Vaïa Demertzis, licenciée en science politique, est chargée de recherche au CRISP, le Centre de recherche et d’information socio-politiques. Licenciée en science politique (ULB), elle a consacré une recherche à la « solidarité européenne » et a publié des articles sur le sujet dans des ouvrages collectifs belges et internationaux. Elle est membre des groupes de travail « Questions sociales – Conflit social » et « Europe » de l’Association belge de science politique (ABSP-CF). Ses travaux de recherche actuels portent sur les acteurs socio-politiques et la conflictualité politique et sociale de l’Union européenne et de la Région wallonne. Dans le cadre du GRACOS (Groupe d’Analyse des Conflits sociaux), elle s’intéresse en particulier aux conflits sociaux dans le secteur public.
Publications:
Vaïa Demertzis est auteur ou co-auteur de plusieurs « Courriers hebdomadaires » (CH) du CRISP, dont:
Élire le Parlement européen: CH 2014/6 (n°2211-2212)
Les résultats des élections fédérales et européennes du 25 mai 2014: CH 2014/10 (n°2215-2216)
Grèves et conflictualité sociale : rapport annuel du Gracos, publié depuis 2012, sur l’étude des principaux mouvements de grève et autres éléments de la conflictualité sociale qui jalonnent l’actualité en Belgique de chaque année civile. Il est publié sous forme d’un CH spécial la semaine précédant le 1er mai.
Elle est aussi l’auteur de 2 @nalyses du CRISP en ligne:
Un « Brexit » so British: 28/6/2016
Un « Brexit » so European: 19/7/2016
Ci-dessous le compte-rendu de sa conférence “Quelle Europe après le Brexit?” du 22/09/2016 à Namur.
Introduction
L’oratrice précise d’entrée de jeu qu’elle ne peut décrire actuellement les conséquences, ni sur le Royaume-Uni (R-U) ni sur l’Union européenne (UE), du Brexit, tant les inconnues du processus sont nombreuses.
Ce processus lui-même n’est pas engagé: c’est le Gouvernement du Royaume-Uni qui l’enclenchera par « activation » de l’article 50 du traité sur l’UE :
Un pays de l’UE qui souhaite se retirer doit informer le Conseil européen de son intention. Le Conseil doit ensuite proposer des orientations vers la conclusion d’un accord sur les modalités du retrait dudit pays.
Cet accord est conclu au nom de l’UE par le Conseil, votant à la majorité qualifiée, après avoir obtenu la validation du Parlement européen.
Les traités de l’UE cessent de s’appliquer au pays concerné dès la date d’entrée en vigueur de l’accord ou dans les deux ans à dater de la notification de retrait. Le Conseil peut décider de prolonger cette période.
Tout pays s’étant retiré de l’UE peut introduire une nouvelle demande d’adhésion. Il doit alors suivre la procédure d’adhésion.
Ce que Vaïa Demertzis se propose de faire, c’est de poser les termes du débat qui s’ouvre, d’abord par le fait politique du vote des Britanniques, puis par l’information par le R-U de sa volonté de quitter l’UE, et enfin par la relativement longue négociation de l’accord entre le R-U et l’UE.
Dans cette présentation, elle fera le point sur les positions des différents acteurs après le Sommet de Bratislava qui a réuni le 16 septembre, les Chefs d’États et de gouvernements des 27 États-membres, donc sans le R-U. (Déclaration et Feuille de route reprises en annexe).
Le Brexit: symbole et symptôme
L’Europe vit, depuis des années maintenant, de multiples crises : financière ; économique, monétaire, des finances publiques, de la dette grecque, des réfugiés et de l’asile, du terrorisme… Pour cette raison, on parle parfois de crise globale de l’UE ou de « polycrise ».
