Quel avenir pour la révolution citoyenne en Equateur?


Souvent considéré comme un modèle alternatif à l’ordre néolibéral, l’Equateur se trouve face à un tournant. Le 19 février aura lieu le premier tour de l’élection présidentielle mettant un terme à deux mandats du charismatique et populaire président porteur de la révolution citoyenne, Rafael Correa.

De la crise politique à la révolution citoyenne

Le 26 novembre 2006, Rafael Correa remporte le deuxième tour des élections présidentielles face à Álvaro Noboa, homme le plus riche d’Equateur et ancien président du pays de 2000 à 2003. Cette victoire met un terme à une crise économique qui se caractérisa par la dollarisation de l’économie équatorienne mais aussi une crise politique qui vit 9 présidents se succéder en 15 ans. Elle est envisagée comme un processus, prend le nom de révolution citoyenne et fête ses 10 ans en 2017.

Rafael Correa à Tena lors la sabatina du 16 juillet 2016

C’est lors de son court mandat de ministre de l’Economie (avril-août 2005) que Rafael Correa devient très populaire. Il propose au président en fonction, Alfredo Palacio, de ne pas suivre les injonctions du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale et d’allouer davantage de budget aux programmes sociaux plutôt qu’au remboursement de la dette. Suite au refus du président, il choisit alors de démissionner.

L’engouement que génère ce personnage charismatique et sa persévérance lui font gagner du crédit auprès de la population. Un succès qui se vérifie dans les urnes, un an plus tard, lors des élections présidentielles. Il convoque alors une Assemblée constituante chargée de réécrire la Constitution. Celle-ci inclut, notamment, les droits de la Nature et est approuvée à 64%. La révolution citoyenne est lancée!

Le retour de la souveraineté en Equateur

Le mot d’ordre qui va guider ce mouvement qui se revendique du «socialisme du XXIème siècle» est la souveraineté. Une souveraineté géopolitique et anti-impérialiste d’abord avec la fermeture de la base étasunienne de Manta ainsi que l’inscription dans la Constitution de l’interdiction de toute base militaire étrangère sur le territoire équatorien.

Le nouveau gouvernement poursuit en rejetant les recommandations du FMI et de la Banque Mondiale, allant même jusqu’à renvoyer le représentant permanent de cette dernière en 2007. Mais il ne s’arrête pas aux symboles puisqu’il va également suspendre le paiement de la dette publique et organiser un audit de celle-ci. Cet audit débouchera sur une économie estimée à 7 milliards de dollars.

L’Etat prend également plus d’importance dans le secteur de l’extraction pétrolière. Il renégocie les contrats d’exploitation, renverse le rapport de force avec les entreprises étrangères et récupère une manne financière importante.

Cette reprise en main permet à Rafael Correa d’appliquer son programme de justice sociale et de multiplier les investissements dans le secteur de la santé, de l’éducation et dans les infrastructures. Un salaire minimum est instauré et augmenté à deux reprises, près d’un million et demi de familles accèdent à la sécurité sociale et deux millions de personnes, soit 13% de la population, sortent de la pauvreté.

Le gouvernement équatorien décide également de miser sur l’éducation pour mettre fin à la fuite des cerveaux et ouvre plusieurs universités publiques dans le cadre du projet du millénaire. Ikiam, située dans une réserve biologique au cœur de l’Amazonie, propose des formations scientifiques telles que l’étude de l’eau, des écosystèmes mais aussi la géoscience et les biotechnologies. Ces formations avaient été délaissées par le secteur privé car considérées comme trop couteuses.

Université d’Ikiam

La révolution fiscale attendra…

Malgré tous ces progrès sociaux, l’Equateur reste très dépendant du secteur pétrolier qui représentait encore 53% de ses exportations en 2014. Les produits agricoles constituent quant à eux 38% des exportations. Si les inégalités ont diminué ces dernières années en Equateur, c’est principalement dû à la répartition des nouveaux profits émanant de l’exploitation pétrolière. La chute du prix du Brent a cependant prouvé que cette stratégie ne pouvait être maintenue sur le long terme. Finalement, cette dépendance rend difficile la possibilité de proposer un modèle de développement alternatif au productivisme et à l’extractivisme [1] d’autant plus que le système fiscal, quant à lui, n’a pas été amélioré…

En juin 2015, le gouvernement a pourtant fait deux propositions de loi pour le réformer. La première mesure concernait l’impôt sur la plus-value et la deuxième, plus contestée, un impôt sur la succession. Ces nouveaux impôts avaient pour but de toucher exclusivement les classes les plus riches. La dernière tranche de l’impôt sur la succession prévoyait de taxer à 77,5% les héritages supérieurs à 849 600 dollars. Cette mesure ne devait toucher que 2% de la population et pourtant, une partie des classes moyennes s’est identifiée à cette loi qu’elle a jugée injuste et confiscatoire. Plusieurs milliers de manifestants ont ainsi témoigné leur mécontentement, ce qui força Rafael Correa à retirer provisoirement ces deux projets de loi sans jamais les remettre sur la table…

De cette façon, le gouvernement équatorien se prive de l’arme fiscale et conditionne la réduction des inégalités à la production pétrolière, le cours du Brent et la demande des pays étrangers.

Varier les exportations sans changer la matrice productive

Ce dimanche 19 février, des élections présidentielles, mais également législatives, auront lieu en Equateur. Rafael Correa ne peut plus se présenter puisqu’il avait déjà été réélu en 2009 et en 2013. C’est Lenin Moreno, ancien vice-président de 2006 à 2013, qui représentera la coalition Alianza Pais. Il maintient l’objectif de la réduction des inégalités en proposant par exemple l’augmentation du revenu mensuel des plus démunis, via le bon de développement humain de 50$ à 150$, le renforcement des services publics et un plan d’assistance aux femmes enceintes et à leurs jeunes enfants.

Toutefois, ces belles perspectives se basent toujours sur l’extraction de matières premières. Si le pays a découvert la faiblesse de son économie due à sa dépendance au pétrole et que l’une des expressions favorites des politiques est «le changement de la matrice productive», c’est vers le secteur minier que le parti de la majorité actuelle a décidé de se tourner. Le candidat d’AP table ainsi sur une croissance du PIB de 10 points basée sur la production minière.

Cette stratégie est également une stratégie de court terme et n’est pas durable aussi bien économiquement qu’écologiquement. Economiquement d’abord parce que sa réussite est conditionnée par la croissance d’autres pays et de leur demande en matières premières, tout comme pour le pétrole. De plus, ces réserves en ressources naturelles ne sont évidemment pas intarissables. Ecologiquement ensuite car l’extractivisme est terriblement destructeur et menace la riche biodiversité présente en Equateur.

La problématique des inégalités ne pourra pas être réglée de cette façon. C’est à la base de celles-ci qu’il faut s’attaquer pour parvenir à des résultats importants et durables. Ce n’est malheureusement pas la direction que semble vouloir prendre le prochain candidat d’Alianza Pais qui préfère tabler sur le consensus national de la production extractive.

© photos Sébastien Gillard


[1] L’extractivisme fait référence à l’extraction de produits minéraux présents à l’état naturel dans le sous-sol. (Source: Commission Justice et Paix (2015). Capitalisme et extraction minière: Un divorce nécessaire vers des alternatives durables. Bruxelles.)