S’il est un sujet sensible pour les Européens, ce sont les droits sociaux et le statut des travailleurs. La Direction générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion y travaille avec, en ligne de mire, la date du 26 avril pour des propositions visant la convergence sociale vers le haut des États membres.
Le droit du travail européen établit les standards minimaux en-dessous desquels on ne peut pas aller, que ce soit pour le temps de travail, l’information et la consultation des travailleurs, en général ou avant un licenciement collectif par exemple. Mais il traite aussi de la non-discrimination des travailleurs à temps partiel et à durée déterminée, du détachement des travailleurs et de la protection des intérimaires. Mais tout ce qui est social est très controversé et souvent attaqué par des groupes de pression! Sur le temps de travail, l’Europe a adopté la directive 2003/88/CE qui prévoit que le temps de travail hebdomadaire est de 48 heures maximum. Avec une période minimale de 11 heures de repos quotidien au cours de chaque période de 24 heures et un minimum de 4 semaines de congé annuel.
Surveiller et proposer
Marianne Thyssen, commissaire à l’Emploi, affaires sociales, compétences et mobilité des travailleurs, est en charge de cette matière considérable. Ses services, qui portent la dénomination «DG EMPL», travaillent, notamment, sur deux axes. Le premier est la prise en charge des infractions et le lancement d’une procédure contre les États fautifs qui peut aller jusqu’à la Cour de justice suite à une plainte de citoyens, une interpellation parlementaire, ou par le relevé d’une irrégularité.
Le deuxième axe est le travail législatif par lequel de nouvelles propositions sont élaborées pour de nouvelles directives. Il ne s’agit pas de règlements, mais de directives (contraignantes) en matière sociale. Elles sont adoptées, sur proposition de la Commission, par le Parlement Européen (majorité simple) et le Conseil des ministres (en général, à la majorité qualifiée mais sur certains points l’unanimité est requise comme par exemple sur l’indemnisation en cas de licenciement).
Ô temps suspends ton vol (Lamartine)
L’adoption d’une directive dépend d’une machinerie énorme. Il faut d’abord évaluer les règles existantes, les européennes comme les nationales. Il faut ensuite faire une analyse d’impact pour les 28 (bientôt 27) membres. Cela demande une aide importante de consultants divers. Une proposition de texte prendra deux ou trois ans avant d’obtenir l’accord politique au niveau du collège des 28 (bientôt 27) commissaires. Comme déjà dit, le Parlement et le Conseil des ministres doivent ensuite simultanément donner leur accord.
Divergences et blocage
Un travailleur polonais est envoyé en Belgique par son employeur polonais dans le cadre d’une prestation de service (donc temporaire en principe). Ce travailleur «détaché» doit toucher le même salaire qu’un travailleur local, propose la DG Emploi. Le Parlement devrait vraisemblablement marquer son accord, mais au Conseil des ministres, c’est le blocage. Certains pays de la partie est de l’Europe veulent que leurs ressortissants ayant décroché un contrat dans un pays à l’ouest de l’Europe puissent continuer à y travailler au salaire minimum (c’est la règle actuelle). Mais la DG veut s’assurer que les employeurs paient les salaires en vigueur en Belgique. Aujourd’hui, on est juste autorisé à s’assurer que le détachement est valide, à savoir que les travailleurs sont en ordre de paiement des cotisations sociales et en matière de protection de la santé sur le territoire d’accueil, rien que cela est difficile à faire appliquer.
Sur le temps de travail, les Britanniques auraient bien voulu que la directive temps de travail soit abolie. Se limiter à 48 heures ne constitue pas un temps horaire de travail suffisant pour eux, et ils ont déjà fait insérer dans la directive actuelle (2003/88/CE) un «opt out», une clause selon laquelle un employé peut décider de travailler davantage pour autant qu’il signe un accord écrit! Avec néanmoins un bémol, car cette règle se calcule sur une période de référence de 4 mois. Et si elle se prolonge, il faut l’accord des partenaires sociaux.
Le précieux acquis européen
L’Europe a mis en place des directives en matière de sécurité et de santé au travail, d’égalité hommes-femmes, de congé de maternité, d’égalité d’accès à l’emploi. Ces règles minimales sont plus ou moins critiquées dans certains pays qui entretiennent l’idée que les règles empêchent la croissance. Mais on est arrivé à garder ces directives sans pour autant réussir à les développer. Or le monde évolue.
Jean-Claude Juncker a pris l’initiative de relancer le dialogue social et la construction européenne car l’un ne fonctionne pas sans l’autre. Avec Marianne Thyssen, la commissaire à l’emploi, il tient à ce que «l’Europe reste une référence en matière sociale pour le monde entier», tout en regrettant «que la dimension sociale reste le parent pauvre de la construction européenne» [1].
Alors, bonne nouvelle, le 26 avril prochain, la Commission va déposer ce qui constituera la base de ce pilier social européen. Ce sera un socle de droits sociaux définissant des planchers qu’on ne pourra pas corriger vers le bas. Les droits sociaux comprennent les initiatives en matière d’équilibre vie privée-vie professionnelle et de protection sociale. Le président du Conseil européen veut aussi lancer une réflexion visant à donner des droits minimaux à tous ceux qui sont dans ce qu’on appelle le travail précaire ou à la demande. Aujourd’hui, des employeurs se permettent d’appeler des gens seulement la veille pour travailler le lendemain. La pratique du zéro heure, le «je te prends, je te jette» après trois mois ou trois jours ne peut perdurer. Et la pratique du licenciement indirect par imposition d’horaire impossible à endurer est inacceptable.
Ce n’est pas la faute de la Commission si des directives n’arrivent pas à être votées par le Parlement et surtout par le Conseil. Rendez-vous est pris pour le 26 avril où des consultations avec les partenaires sociaux seront mises en route. Entre autres, un document d’une soixantaine de pages va être diffusé, il entend donner de la clarté juridique à partir de différentes décisions de la Cour de justice concernant le temps de travail, pour comprendre comment cette directive est aujourd’hui interprétée et doit être appliquée. Ce document, qui fera d’abord connaître ce qui existe, permettra un éclaircissement pour réfléchir, consulter des avocats, porter plainte, mais il n’ajoutera rien aux règles.
La Commission européenne s’interroge et consulte. Non, elle n’est pas complètement libérale! Elle l’est d’ailleurs certainement moins que la moyenne des gouvernements actuels des 28! Récemment, Jean-Claude Juncker a déclaré vouloir que l’Europe se dote d’un «triple A social», allusion au système de cotation des banques. Il veut relever le pilier social au même niveau que le pilier économique de l’U.E. Avec la concertation annoncée sur la directive 2003/88/CE concernant l’aménagement du temps de travail on peut espérer que la Commission européenne prenne un chemin plus proche des attentes des Européens et en vienne à stimuler une réelle solidarité entre eux.
Propos recueillis auprès d’un fonctionnaire de la DG Emploi (qui a souhaité rester anonyme)
[1] Discours du Président Jean-Claude Juncker au Sommet sur le monde du travail de l’Organisation Internationale du Travail