Le Brexit ajoute un élément de complexité à cette crise globale de l’UE. Mais il n’est pas non plus le premier signe de défiance à l’égard de la construction européenne. Rappelons-nous les référendums « perdus » (du point de vue de l’UE) sur des questions européennes depuis plus de 20 ans:
- 1992: le Danemark dit non au Traité de Maastricht
- 2005: La France et les Pays-Bas rejettent le Traité constitutionnel
- 2008: l’Irlande rejette le Traité de Lisbonne (1ère version); l’Irlande revotera l’année suivante et acceptera la seconde version, légèrement amendée
- 2015: la Grèce rejette le projet d’accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international lors de l’Eurogroupe du 25 juin 2015. Elle devra cependant accepter ensuite un compromis encore plus défavorable
- 2016: les Pays-Bas rejettent l’accord d’association conclu entre l’UE et l’Ukraine
ET rappelons aussi le taux d’abstention aux élections du Parlement européen en augmentation constante : alors que la participation était en 1979 de 62%, elle n’était plus, en 2014, que de 43%, soit 57% d’abstention. Cela traduit une réelle désaffection pour l’UE.
Rétroactes du Brexit
Lors de la campagne pour les élections législatives de 2015 au R-U., le premier Ministre David Cameron promet un referendum sur l’appartenance de son pays à l’UE pour contrer la montée en puissance des eurosceptiques, tant du UKIP que de son propre parti
Ce referendum est programmé pour le 23 juin 2016; la campagne politique le précédant est l’objet de slogans et d’affirmations caricaturales, ainsi que de promesses totalement irréalisables: par exemple l’économie de la contribution britannique au budget de l’UE, calculée sans tenir compte du rabais appliqué depuis Mme Thatcher, qui permettrait de refinancer d’autant le service de santé du Royaume. Les contributions diverses de l’UE à l’économie du Royaume (p.ex. la contribution à l’agriculture britannique) sont aussi escamotées.
Au Conseil européen des 18-19 février 2016, David Cameron obtient des engagements importants, favorables à son pays, mais dérogatoires aux dispositions générales des traités européens, « qui prendront effet le jour où le gouvernement du Royaume-Uni informera le secrétaire général du Conseil que le Royaume-Uni a décidé de rester membre de l’Union européenne » dans l’hypothèse, escomptée, où le « Remain » (rester dans l’Union) l’emporterait.
23 juin: Referendum, le camp du « Leave » (Quitter l’Union) l’emporte avec 51,9% des voix, et une participation importante de 72,2%.
27 juin: le Commissaire britannique, Jonathan Hill, démissionne du collège de la Commission européenne.
28 juin: le Parlement européen adopte une résolution qui « appelle le gouvernement britannique à respecter le vote des Britanniques et, en conséquence, à engager rapidement la procédure de retrait volontaire prévue par l’article 50 du Traité sur l’Union européenne (TUE) » et invite le Conseil européen à modifier l’ordre de ses présidences (la présidence du second semestre 2017 est programmée pour le R.-U.).
29 juin: réunion informelle, sans le R-U. du Conseil européen, volonté affichée de « rester unis » et programmation d’un Sommet à 27 le 16/9 à Bratislava sur l’avenir de l’UE.
13 juillet: un nouveau gouvernement britannique est mis en place, sous la direction de Theresa May
20 juillet: le R-U. annonce qu’il abandonne la Présidence de l’UE 2017
Réactions au Brexit
Plusieurs types de réactions se sont manifestés au lendemain du referendum.
D’abord une crainte de contagion possible : quitter l’Union ne serait plus un problème. Des velléités déjà exprimées aux Pays-Bas, en Suède et Hongrie notamment ont fait craindre que ces pays et d’autres éventuellement ne veuillent suivre l’exemple du R-U.
Au sein des institutions de l’UE, les réactions ont varié de l’attentisme aux mises en garde d’une mort possible de l’Union. Les institutions ont désigné chacune leur négociateur du futur accord UK-UE:
- Pour le Conseil européen: Didier Seeuws (B), diplomate, fut porte-parole de G. Verhofstadt premier ministre, Représentant permanent adjoint de la Belgique à l’UE, Conseiller spécial d’Herman van Rompuy à la présidence du Conseil européen, puis Directeur des départements transport, télécommunications et énergie du Conseil européen.
- Pour la Commission européenne: Michel Barnier (F), ancien vice-président de la Commission, en charge du marché intérieur européen et des services (notamment financiers, domaine sur lequel il engagea un sérieux bras de fer avec la City londonienne) de 2010 à 2014.
