Révolution de palais en milieu scolaire

TCO, trois lettres énigmatiques qui vont révolutionner le système des repas pour les collectivités. Jeanne et Christian Collard en sont les fondateurs toniques et inspirés.

Gens d’exception, gens d’horizon sont les gens de passion! Jeanne est assistante sociale et rencontre Christian, cuisinier et professeur dans une école hôtelière. Ils créent ensemble un service traiteur. «Cela m’arrangeait de participer au projet. Je faisais surtout l’administratif, les offres de prix et la livraison. On a beaucoup travaillé de façon classique, avec de bons produits à transformer. Par exemple on faisait notre saumon fumé nous-mêmes!» Le service tourne bien et dans la clientèle arrivent des entreprises, ce qui élargit le projet à la restauration collective, et la mise au point de recettes simples destinées aux repas quotidiens. En 2002, le couple s’intéresse au marché public des repas scolaires pour 400 enfants à Ottignies et le remporte. La caractéristique épatante de cette offre communale était de ne pas juger exclusivement sur le prix. «Quand on a découvert la cuisine du prestataire précédent, explique Jeanne, on a vu qu’il y avait à faire pour améliorer les repas des élèves. Par exemple, pas de presse-purée! Pour nous, pas question de servir de la purée en poudre! On a dû acheter assez bien de matériel

Un solide cahier des charges

Le pouvoir organisateur d’Ottignies était et reste très volontaire dans sa politique de santé pour la jeunesse. Mais ce ne fut pas facile pour le couple restaurateur d’appliquer les nouveaux principes d’alimentation, comme par exemple de diminuer de 50% la consommation de viande. Il a fallu former le personnel de service et expliquer avec pédagogie les objectifs aux parents, enseignants et bien sûr aux enfants. Et tenir bon face aux critiques! Au début, Jeanne assurait toutes les fonctions, y compris les actions de sensibilisation. Puis une équipe a été engagée, car d’autres communes ont pris le pas et ont adopté le cahier des charges établi par Ottignies. Le couple a «enlevé» plusieurs contrats à la multinationale Sodexho, laquelle s’est alors beaucoup remise en question. Mais dans une telle aventure, il ne suffit pas de copier, mais d’insuffler du sens et de la générosité, ce dont ne manquent pas Jeanne et son conjoint. En 2008, ils renoncent à leur activité de traiteur qu’ils remettent à un collègue pour se consacrer entièrement au scolaire.

Entretemps ils ont fait deux enfants.

Coucou le bio

EN 2005, contactée par bio-forum pour introduire des produits bio dans les repas pour  collectivités, Jeanne participe à une étude de faisabilité. Fille d’agriculteur, elle a aussi fait du maraîchage en 89 et privilégie les produits frais tout en restant dans la culture conventionnelle. Elle s’indigne du commerce du poulet thaïlandais traité pour voyager vers la Pologne et ensuite inonder les collectivités. L’étude, comme on peut s’y attendre, révèle que le bio est cher pour les collectivités et que son approvisionnement est difficile. Le challenge de TCO sera de prouver qu’il y a moyen de l’introduire petit à petit. Cela a commencé par refuser les pommes et les poires qui sont des fruits fort pulvérisés. «On a trouvé des bios à un prix supportable. On voulait que les enfants mordent dans des fruits servis au dessert.» Et le bio est introduit dans le cahier des charges suivant. «Nos clients, les pouvoirs organisateurs et communaux, nos fournisseurs, notre personnel, tout ce petit monde travaille en partenariat, loin des contacts commerciaux classiques  où président de fortes pressions contraires à nos options de nourriture saine.»

Déclic suivant: l’impact environnemental

Des pommes bio d’Afrique du Sud, cela n’a pas de sens. Donc, Jeanne et Christian enclenchent l’étape suivante: le local, la durabilité, l’environnement. Diminuant la viande, il faut se reporter sur les protéines végétales et on devine bien que servir des lentilles a été un challenge pour l’équipe. Tout comme lutter contre le gaspillage des assiettes qui reviennent encore pleines. Il paraît qu’on gaspille 30% de nourriture dans une filière de collectivité. Comment faire pour l’éviter? D’abord observer et faire un état des lieux. Ensuite, afficher les chiffres car tout le monde peut comprendre un tableau et un graphique qui font prendre conscience du problème pour l’affronter en détail. Chacun-e a mis à son niveau des actions en œuvre, de l’amélioration des recettes à la préparation des assiettes.  Et le plan a pu ramener les déchets à 9%. Impossible d’aller au delà car interviennent alors les raisons externes au service.

Le troisième challenge est social

Les repas doivent rester accessibles à tous les élèves et le coût moyen est de 3,50€ pour le «potage, plat, dessert». En début de mois, les menus sont distribués aux enfants et au verso de la feuille, une info nutritionnelle est destinée aux parents avec une recette (par exemple la soupe aux panais!). Un jour une grand-mère, qui n’arrivait pas à faire manger des légumes à ses petits enfants, a écrit à Jeanne pour lui demander la recette de la vinaigrette qui lui était réclamée «comme au repas chaud à l’école».
Le personnel est impliqué dans toute l’animation et la sensibilisation à l’alimentation saine. Outre les réunions, Jeanne loue parfois un car pour emmener tout le monde faire «un circuit court», c’est-à-dire visiter des producteurs et pique-niquer dans un verger. «Les idées viennent souvent des acteurs de terrain, on ne les impose pas. Quand ce sont eux qui trouvent les solutions, ça marche du tonnerre ! En plus, ils communiquent et échangent d’une école à l’autre!» TCO a aujourd’hui la responsabilité de 150 écoles, et livre 8.000 repas par jour. 60 personnes y travaillent. Scotchant, non!?

jc-tcoVraiment sacrée la viande?

