list!

Pour le TTIP, il faut rester vigilant. J’attends de voir.

Entretien réalisé par Godelieve Ugeux et Michel Brouyaux le 13 décembre 2016