- Pour le Parlement européen: Guy Verhofstadt (B), ancien Premier Ministre, député européen, président de l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (ALDE).
Quant aux États membres, ils ont adopté des positions idéologiques et/ou économiques, en fonction de l’importance relative du commerce de chaque Etat membre avec le R-U. Malgré une unité de façade, les États membres n’envisagent donc pas de la même façon l’avenir des relations avec le R-U.
Un élément politique conjoncturel est aussi à prendre en considération: celui des élections nationales dans plusieurs pays. En particulier la France (Présidentielle au printemps 2017) et l’Allemagne (Législatives, donc Chancelier/ère à l’automne 2017) sont actuellement prudentes, et en partie opposées sur leur approche de la négociation du Brexit, chacun devant affronter son opinion publique et son opposition.
En parallèle à ces réactions, des tentatives de donner un second souffle à l’UE, d’où le Sommet de Bratislava sur lequel l’oratrice reviendra.
Ajoutons enfin des réactions internationales importantes – États-Unis, Japon, Australie notamment – qui ont tous manifesté leur inquiétude quant à l’incertitude ouverte par le Brexit, enjoignant le R.-U. à rapidement communiquer sur le processus. Les USA ont par exemple déclaré qu’un nouvel accord de libre échange entre eux et le R-U. ne serait pas négocié avant longtemps, les relations commerciales (TTIP) étant négociées avec l’UE qui gère cette compétence pour les 28 états membres.
Positionnement britannique
Une question initiale est posée: comme pour un divorce, il faut traiter les conditions de la séparation (sortie de l’UE) et celle des nouvelles relations à établir entre les divorcés (nouvelles relations R-U. et UE, et ses états membres). Faut-il traiter ces deux aspects séparément ou simultanément?
Le R-U. semble adopter une stratégie de temporisation.
D’une part, en profitant de la faiblesse actuelle du couple franco-allemand qui ne partage pas les mêmes priorités, notamment budgétaires. Et d’autre part, en tentant de négocier des éléments de l’accord futur, séparément avec chaque État membre; c’est l’objet de la tournée des États membres engagée par Theresa May.
Un argument politique, celui des interlocuteurs qui pourraient changer en fonction des prochaines élections nationales (voir ci-dessus), conforte la Première ministre britannique dans cette temporisation.
Alors quand « activer » l’article 50? Pas avant 2017 dit Theresa May. Par contre certainement avant 2019, car le R-U. ne peut appeler décemment ses citoyens à voter à nouveau au printemps 2019 pour élire de nouveaux parlementaires européens, après qu’ils se soient prononcés clairement pour le Brexit 3 ans plus tôt.
L’échéance de mai 2017 pour engager la procédure de retrait semble être une option.
La contradiction fondamentale
Le R.-U. poursuit deux objectifs en principe contradictoires. D’un côté, il souhaite rester dans le marché unique européen (et une partie de son gouvernement en a fait la promesse à ses électeurs); de l’autre, il veut reprendre le contrôle des frontières pour limiter l’immigration, notamment de citoyens européens. Or, selon le droit de l’UE, l’ouverture des marchés (libre circulation des biens, services et capitaux) est indissociable de la libre circulation des personnes!
Pour l’instant, le principe européen reste fortement affirmé: « pas d’accès au marché unique sans libre circulation des personnes », donc des travailleurs de l’UE. Une grande majorité des 27 partage ces « lignes rouges ».
Si l’on s’en tient à cette position, le R-U. sera exclu du marché unique et devra renégocier un nouveau type d’accord commercial avec l’UE.
Mais l’on sait que des entorses à ces principes avaient été négociées avant le referendum par David Cameron. Cependant il était clairement exprimé que l’accord pré-referendum devenait caduc si le Brexit l’emportait. Tout est donc à refaire.
Quelles futures relations R.U.-U.E.?
Plusieurs formules sont avancées quant à la nouvelle relation à établir.
- Le modèle norvégien: la Norvège est membre de l’AELE (Association européenne de libre échange) et de l’EEE (Espace économique européen). A ce double titre, elle bénéficie de l’accès au marché intérieur UE sans être membre de celle-ci. Mais elle est soumise à la majorité des règles de ce marché, dont la libre circulation des personnes, et ce sans participation à l’élaboration de ces règles. La formule ne semble pas retenir l’attention du gouvernement britannique.
