Lorsque la protection de l’environnement coûte cher – La Roumanie amenée à comparaître devant un tribunal d’arbitrage
La bataille pour la mine d’or de Roșia Montană reprend de plus belle: le 21 juillet l’entreprise minière canadienne Gabriel Resources a déposé une requête d’arbitrage contre la Roumanie auprès de l’ICSID (International Centre for Settlement of Investment Disputes, organe de la Banque Mondiale). Le conflit atteint ainsi un nouveau sommet.
Mais reprenons dans l’ordre: en 1997 Gabriel Resources projette d’exploiter l’or du sous-sol de la région de Roșia Montană en Roumanie en y creusant la plus grande mine à ciel ouvert d’Europe. Pour réaliser ce projet 2000 personnes auraient dû être expulsées et leurs localités auraient dû laisser place à d’immenses cratères d’exploitation. Le profit espéré de Gabriel Resources était estimé à environ 8 milliards de dollars. Pour la population locale le projet représente quelques centaines d’emplois, mais aussi la destruction du paysage ainsi qu’une gigantesque catastrophe écologique par l’utilisation de cyanure de sodium.
Après que l’entreprise minière ait reçu la licence d’exploitation de la part du gouvernement roumain de l’époque, les premières expropriations et démolitions commencèrent. C’est à ce moment là que les opposants au projet ont fini par se mobiliser, avec succès, puisque le mobilisation pris de l’ampleur pour devenir le plus grand mouvement d’opposition de l’opinion publique de tous les temps en Roumanie (lien). Le point culminant des protestations fut atteint à l’automne 2013 où pendant plusieurs semaines, tous les dimanches, dans toutes les villes de Roumanie, des dizaines de milliers de personnes prirent part à des manifestations.
Pour autoriser l’exploitation de la mine, le Parlement devait voter une nouvelle loi. Peu avant le vote en Novembre 2013, le président de Gabriel Resources, Jonathan Henry, avait déjà menacé de lancer une ISDS (Investor State Dispute Settlement, une procédure d’arbitrage international) si l’exploitation devait être bloquée. Il avait évoqué à l’époque la somme de 4 milliards de dollars de dédommagement. Cela aurait représenté 2% du PIB roumain, soit le budget annuel pour l’éducation. Cette tentative d’intimidation est cependant restée sans effet au vue de l’importante pression de l’opinion publique: le parlement a rejeté la loi et le projet a dû être enterré.
Début 2015 l’entreprise est passée à l’étape suivante en s‘adressant officiellement au gouvernement roumain et en brandissant la menace d’une plainte si le projet n’était pas finalement autorisé. Durant les six mois suivants un règlement à l’amiable aurait été possible, mais dès la fin de ce délai Gabriel Resources a déposé une demande de dédommagement auprès d’un tribunal d’arbitrage international.
Il y a encore une incertitude sur la base de quel accord bilatéral d’investissement la plainte va être traitée. L’accord Canada – Roumanie serait le plus logique, mais l’accord Pays-Bas – Roumanie est également envisageable puisque l’entreprise minière y a une filiale. Gabriel Resources va évidemment essayer d’invoquer celui qui lui est le plus favorable. La clause utilisée pour justifier la procédure n’a pas non plus été rendue publique, mais il est très probable que ce soit la fameuse «fair and equitable treatment» (traitement juste et équitable), dont l’interprétation est très extensible, et qui de fait est la clause préférée des entreprises : trois quart des procédures gagnées par les entreprises américaines ont argumenté en se basant sur cette clause.
Pour sa procédure, Gabriel Resources a d’ailleurs mandaté le cabinet White & Case, un professionnel dans le business de l’ISDS qui a soutenu 39 affaires similaires rien qu’en 2014. Contre le Venezuela ce cabinet a réussi à obtenir un des plus gros dédommagements de tous les temps pour le compte d’une entreprise minière canadienne (lien). Cela n’augure rien de bon pour le cas roumain.
On peut cependant déjà tirer deux leçons du cas de Roșia Montană:
Tout d’abord cet exemple montre l’importance de résilier les actuels accords d’investissement bilatéraux et d’éviter la signature de nouveaux accords qui contiennent des clauses d’arbitrages ISDS. Le traité de libre-échange entre le Canada et l’Union Européenne (CETA) qui est sur le point d’être voté par le Parlement Européen contient un chapitre avec de telles clauses ! Des études ont montré que le risque pour les pays de l’Union Européenne de se faire attaquer par des entreprises pétrolières et minières canadiennes va ainsi exploser. Et le secteur célèbre déjà le CETA comme un accord historique qui aura des «répercussions importantes pour l’industrie minière».
Mais ce qu’il faut également retenir c’est que la mobilisation du grand public peut faire changer le cours des choses. Les citoyens roumains ont montré l’exemple et ont évité la pollution, la destruction et la défiguration de Roșia Montană. De la même manière, une mobilisation européenne forte peut éviter la signature des catastrophique accords de commerce et d’investissement que sont les CETA (Union Européenne – Canada) et TTIP/Tafta (Union Européenne – USA).
Alessa Hartmann, PowerShift