Revoici les LuxLeaks. Deux ans après la révélation de cette affaire, la situation s’avère tristement scandaleuse. En premier lieu de par le procès en appel des deux lanceurs d’alerte, lequel débute ce lundi 12 décembre. Si Edouard Perrin, journaliste du Monde, a été acquitté en juin 2016, Antoine Deltour et Raphaël Halet ont été condamnés, le premier à 12 mois de prison avec sursis et 1500 € d’amende et le second à 9 mois de prison avec sursis et 1000 € d’amende. Leur inculpation avait à l’époque soulevé l’indignation que le procès et le verdict ont encore renforcé.
Cependant, la mesure n’était pas encore atteinte. Depuis la semaine dernière, elle l’est 172 fois. A savoir le nombre de rescrits fiscaux — plus opportunément appelés accords de complaisance ou, en anglais, sweetheart deals — que le Grand-Duché de Luxembourg a consenti sur la seule année 2015! C’est ce qu’avance Eurodad, réseau européen d’organisations de la société civile qui font campagne pour une plus grande transparence fiscale. A croire que le scandale LuxLeaks ne s’est pas produit.
Soutien aux lanceurs d’alerte
On ne reviendra pas ici sur le fond de l’affaire ou du jugement. Un documentaire diffusé sur Arte retrace le parcours d’Antoine Deltour et «Envoyé spécial» a consacré une émission à Raphaël Halet.
Pour l’heure, ces lanceurs d’alerte ont besoin de soutien, moral et financier. Deux pétitions circulent, on peut signer l’une pour Antoine Deltour et une autre pour Raphaël Halet. Pour être complet, signalons qu’une pétition a été lancée en octobre qui demande la création d’un statut de lanceur d’alerte au niveau européen.
Par ailleurs, leurs frais de justice s’élèvent à plusieurs dizaines de milliers d’euros alors que leur situation financière n’est pas exactement florissante. Pour contribuer, il suffit de se rendre sur le site que gère leur comité de soutien respectif. Ici pour Antoine Deltour et ici pour Raphaël Halet.
Enfin, partagez largement les informations que celles-ci concernent l’affaire LuxLeaks elle-même ou la situation des deux lanceurs d’alerte.
Sur place, à Luxembourg, des actions sont prévues pour l’ouverture du procès, notamment à l’initiative de la Plate-forme paradis fiscaux et judiciaires. On attend du monde sur le parvis de la Cité judiciaire afin de montrer l’engagement des citoyens européens. Une délégation d’eurodéputés, et notamment du groupe des Verts en pointe sur la problématique des lanceurs d’alerte, sera également présente.
Deux autres audiences sont déjà programmées le lundi 19 et le mercredi 21 décembre et des mobilisations similaires auront lieu.
Rescrits fiscaux de record en record
A la suite des LuxLeaks, une commission spéciale du Parlement européen avait été mise en place en février 2015 afin d’enquêter sur les pratiques fiscales mises au grand jour. Et depuis, diverses propositions ont été discutées avec un arrangement remarqué sur les rescrits fiscaux. Courant 2017, il y aura en effet un échange automatique d’information entre États européens sur ces avantages accordés par leurs administrations fiscales respectives.
On avait donc quelque espoir de voir progresser la transparence et l’équité fiscale, sinon l’harmonisation, au sein de l’UE. Au vu du rapport publié par Eurodad la semaine dernière, on est loin du… compte. Intitulé «Survie des plus riches: comment l’Europe soutient un système fiscal international injuste», il relève que le nombre de ces rescrits fiscaux est passé de 547 en 2013 à 972 en 2014 et à 1444 en 2015. Soit une augmentation de 50% depuis le scandale. L’ONG a utilisé des données publiées par la Commission européenne pour obtenir ces chiffres, qui concernent 17 pays de l’UE ainsi que la Norvège.
Le Luxembourg est le pays qui a le plus pratiqué ce type d’accords fiscaux depuis la révélation des LuxLeaks avec… la Belgique. Est-ce une surprise? Tove Maria Ryding, coordinatrice pour la justice fiscale chez Eurodad et une des auteurs du rapport, considère plutôt que c’est la progression du nombre d’accords qui est très surprenante et profondément inquiétante. «Avec les exemples d’Apple* et des LuxLeaks, nous savons que ces accords secrets peuvent être utilisés à des fins d’évasion fiscale par les entreprises multinationales», explique-t-elle.
Car oui, ces accords demeurent souvent dans le plus grand secret, rendant impossible de les juger. Les gouvernements ont beau jeu d’arguer que tous les rescrits fiscaux ne sont pas problématiques aux yeux de la loi. Une majorité d’entre eux s’opposent pourtant aux mesures qui permettraient de connaître le montant des impôts payés par les multinationales dans les pays où elles opèrent. On se consolera momentanément avec un fait établi par ce rapport. Pour la première fois, le lot des pays en faveur de la transparence est plus grand que le lot des pays contre (voir l’illustration ci-dessous).
Ce rapport est encore riche d’autres enseignements, notamment avec une évaluation pays par pays. Nous y reviendrons sous peu plus en détails.
— Eurodad (@eurodad) 7 décembre 2016
* Apple avait passé un arrangement avec l’Irlande lui permettant de bénéficier durant des années d’un taux d’imposition de seulement 1%. Fin août 2016, la société américaine a été sommée par la Commission européenne de rembourser à Dublin 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux indus.