- Le modèle suisse: ce pays a signé une série d’accords bilatéraux similaires au statut de la Norvège. Mais ces accords sont remis en cause par une votation de 2014 contre la libre circulation des personnes.
- Le modèle turc: la Turquie est en « union douanière » avec l’UE : pas de droits de douane, mais un accès incomplet au marché européen.
- TTIP-CETA…: ces accords commerciaux négociés par la Commission au nom de l’UE, donc des 28, y compris le R-U., s’appliqueraient, s’ils étaient ratifiés (CETA) ou conclu et ratifiés (TTIP), tant que le R-U. n’a pas juridiquement quitté l’UE, mais deviendraient caducs pour le R-U. lorsque le divorce sera consommé…
- Un accord spécifique pour le R-U est la voie privilégiée et annoncée par le gouvernement britannique. Signalons la proposition du laboratoire d’idées Bruegel (« The Brussels-based economic think tank »). Ses auteurs (dont André Sapir et Guntram Wolff) suggèrent le concept de « partenariat continental » renforçant le cœur de l’UE (la zone euro et les actuels pays membres voulant poursuivre l’intégration) et proposant un partenariat « à la carte », mais avec un modèle de base, à la périphérie. Cette proposition permettrait au R-U. de négocier un accord dans le cadre de ce partenariat. Elle permettrait aussi de revoir les accords avec la Suisse, et d’autres pays candidats à l’UE mais réservés face à l’intégration et à l’Euro, dont la Turquie, l’Ukraine, etc (ndlr: dans la série “Des voies pour CHANGER L’EUROPE”, le site pour.press publiera prochainement un article présentant ce Partenariat continental).
On voit la confusion initiale dans laquelle s’ouvriront, le moment venu, cette longue négociation.
Les relations entre le R-U. et le reste du monde
La volonté de Mme Theresa May de faire du R-U. le « leader mondial du libre- échange » est-elle réalisable?
Nous avons vu que le Président Obama avait déjà repoussé la négociation d’un accord commercial R-U.-USA après les négociations en cours du TTIP.
Le Président Juncker rappelle, quant à lui, que le R-U. appartenant à l’UE n’a pas le droit de négocier de tels accords de libre-échange tant qu’il en est encore membre, les accords de commerce international étant une compétence exclusive de l’UE.
Le Japon, enfin, met en garde la fuite de ses entreprises et réclame un tableau complet du processus du Brexit.
Là non plus, les choses ne sont pas simples pour le R-U.
La position européenne – Les lignes de fracture entre États
Nous avons dit déjà que l’UE s’orientait vers une volonté d’assurer les intérêts de l’UE sans vouloir rendre le Brexit douloureux pour le R-U. Seule le premier ministre slovaque, nouvelle présidence semestrielle de l’UE depuis juillet, s’est laissé récemment aller à commenter:
« L’UE va utiliser cette opportunité pour dire aux gens : écoutez, maintenant vous allez voir pourquoi il est important de rester dans l’UE ».
Examinons donc les lignes de fracture entre E.M.:
- Le couple franco-allemand est en panne, il a du mal à se constituer en moteur fédérateur européen.
- Les « grand historiques » (FR-DE-IT) se sont vus le 22 août dernier à Ventotene et ont mis en avant leur volonté d’avancer sur 4 thèmes : sécurité, défense, jeunesse et compétitivité. S’ils n’y ont pas ajouté l’immigration, c’est que leurs positions sont très différentes sur ce sujet.
- Trois « grands pays » (FR-DE-PL) se sont rencontrés à Weimar le 28 août. Les ministres des Affaires étrangères du « Triangle de Weimar » ont également mis en avant les besoins de resserrement des liens en matière de sécurité et de défense, mais ont aussi mis l’accent sur la politique industrielle européenne, la transition énergétique, la convergence économique, l’harmonisation fiscale et la dimension sociale.
