L’égalité c’est la santé (et l’amour aussi)

Voici un petit livre qui expose avec simplicité et humour, en 60 pages à peine, le résultat des recherches menées par Kate Pickett et Richard Wilkinson, deux épidémiologistes anglais. Ces deux savants ont rassemblé et compilé durant plus de 30 ans des centaines d’études du monde entier portant sur les domaines de la santé et de l’espérance de vie.

Au départ, leurs recherches portaient simplement sur les causes de l’allongement de l’espérance de vie et sur les différences de celle-ci entre les classes sociales.

Les conclusions de toutes ces études montrent que, bien sûr l’espérance de vie s’élève lorsque la richesse globale d’un pays s’accroît, mais à un moment donné, l’espérance de vie n’augmente plus. Parmi les pays riches, on observe des disparités très étonnantes: par exemple, la Belgique a une espérance de vie moindre que l’Espagne ou l’Italie.

Les Etats-Unis, beaucoup plus riches, ont une espérance de vie moindre que… la Grèce. Et cela même si leurs dépenses de santé sont beaucoup plus élevées. Il ne sert donc à rien de produire plus de richesses, cela ne nous aide pas à vivre plus longtemps.

Après des années d’interrogations, nos deux savants ont eu l’idée de rapprocher les données sanitaires des pays avec leur degré d’inégalités. Et là bingo! On observe une corrélation très nette: les pays les plus inégalitaires sont ceux dont l’espérance de vie stagne et même décroît. De plus, il y a une relation positive entre les inégalités et les problèmes sanitaires et sociaux, la mortalité infantile, le pourcentage d’obèses, le nombre de maladies mentales, d’homicides et de personnes incarcérées.

C’est toute la société qui est atteinte car malgré les différences de l’état de santé entre classes sociales, les plus riches sont aussi touchés. Wilkinson avoue qu’il ne dispose pas de données pour les 1% des plus riches. Mais par exemple, aux Etats-Unis, le taux d’anxiété des étudiants américains a augmenté de façon spectaculaire depuis la fin des années 50. Même les enfants sont beaucoup plus anxieux que par le passé. En moins de 15 ans, les taux de dépression ont doublé dans certains pays développés.

Comment expliquer cela? D’après Wilkinson, dans une société inégalitaire, chacun ressent davantage le stress d’un éventuel «déclassement social», la peur d’une évaluation négative de la part des autres. Cela engendre un stress qui est ressenti d’autant plus profondément que la personne se trouve au bas de l’échelle sociale. Plusieurs expériences ont été menées auprès de populations différentes qui montrent la production d’une hormone de stress: le cortisol, beaucoup plus élevée lorsque la personne estime son moi menacé par le jugement d’autrui.

Ce stress engendre une série de dommages sur la santé et peut aboutir à un abrègement de la vie elle-même. On le voit dans ce graphique: les plus démunis ont une espérance de vie plus courte de 7 années par rapport aux plus riches.

Parallèlement, on a aussi observé une montée du narcissisme chez certaines catégories de personnes: une auto-valorisation servant de carapace, qui peut aller jusqu’à la violence et au racisme. Bref une auto promotion, mais qui repose sur des bases fragiles. La modestie n’est plus dans l’air du temps, victime d’une société inégalitaire.

Heureusement des études ont montré aussi que l’amitié, l’amour des proches protègent les individus car ils procurent un sentiment de sécurité qui est bon pour la santé!

Mais on a constaté que lorsqu’une société devient plus inégalitaire, le sentiment de confiance envers autrui diminue, la bienveillance s’éclipse, les fossés se creusent. On a tendance à rester «entre soi». La mobilité sociale diminue également. De même que l’innovation. Et oui!

Bref, suite à ces recherches, le British Medical Journal a pu titrer que «ce qui détermine la mortalité et la santé dans une société tient moins à la richesse globale de la société en question qu’à la répartition égalitaire de la richesse. Mieux la richesse est répartie, meilleure est la santé de cette société».

Toutes ces affirmations sont largement étayées dans une multitude de graphiques repris dans le livre cité plus haut. On ne peut que conseiller également la lecture du livre de Kate Pickett et Richard Wilkinson, «Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous» (éd. Les petits matins).

Il faut maintenant donner une traduction politique à ces découvertes: ne plus s’attaquer aux conséquences des dysfonctionnements mais aux causes. Payer des médecins, des infirmières, des psychologues, des policiers, des gardiens de prison etc… pour traiter des problèmes qui reviennent beaucoup plus fréquemment dans les sociétés inégalitaires, c’est très cher. Nous devrions affronter les causes, c’est-à-dire les inégalités.

C’est possible, par le biais de l’impôt de la redistribution mais aussi de la démocratisation en général et sur le lieu de travail. L’important, c’est un changement de l’opinion publique par rapport aux inégalités et aux super-riches. Ceux-ci ne méritent pas leurs privilèges exorbitants. Il faut qu’ils le sachent.

Beaucoup d’expériences actuelles démontrent qu’au fond les gens détestent les inégalités criantes. L’humanité a vécu durant environ 99% de son histoire dans des sociétés de chasseurs-cueilleurs très égalitaires, où ceux qui voulaient dominer étaient ridiculisés, exclus ou même pire (Christopher Boehm). Nous avons aussi vécu des périodes de tyrannie terribles donc nous pouvons faire les deux.

A nous de choisir.

L’égalité c’est la santé (et l’amour aussi)
François Ruffin, Editions Fakir,
septembre 2015, 63 pages
ISBN: 2369210095

 

 

 

 

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En bonus

Interview video de Richard Wilkinson par François Ruffin