Ce jeudi 23 novembre, l’auditoire Chavanne de l’ULB était comble : au moins 400 personnes s’y pressaient. Bien que l’invitation soit venue des Grands-Parents pour le Climat, le public n’était pas constitué que de “vieux” ; il y avait aussi des jeunes (de 16 à 25 ans) qui ont présenté leurs initiatives de transition (potagers collectifs, kots à projets écolos, permaculture, théâtre-action…).
Grands-Parents pour le climat est une organisation internationale, présente dans tout le monde “riche” occidental (Europe du Nord, Etats-Unis, Canada et Australie).Les membres sont très motivés car très inquiets pour l’avenir de leurs petits-enfants et très sincères dans leurs démarches (les mots « amour » et « angoisse » se côtoyaient dans leurs témoignages).
Pour leur grande conférence annuelle, ils avaient réuni un beau panel : Jean-Pascal van Ypersele (climatologue UCL, ex-vice-président du GIEC), Isabelle Cassiers (professeure à l’UCL), Vincent de Brouwer (Executive Director chez Greenpeace Belgium) et Pascal Delwit (politologue ULB). Ces invités prestigieux devaient répondre à la question titre de la soirée, « Face au défi climatique, quels espoirs pour demain ? ». Le meneur de jeu, le journaliste à la RTBF, Eddy Caekelberghs, qualifiait le déroulement prévu d’« un peu hollywoodien » mais faire préciser l’interrogation titre par des jeunes qui interpellaient les « experts » donnait du rythme à la soirée. La question récurrente posée par ces jeunes était « Pourquoi, alors que l’on connaît tout de l’urgence et de la gravité du problème, le monde politique ne fait-il rien ou si peu ? ».
Vincent De Brouwer, après avoir insisté sur le changement nécessaire des mentalités, déclare que l’endettement est un frein aux réformes souhaitées et met en avant une nécessaire réforme de la démocratie. Jean-Pascal Van Ypersele évoque la COP23 et se montre optimiste en expliquant que la sortie des Etats-Unis de la COP n’est pas encore faite. Il reconnaît que beaucoup de choses restent dans le vague par rapport aux sanctions vis-à-vis des pays qui ne respecteraient pas leur « plan climat » et le versement des compensations financières pour aider les pays les plus touchés par le réchauffement climatique reste pendant. Mais il estime que les ambitions se précisent : on va revoir les plans régulièrement à la hausse, le rôle des femmes à chaque stade des actions pour le climat est réévalué, on a inclus en tant que tels dans la problématique l’agriculture et les océans, les peuples indigènes seront mieux représentés. Il y aura allocation de fonds supplémentaires pour l’adaptation au réchauffement et développement d’assurances ou compensations financières… Selon lui, la complexité des problèmes, le niveau de conscience du public encore trop peu développé et la puissance des lobbies qui ont intérêt à ce que rien ne change expliquent les blocages.
Mais ce sont Isabelle Cassiers et Pascal Delwit qui répondent le plus en profondeur aux questions des jeunes.
Pascal Delwit voit plusieurs causes à l’immobilisme de nos sociétés :
- invisibilité et impopularité des thèmes ayant trait au réchauffement climatique et aux changements nécessaires ;
- temporalité : les élections déterminent l’action des politiques dans le temps court alors qu’il faudrait une vision à plus long terme ;
- lobbying : les milieux d’affaires exercent une pression énorme qui freine les réformes nécessaires.
Delwit insiste sur le fait qu’au-delà des initiatives individuelles et collectives, locales et régionales, une régulation publique est absolument indispensable ! Mais, s’il paraît évident pour tout le monde ce soir-là qu’il faut agir pour lutter contre le réchauffement climatique, il rappelle que les partis au pouvoir ont été élus et donc que la majorité des électeurs n’en est pas convaincue (ou s’en fout). Il faut dès lors sortir de l’entre-soi et aller parler aux gens. Le rôle de la culture et de l’éducation est prépondérant. Il faut aussi trouver des alliances entre les différents acteurs.
Isabelle Cassiers, elle, en appelle à un décloisonnement des savoirs, à déconstruire notre regard sur les institutions et sur la doctrine économique dominante. Il faut faire davantage confiance à notre intuition et adopter une vision systémique. Par exemple, nous sommes riches et que faisons-nous de notre argent ? Où sont investis nos fonds de pension ? Chaque acte que nous posons entretient-il ou pas le système ? A force de petites brèches, le système se fragilisera. Il faut aussi créer des réseaux en interne ou internationaux afin de répandre ces idées de transition et de respect des hommes et de la planète. Isabelle Cassiers est la seule à remettre fortement en question la logique de croissance qui est indispensable au capitalisme (elle est la seule à oser ce mot) pour continuer à exploiter encore et toujours plus les hommes et la Planète.
La soirée nous a paru apolitique, même si la présidente des Grand-Parents pour le Climat Belgique est la députée Ecolo Thérèse Snoy et si la synthèse finale fut prononcée par Benoît Derenne, CEO de la Fondation pour les Générations Futures, lui aussi assez proche du parti vert (dont quelques élus étaient là). Un tel positionnement, prudent et rassembleur, correspond sans doute à la volonté de sortir de l’entre-soi et de convaincre ceux qui ne le sont pas. Néanmoins, cette ambiance consensuelle nous a laissé un peu sur notre faim. Elle révélait nous semble-t-il un manque d’analyse en termes de rapports de force et du rôle des inégalités dans cette problématique du réchauffement climatique et des moyens d’y faire face.
Anne De Muelenaere et Alain Adriaens