- Le Groupe de Visegrad (PL, HU, CZ, SK) tient depuis un certain temps un position forte contre l’immigration et l’accueil des réfugiés. Des tensions apparaissent cependant en leur sein, certains voulant garder de bonnes relations avec l’Allemagne en tenant compte de leurs intérêts économiques; la Slovaquie, de son côté, a tenu à rencontrer Poutine pour préparer le sommet de Bratislava.
- Le groupe des pays méditerranéens de l’UE (GR, FR, IT, PT, ES, CY, MT). Lors d’un premier Sommet de ces pays (sommet EUMed), le 9 septembre dernier, ces pays ont adopté une « Déclaration d’Athènes » mettant en avant 5 priorités :
1. Garantir la sécurité intérieure et extérieure de l’Europe
2. Renforcer la coopération en Méditerranée et avec les pays africains
3. Promouvoir la croissance et l’investissement en Europe
4. Renforcer les programmes destinés à la jeunesse
5. Répondre au défi des migrations - Au même moment, l’Eurogroupe poursuivait à Bratislava le travail sur les réformes menées et à mener en Grèce sur le plan économique et budgétaire pour la gestion de la dette.
- On voit combien les positions, au sein des EM de l’UE sont diverses…
Le fossé entre institutions européennes
Les positions affichées des présidents respectifs du Conseil européen (Donald Tusk) et de la Commission (Jean-Claude Juncker) sont diamétralement opposées:
Donald Tusk, président du Conseil européen a adressé, comme de tradition, aux Etats membres une lettre avant le Sommet de Bratislava le 13 septembre : « Les institutions doivent soutenir les priorités établies entre les Etats, et non imposer les leurs ».
Jean-Claude Juncker, le lendemain, a prononcé son discours sur l’état de l’Union, dans le droit fil de la mission de la Commission, à savoir que la Commission, insitution en charge de l’intérêt général européen, est chargée de penser au bien commun et de formuler des propositions à soumettre l’approbation des Etats membres.
Au fond, c’est l’opposition récurrente entre l’approche intergouvernementale (priorité aux Etats) et l’approche fédéraliste ou communautaire (prééminence des institutions européennes) qui resurgit fortement.
Rappelons-nous, au passage, comment la proposition Juncker de relocalisation permanente des réfugiés en septembre 2015 (intérêt général) fut perçue comme une provocation et une imposition aux Etats membres (intérêts nationaux), particulièrement ceux du groupe de Visegrad.
Le risque majeur = le statu quo
Comment sortir d’une logique de blocs disparates? Comment sortir de la confrontation entre approches divergentes sur des thèmes clivants : immigration, dumping social…? (ndlr: Rappelons ici l’opposition des pays est-européens et du Danemark à la proposition de la Commissaire belge, Mme Marianne Thyssen, à une révision de la Directive sur les travailleurs détachés au sein de l’UE.)
Cet été 2016 fut consacré à des tournées des capitales des dirigeants européens: Tusk, Juncker, Merkel, Hollande, tous à la recherche de convergences possibles entre Etats membres:
- Renforcer la zone Euro?
- Renforcer la sécurité intérieure face au terrorisme ? la sécurité extérieure face aux migrations?
- Initiatives en faveur des jeunes Européens?
- Initiatives de croissance et d’investissements?
Comment progresser et retrouver une direction commune?
Le Sommet de Bratislava: 16 septembre 2016
Dans la foulée du Brexit, les Etats membres sont conscients qu’il leur faut regagner la confiance des citoyens européens et resouder les 27 Etats avec un nouvel élan.
Le Sommet de Bratislava constitue officiellement le début d’un « Processus de Bratislava » pour définir ensemble quel avenir commun dans l’UE. Le sommet de Bratislava sera suivi d’un nouveau sommet à La Valette (Malte) début 2017, et le processus se clôturera à Rome, en mars 2017, à l’occasion du 60ème anniversaire du Traité de Rome.
