Pas de risque de fraude des particuliers effectuant des paiements dans des paradis fiscaux, déclare le Ministre des Finances.

CHAPITRE X

C’est bien le ministre des Finances actuel, Monsieur Vincent Van Peteghem, qui a procédé à cette époustouflante déclaration lors de son audition devant la Commission des Finances et du Budget le 9 novembre 2022. Il y a lieu de le préciser car il n’est pas le premier à avoir tenu ces propos. En effet, l’un de ses prédécesseurs, entre le 5 mars 2013 et le 22 décembre 2014, avait déclaré dans le cadre d’une interview accordée au journal Marianne – édition belge – en mai 2013 : « À ma connaissance, il n’y a pas de problème particulier en Belgique avec les personnes à haut potentiel de revenus. »[1] (Propos recueillis par David Leloup et Quentin Noirfalisse). Bref, les riches, quoi ! Et qui était ce ministre des Finances à l’époque ? Koen Geens, qui lui aussi appartient au CD&V. À 10 ans d’intervalle, quelle remarquable continuité de pensée, comme s’il ne s’était rien passé durant cette décennie : de nombreux Leaks, qu’ils résultent entre autres de l’ICIJ (le Consortium international des journalistes d’investigation) et/ou de l’intense activité de l’administration allemande dans l’achat de données fiscales, pour certaines hackées ou volées. Comme si, la taxe Caïman, instituée en 2015, n’avait pas notamment pour objectif d’augmenter la contribution des personnes à haut potentiel de revenus.

L’extension aux particuliers de la loi  créerait une charge administrative disproportionnée
À noter que le ministre des Finances actuel déclarait également que l’extension aux particuliers de la loi créerait une charge administrative disproportionnée pour compenser un risque plutôt limité de perte de recettes fiscales. On ne pensait pas que les personnes à haut revenu potentiel étaient si nombreuses qu’elles mettraient l’administration en surchauffe. D’autant plus qu’il n’y aurait pas grand-chose à investiguer, dans la mesure où ces gens-là ne fraudent pas.

On sait au moins 2 choses à propos de ces paiements vers les paradis fiscaux : ils s’élèvent à 383 milliards et le premier destinataire est la Fédération des Emirats Arabes Unis (EAU).

On sait aussi que le versant belge des « Dubaï Papers » est important et qu’il concerne des belges aussi bien en tant qu’organisateurs que bénéficiaires.

On sait qu’on ne sait pas grand-chose sur ce que font réellement les Autorités compétentes pour mener à bien les actions qui s’imposeraient à l’égard des organisateurs et des bénéficiaires.

On sait que le « EU Tax Observatory »[2]  a publié en mai 2022 une étude intitulée « Who Owns Offshore Real Estate ? Evidence from Dubai “, soit “Qui possède des biens immobiliers offshore ? La preuve par Dubaï ».

On sait donc que 745 propriétaires belges détiennent à Dubaï 1.511 biens immobiliers (plus de 2 biens par propriétaire)
On sait donc que 745 propriétaires belges détiennent à Dubaï 1.511 biens immobiliers (plus de 2 biens par propriétaire) pour une valeur totale de 593 millions de dollars, soit une valeur moyenne de 392.468 dollars par bien, la valeur médiane s’élevant à 216.335 dollars.

La déclaration du Premier Ministre nous conduit donc d’une part à conclure que ces 745 Belges n’ont pas fraudé et qu’il n’y a pas lieu de poursuivre les organisateurs et bénéficiaires personnes physiques belges identifiés dans les Dubaï Papers puisqu’elles ne fraudent pas.

Mais l’on suggère tout de même aux auteurs[3] de l’étude à propos de Dubaï (dont Gabriel Zucman) de la faire parvenir au Ministre.

Christian Savestre

Table des matières

Chapitre I – Après l’avoir abusée, le Ministre des Finances et son Administration fiscale finissent par lâcher – piteusement – la vérité à la Cour des comptes.
Chapitre II – La Cour des comptes avait pourtant interrogé les autorités responsables, mais avait été contrainte de déclarer qu’elle n’avait pas reçu d’explications satisfaisantes.
Chapitre III – Une véritable embrouille d’Etat, au long cours, sur les chiffres
Chapitre IV – Une loi pour faire semblant, appliquée en faisant semblant.
Chapitre V – Depuis 2010, des milliers de milliards de paiements vers des paradis fiscaux qui n’ont pas inquiété grand-monde, jusqu’à ce que la Cour des comptes décide de mener son enquête.
Chapitre VI – Un inexplicable désintérêt des parlementaires
Chapitre VII – Opacité et art de l’esquive comme mode de gouvernance.
Chapitre VIII – Les Emirats Arabes Unis, « Le stade Dubaï du capitalisme »
Chapitre IX – Une future étude scientifique
Chapitre X – Pas de risque de fraude des particuliers effectuant des paiements dans des paradis fiscaux, déclare le Ministre des Finances.
Chapitre XI – Un énorme scandale maintenu sous cloche
Chapitre XII – Trois  auditions, trois occasions de savoir, trois constats d’échec
Chapitre XIII – Les constats d’échec en détails

ANNEXES

Annexe I – Méthodologie
Annexe II – Quelques points de repère chronologiques
Annexe III – Audition des Représentants de l’Inspection Spéciale des Impôts du 26 novembre 2022
Annexe IV – Audition du Ministre des Finances du 09 novembre 2022
Annexe V – Tableau de calcul du passage des chiffres officiels aux chiffres officiels corrigés sur base du cash pooling prétendument inclus dans ces chiffres officiels

[1] https://pour.press/wp-content/uploads/2023/03/2013-05-25-Marianne-012-Panamagate-4-Crombez-Geens-embarras.pdf
[2] Le EU Tax Observatory mène des recherches innovantes sur la fiscalité, contribue à un débat démocratique et inclusif sur l’avenir de la fiscalité, et favorise le dialogue entre la communauté scientifique, la société civile et les décideurs politiques dans l’Union européenne et dans le monde.

[3] Gabriel Zucman-UC Berkeley & EU Tax Observatory ; Bluebery Plenterose,-EU Tax Observatory; Annette Alstadsaeter-Université Norvégienne pour les sciences de la vie; Andreas Okland- Université Norvégienne pour les sciences de la vie