Les libraires dépossédés ?

CULTURE
Prise de position 

Les Etats-Unis n’ont pas signé la convention de l’Unesco sur la diversité culturelle.

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Escif – http://www.streetagainst.com/

Un «meilleur des mondes» où le réseau de libraires indépendants aurait disparu, et où les multinationales seraient en mesure, par leur puissance de diffusion, de décider de ce qui peut être vendu, donc publié et donc de ce qui peut être lu : fantasme, aux yeux de certains. Fantasme?

Pourtant, le Traité transatlantique concerne tous les secteurs liés au commerce. C’est-à-dire à peu près tout, y compris la culture. On m’objectera que les négociateurs français ont obtenu l’exception culturelle (déclenchant d’ailleurs la colère de Barroso, qui les a traité de réactionnaires!)

Mais :

  1. Cette exclusion du champ des négociations ne concerne que l’audiovisuel,
  2. Et encore doit-elle être considérée comme provisoire, comme l’a bien précisé Karel De Gucht, un des principaux promoteurs du projet: «Il ne s’agit pas d’une exclusion. Les services audiovisuels ne figurent pas à l’heure actuelle dans le mandat. Mais le mandat précise clairement que la Commission aura la possibilité de revenir devant le Conseil avec des directives supplémentaires pour la négociation». Le TTIP prévoit en effet la mise en place d’un Conseil de Coopération réglementaire composé d’ «experts» chargés de faire la chasse aux secteurs laissés provisoirement tranquilles.

On pourrait encore objecter que l’Union européenne est censée défendre la diversité culturelle. Mais l’UE classe l’imprimerie et l’édition dans la catégorie des services commerciaux, et non dans celle des services culturels. Le Conseil européen des Associations de Traducteurs littéraires (CEATL) relève d’ailleurs que les déclarations de la Commission européenne en matière de protection des littératures nationales sont contradictoires.

Enfin, ne perdons pas de vue que l’Europe négocie ici avec les Etats-Unis, qui n’ont pas signé la convention de l’Unesco sur la diversité culturelle et qui l’ont même fortement combattue[1].

Le TTIP accordant les mêmes droits aux investisseurs internationaux qu’aux acteurs européens, rien n’empêcherait une entreprise transnationale d’exiger les mêmes subventions que celles fournies à un éditeur français ou belge, ou bien d’attaquer l’Etat devant un tribunal privé pour obtenir des compensations financières, voire la suppression de ces subventions comme étant «discriminatoires». Rien n’empêcherait Amazon ou tout autre opérateur de contester les critères d’attribution des marchés publics ou ceux du label «libraire de qualité».

Nous ne pouvons assister les bras ballants au démantèlement des politiques publiques de soutien à la création et au laminage des cultures.

Nous ne pouvons accepter que les robots[2] des entreprises multinationales détruisent l’emploi des libraires et des bibliothécaires qualifiés, dont le rôle dans la défense de la littérature et dans la promotion du débat d’idées est essentiel pour la démocratie.

Nous ne pouvons tolérer la mort du commerce culturel de proximité.

Les bibliothécaires et les libraires, dont la situation économique est déjà fragile, ont donc toutes les raisons de s’opposer à ce projet calamiteux et d’utiliser leurs grandes qualités de pédagogues et d’agitateurs d’idées pour, avec leurs lecteurs, couler le transatlantique.

C’est la démarche que viennent d’adopter les libraires de Besançon, qu’il convient ici de saluer.

[1] cf l’article de l’ambassadeur Jean Musitelli: La convention sur la diversité culturelle, anatomie d’un succès diplomatique.

[2] à voir sur Internet : Amazon se dote d’une armée de 15.000 robots