Les moyens sont légion pour détruire les services publics directement et en leur construisant une image négative. On y introduit des logiques managériales et de performance du secteur privé, notamment en ce qui concerne les évaluations et le recrutement du personnel, en octroyant des primes liées à l’atteinte des objectifs et changeant ainsi radicalement le rapport des travailleurs à leur entreprise. De plus en plus de contractuels sont engagés. Les dirigeants peuvent facilement mettre sous pression sur eux alors que les statutaires sont moins soumis à l’arbitraire du patron.
Pour ce qui ne fait pas partie du «core business», on fait appel à la sous-traitance, à l’ «outsourcing» et on crée des filiales. De grosses dépenses sont occasionnées par les frais de consultance externe. L’entreprise est introduite en Bourse. L’écart salarial s’approfondit entre les travailleurs et des dirigeants issus du privé. Les départs naturels et les absences ne sont pas remplacés. En Belgique, de 1999 à 2004, la réforme Copernic mise en place dans les administrations fédérales avait pour objectif annoncé la transformation des administrations publiques en organisations modernes orientées vers la performance et le service au citoyen. Des top managers ont été engagés. Les termes en anglais permettant de toute évidence d’améliorer nos services publics !
Les attaques sont également mises en oeuvre à travers la libéralisation, qui consiste à ouvrir le marché à d’autres opérateurs, et les privatisations, « processus par lequel une entreprise publique – c’est-à-dire initialement détenue au moins pour moitié par l’Etat ou une collectivité publique – est transformée en entreprise dont la majorité du capital est détenu par les acteurs privés[1] ».
L’objectif final est de « coloniser »[2] les services publics pour rétribuer du capital privé. Cette campagne de réappropriation vise aussi à réduire le poids et l’influence des organisations syndicales (objectif explicite de Margaret Thatcher), la privatisation conduisant à modifier les statuts des salariés et les conventions collectives[3]. Cette fragilisation des travailleurs, et la réduction des salaires qui y est liée, a un « effet domino » sur le reste de l’économie. La Confédération Européenne des Syndicats le dénonce : « si de telles réductions sont appliquées dans le secteur public, il devient alors logique de les appliquer également dans le secteur privé. Si le salaire moyen diminue, le niveau du salaire minimum est à son tour mis sous pression. Et, si toute la structure salariale est affectée, les allocations de chômage doivent également être réduites afin de rétablir des incitants financiers pour que les chômeurs se remettent au travail. C’est ainsi que les réductions de salaires dans le secteur public constituent la première étape d’une très forte spirale sociale négative ».[4] La recherche de cet effet domino est clairement exprimée dans les textes européens. Citons par exemple, le pacte pour l’Euro plus de 2011 qui mentionne qu’il faut réduire les dépenses dans le secteur public et «veiller à ce que les accords salariaux dans le secteur public viennent soutenir les efforts de compétitivité dans le secteur privé ».
En guise de conclusion, reprenons l’interrogation de Georges-Henri Bricet des Vallons, spécialiste des questions de défense et de privatisation de la guerre, « La seule question qui vaille est la suivante : à partir de quel moment l’emploi de moyens privés pour atteindre des fins publiques se transforme-t-il en l’emploi de moyens publics pour atteindre des fins privés ? »
Myriam Djegham,
MOC Bruxelles
Cet article constitue la deuxième partie de l’article de Myriam Djegham sur les services publics, d’avril 2013.
Un grand merci pour l’autorisation de publication.
[1] Agathe van Lang, Geneviève Gondouin, Véronique Inserguet-Brisset, Dictionnaire de droitadministratif, Armand Colin, 1997, p. 229
[2] Expression chère à Gérard de Sélys in « Privé du public, à qui profitent les privatisations ? »,éd.EPO, Bruxelles, 1995
[3] Eurosig.eu, site ressources sur les services publics en Europe.
[4] CES, « moniteur de l’austérité : attaques contre les salaires et l’emploi dans le secteur public »Bruxelles 2010.