On a été obligé d’en manger tout petit, comme si c’était indispensable pour grandir. Alors changer les représentations peut prendre des années. Parfois Jeanne reçoit un coup de téléphone d’une école en début de reconversion: «les enfants n’ont pas assez». «Assez de quoi?», demande Jeanne à qui on ne la fait pas car elle connaît la réponse: «pas assez de viande». Alors, elle réexplique pour la énième fois la base du projet, l’importance d’une alimentation équilibrée avec des légumes et des féculents ! Et ses clients, petit à petit, deviennent partenaires et sont contents. Quand il arrive que TCO perde un contrat à cause du système des marchés publics, des parents rouspètent dans la presse et reprochent aux pouvoirs organisateurs de n’avoir pas été consultés.

Pas seulement les petits!

Depuis 2016, TCO cuisine dans quelques écoles secondaires. C’est un tout nouveau challenge où le niveau de rentabilité est plus difficile à atteindre. Jeanne a deux enfants de 14 et 16 ans, ils ont toujours «mangé chaud» à la cantine. Mais l’aîné a envie d’autre chose. Il n’a jamais consommé dans un Quick ou un MacDo. Jeanne discute beaucoup avec lui et il en ressort notamment que le cornet de pâte est un incontournable. Alors y mettre de la bolognaise conventionnelle devient indispensable. Tout en y ajoutant beaucoup de légumes bien sûr! Voire ne pas mettre de viande du tout? Elle ose, Jeanne, elle ne fait que ça, avancer sur le chemin de l’alimentation saine pour tous. Elle cherche des solutions du style snack, des trucs à garder en main et aussi des nouvelles préparations pour les sandwichs. Jeanne sait que la force est dans les céréales: le  cheval ne mange-t-il pas que de l’avoine! Alors, bienvenue aux quinoa, pâtes, pommes de terre et autres protéines végétales, et bien sûr un jour par semaine sans viande! «C’est un challenge perpétuel, si le fournisseur me dit qu’il a une solution facile, je lui réponds que cela ne m’intéresse pas. On est dans une transition en marche car les gens souhaitent un changement, ils sentent qu’on est au bout de la société de consommation».

Un peu de champ libre pour soi?

Que devient une vie de mère dans l’exercice d’une profession aussi riche et pleine de travail et de projets à la fois? «Je sais m’arrêter, dit Jeanne, j’ai toujours élevé mes enfants, les conduisant à l’école chaque jour. Aujourd’hui, il y a plein de choses que j’aimerais faire comme réapprendre les langues, faire du sport, aller au cinéma… mais je me plais au travail. L’important est de profiter à cent pour cent des beaux moments qui se présentent. J’apprends à déléguer aussi et à transmettre, ce qui est indispensable. Depuis peu, ma sœur vient travailler avec moi, c’est un vrai bonheur. Je viens d’une famille nombreuse et on commence à s’intéresser à ce que je fais car jusqu’ici, mes six frères et sœurs m’ont toujours trouvée un peu spéciale!»

Au milieu d’une nature paisible

Un projet conduit vers un autre, c’est bien connu. Et l’entreprenant couple Collard trace et retrace encore. Au cœur de la production maraichère wallonne, entre Liège et Charleroi, beaucoup d’exploitants agricoles conventionnels ont des contrats avec l’industrie alimentaire, mais des maraîchers bio arrivent de plus en plus nombreux. Les époux Collard sont intéressés à la fois par les uns et les autres. Ils font alors construire une cuisine de 1.200 mètres carré à Fernelmont. La Cuisine des Champs peut assurer 6.000 repas journaliers. Construite de façon simple, efficiente et ergonomique, elle est adaptée aux différentes tâches de la restauration collective. Exemple le plus frappant, une légumerie pour la préparation des légumes. La commune de Fernelmont, qui encourage le projet, mène également une action pour la biodiversité auprès des entreprises de son parc industriel. Elle va également prendre en charge le labourage du terrain jouxtant La Cuisine des Champs qui sera exécuté par Xavier Anciaux et son cheval Billy. Objectif: un pré fleuri et peut-être des ruches après avoir semé des plantes mellifères…

A 53 ans, imaginant encore…

Ce n’est pas évident de trouver en abondance des produits en circuits courts et leur  découpe, un fameux travail que toute cuisinière connaît, coûte cher. En été, c’est l’abondance, mais en hiver la conservation est difficile. Jeanne a obtenu un subside de l’agence de stimulation économique (ASE) pour une étude de faisabilité d’une légumerie et conserverie pour la transformation de légumes achetés en circuit court à destination des collectivités. Si l’enquête confirme l’intérêt espéré du projet, Jeanne trouvera les investisseurs, comme elle en a trouvé pour la société anonyme La Cuisine des Champs. Et il existe des gens qui ont les moyens de soutenir des projets visant le bienfait commun dans une nouvelle économie où il n’y a pas de perdant. Le critère le plus improbable mais que soutient Jeanne avec d’autres: «On ne peut faire plus de 3 ou 4% de bénéfice, sinon il y  un perdant.»

Jeanne aime les actionnaires qui investissent pour leurs enfants et ne se préoccupent pas trop de dividende! «Mon équipe a le message au cœur», dit-elle. C’est peut-être là le secret de TCO!

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