Lors du sommet de Bratislava, dans le contexte des rapports de force divers entre les Etats membres de l’Union, des gages ont été donnés au groupe de Visegrad (effort de sécurisation des frontières extérieures), mais rien sur le renforcement de la zone euro, le dumping social, la relance de l’investissement (sujets notamment portés par le sommet EUMed en septembre dernier). On s’est donc recentré sur le plus petit dénominateur commun de l’UE reconnu à l’heure actuelle: la sécurité. D’où une « Feuille de route de Bratislava » focalisée sur:
- Réamorcer la défense européenne:
– QG unique pour les opérations de l’UE
– Mutualisation des efforts industriels en matière d’armement et de défense
– Sécurisation des frontières extérieures de l’UE
– Mais pas de mise en place d’une « armée européenne » - En se concentrant sur la PROTECTION, l’UE entend remplacer dans les discours et les esprits l’ « Europe forteresse » par une « Europe cocon ».
- Les points de blocage au sein des 27 restent l’immigration (opposition de l’Europe du Nord et de l’Est) et la relance de la croissance (opposition de l’Europe du Nord et de l’Allemagne).
Conclusions
Le Brexit apparaît comme le révélateur de tensions déjà existantes au sein des 27.
Il n’est qu’un élément parmi d’autres divisant l’Union : l’immigration, l’approfondissement de la zone €, la relance par la croissance ou l’austérité, les traités transatlantiques TTIP et CETA…
Au fond, les réactions des institutions de l’UE et des Etats membres sont plus inquiétantes que le Brexit lui-même.
Au sein des institutions, c’est la Commission qui est la plus fragilisée, car l’Est réclame « moins d’Europe » et les Etats membres veulent imposer leurs intérêts nationaux particuliers. Juncker espérait revenir à une Commission politique forte, mais son dernier discours sur l’état de l’Union signe plutôt le retour des Etats membres.
Plutôt que d’engager des projets d’envergure, la Commission ainsi affaiblie semble se tourner vers des projets très concrets, présentant à l’opinion publique européenne (que sonde régulièrement l’Eurobaromètre) des initiatives visant à la reconquérir: procès pour aides d’Etat illégales intentés à Google, Apple, et d’autres multinationales, suppression des charges de « roaming » sur les téléphones portables, lancement de la 5G (internet rapide), etc.
Quelle Europe après le Brexit? Le débat
Q: Notre Premier Ministre annonce, pour notre pays, une demande de relance par l’investissement pour laquelle il demandera, avec le soutien de la FEB, l’autorisation à la Commission européenne. Cette initiative de Charles Michel est-elle vouée à l’échec?
VD: En réalité, il sait d’avance que la Commission le lui permettra! M. Juncker a proposé plus d’investissements publics et un renforcement du Fonds d’investissement dont le capital (public et privé avec garantie européenne) serait doublé d’ici 2020. Une certaine souplesse par rapport aux exigences budgétaires est proposée par la Commission elle-même. Elle souhaite une relance mais est contrée par l’orthodoxie budgétaire allemande en particulier. Le choix de la COM est de permettre des investissements publics hors comptabilisation du déficit budgétaire.
Q: Quelle sera la nature de la prochaine crise?
VD: La crise la plus grave à laquelle nous sommes confrontés est celle des réfugiés, parce qu’elle révèle le cœur même du projet européen. A partir de là en effet, c’est le sens de l’Union qui est interrogé: « Qu’est-ce qu’être Européen? ». La proposition de Juncker sur les réfugiés fut en 2015 un appel à la solidarité des États par une répartition équitable des réfugiés. Cette proposition fut rejetée parce que en partie reçue comme « imposée ». En 2016, le discours de Juncker est plus nuancé, prudent avec les États, craignant d’imposer des solutions. Le grand défi du futur est philosophico-politique: quel « vivre ensemble » dans l’UE?
Q: Le Brexit a révélé une fracture au R-U. entre nantis et dévaforisés. Les citoyens de base se détournent de l’UE parce qu’ils en ont marre de l’austérité, du chômage, des privatisations… Et l’UE se recentre sur sécurité, défense, immigration… C’est d’ailleurs aussi le cas en Belgique. N’est-ce pas une fuite en avant des politiques?
VD: les fractures au R-U. sont plus complexes: sociale, oui; mais aussi Nord/Sud (Ecosse et Irlande du Nord ont voté pour reste dans l’UE), grandes villes/villes moyennes et campagnes. Il est difficile avec les données dont on dispose d’estimer le signal qui serait porté sur la politique néo-libérale au travers de ce scrutin. La campagne Brexit ne s’est pas centrée sur cette question: elle a porté essentiellement sur l’immigration et en particulier sur les immigrés issus de l’UE.
Q: Y aurait-il de strictes limitations à la liberté des Commissaires d’intervenir dans la presse ? L’Europe ne semble pas capable de rattraper par sa propre communication l’effet bouc émissaire projeté sur l’opinion par les EM.
VD: L’enjeu de l’opinion publique est fondamental, d’où l’importance accordée au suivi de l’Eurobaromètre. Pour mémoire, un Commissaire ne représente pas son État d’origine et ne peut prendre de position publique sur la politique de son EM. Oui, la Commission, entre autres acteurs, pourrait accorder davantage d’importance à l’éducation, à la pédagogie notamment des jeunes voire des enfants, à la mobilisation civile. Car c’est le développement d’échanges contradictoires sur l’Europe qui permettra – ou non – de construire un rapport de force différent.
Q: l’évolution des 20 dernières années ne conduit-elle pas à la domination, non seulement économique et financière, mais aussi idéologique et culturelle de ce qu’il est convenu d’appeler « le grand capital »?
VD: l’Europe socio-économique a évolué. Mais on a aussi réécrit l’histoire de l’UE. A la base, l’UE a été construite comme Marché (« le Marché commun ») avec la conviction que le commerce entre les États était favorable à la paix entre les nations. L’élaboration du « modèle social européen » fut une branche adventice du développement de l’UE qui fleurit surtout durant la présidence Delors (1985-1995) pour qui la mise en place du marché et de la monnaie uniques devait s’accompagner d’un équilibre entre l’économie et le social. Mais le « modèle social européen » ne s’est pas approfondi; il a été remplacé par la mise en évidence des modèles sociaux (différents) en Europe. Néanmoins les pratiques sociales européennes restent, au regard du reste du monde, assez remarquables par ce qui perdure d’Etat social, de financement de la sécurité sociale, de relative redistribution par la fiscalité, même si l’évolution de ces éléments est clairement négative aujourd’hui.
Q: la campagne du Brexit n’a-t-elle pas aussi ignoré des interventions positives de l’UE, telles que le soutien depuis 15 ans de la pacification en Irlande du Nord via des aides substantielles aux organismes de la société civile irlandaise développant des projets concrets?
VD: certainement, et en plus un soutien économique important qui a permis à l’Irlande du Nord de se rapprocher du niveau économique de la République d’Irlande.
Q: la prochaine crise ne sera-t-elle pas environnementale (et mondiale). Vu la complexité des pratiques politiques en Europe, comment ne pas être sceptique quant à la capacité d’y faire face?
VD: d’accord sur le danger environnemental. Du point de vue d’une politologue, c’est la capacité de l’être humain à réfléchir globalement qui est en jeu, mas seulement celle des institutions politiques. Comment se penser dans une communauté globale? La réflexion commune est de se penser dans sa communauté (locale, régionale ou nationale) par rapport aux « autres »: c’est « nous » contre « eux ». C’est l’accession à une pensée globale qui est la grande difficulté. Même à l’ONU on traite d’intérêts nationaux dans la communauté internationale. Comment développer une démocratie qui soit en mesure de penser l’homme global?
La politique est un jeu de rapports de force. La société est conflictuelle. La résolution des conflits ne peut s’obtenir – hormis la guerre – que par la discussion. Les institutions sont de plus en plus complexes et se pensent dans leur complexité. Notre expérience belge de complexité, et de gestion en coalitions, nous facilite d’ailleurs la compréhension des pratiques institutionnelles européennes.
Q: que penser du tirage au sort dans le domaine politique?
VD: sur ce plan, interrogez plutôt mon collègue John Pitseys du CRISP qui connaît beaucoup mieux cette problématique. C’est une piste à explorer: elle nécessite en tous cas du temps, des moyens, un accompagnement, une information et une éducation afin d’apporter aux processus décisionnels politiques la pertinence que l’on en escompte (ndlr: voir à ce sujet “Des voies pour changer l’Europe – Hubertus Buchstein et Michael Hein” qui propose le recours au tirage au sort au sein des institutions européennes).
Les organisateurs remercient l’oratrice et les participant(e)s.