Le glyphosate empoisonne la Commission européenne… et la population

Plus une semaine ne passe sans que le glyphosate ne fasse l’actualité. Et pour les plus mauvaises raisons comme les «Monsanto Papers». Dernière affaire en date, les résultats d’un test d’urine organisé par Générations Futures. Avec un chiffre choc: 100% des échantillons contiennent des résidus de l’herbicide.

Générations Futures n’aime pas les substances chimiques, disons outre mesure. En février dernier, elle avait déjà créé l’émoi avec un test portant sur l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Quelques personnalités de l’écologie comme Yann Arthus-Bertrand, Isabelle Autissier, Nicolas Hulot ou Yannick Jadot s’étaient prêtées à une analyse de leurs cheveux et les résultats étaient inquiétants.

L’association a appliqué la même formule au sujet du glysophate. Un panel d’une trentaine de personnes dont une dizaine de figures connues parmi lesquelles la chanteuse Emily Loizeau, Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, l’ex-ministre (française) de l’Ecologie Delphine Batho ou nos humoristes Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek. Le but évident est de s’assurer une attention médiatique et cela fonctionne puisque l’info a été largement diffusée.

Cette fois, les volontaires se sont soumis à un test d’urine afin d’y rechercher les taux décelables de cette fameuse molécule. Et le bilan affiché interpelle une fois de plus. «100% des échantillons analysés contenaient du glyphosate à une concentration supérieure à la valeur minimale de quantification du test», soit 0,075 ng/ml, indique Générations Futures dans un communiqué. Dans 29 cas sur 30, la concentration est supérieure à la concentration maximale admissible pour un pesticide dans l’eau distribuée (0,1 ng/ml). Les résultats complets de l’étude sont disponibles en ligne.

D’aucuns ont mis en doute la valeur de l’étude pour cause d’échantillon insuffisamment représentatif. People ou non, l’échantillon reprend des personnes d’âge et sexe variés, entre 8 et 60 ans, habitant à la campagne ou en ville, à l’alimentation diverse, biologique ou non, végétarienne ou non. Par ailleurs, l’association s’est souciée de la crédibilité de sa démarche en comparant les résultats avec ceux d’autres rapports. Dont l’étude allemande Urinale, effectuée avec 2000 volontaires en 2015-16, ou celle qui a concerné 48 eurodéputés en mai 2016. Le tout concorde, indiquant des concentrations en glyphosate très proches.

«Nous sommes toutes et tous contaminés par le glyphosate. Il est vraiment temps que les autorités européennes prennent conscience de l’urgence à agir et interdisent enfin cette molécule considérée comme probablement cancérogène pour l’homme par le Centre International de Recherche sur le Cancer!», a déclaré François Veillerette, porte-parole de Générations Futures. Ajoutant «Doit-on attendre de connaître les effets néfastes sur l’organisme pour agir? Le doute doit bénéficier à la santé publique.» Nous ne pouvons que rejoindre cet avis.

L’ECHA écharpée

Pour rappel, le glyphosate est en sursis au niveau européen depuis juin 2016. Sans accord des Etats membres sur le renouvellement de sa licence, la Commission européenne a temporairement prolongé l’autorisation en restreignant les conditions d’utilisation. Et ce dans l’attente d’un avis de l’ECHA, agence européenne chargée de la classification des produits chimiques.

Attendues pour fin 2017 au plus tard, cette agence a donné de ses nouvelles plus tôt que prévu, de mauvaises nouvelles en l’occurrence. Selon des experts, membres du comité d’évaluation du risque de l’ECHA, le glyphosate ne doit pas être classé comme cancérogène. C’est ce qu’a fait savoir Jack de Bruijn, directeur de cette division de l’agence, lors d’une conférence de presse ce 15 mars. Les conclusions finales seront transmises ultérieurement à la Commission européenne, pour le début de l’été au plus tard. Précisons en passant que l’ECHA doit déterminer le danger potentiel intrinsèque des substances évaluées mais qu’elle ne tient pas compte des critères d’exposition, notamment.

Des eurodéputés ont immédiatement réagi à cette annonce. Dont Michèle Rivasi, élue du groupe Verts/ALE et membre de la commission santé et environnement. Elle évoque notamment la saisie de la Cour européenne de justice pour vérifier la transparence de l’évaluation de l’ECHA. Celle-ci repose, comme celle de l’EPSA, sur des études confidentielles et que l’on s’évertue à garder telles. Il semble en outre que certaines études, fatales pour le glyphosate, ont été écartées. Enfin, des experts de ce comité d’évaluation présentent des conflits d’intérêts notoires.

La veille, un coup de théâtre est survenu mais il ne s’est répandu qu’au lendemain de l’annonce de l’ECHA. En 2016, des travailleurs agricoles, atteints d’un lymphome non hodgkinien, ont intenté une action collective devant une cour fédérale de Californie. Et, dans ce cadre, la justice américaine vient de déclassifier 250 pages de correspondance interne chez Monsanto. Comme l’a rapporté le New York Times, les «Monsanto Papers» prouvent de façon explicite que la firme avait connaissance de la toxicité du glyphosate, et ce depuis 1999 (!). Des études ont également été manipulées, semble-t-il encore. Le Monde est revenu sur le contenu de ces documents internes et leur influence dans le débat public.

Il y a là de quoi discréditer le comité de l’ECHA. Cette agence et d’autres accordent d’évidence une confiance inconditionnelle aux informations transmises par les industriels de l’agrochimie. Dans la foulée de ces révélations, la délégation des eurodéputés socialistes français a publié un communiqué qui est une condamnation sans appel. Il y est notamment demandé à la Commission de démanteler cette agence et de la reconstruire. On attend (toujours) la réaction de la Commission.

Laquelle se retrouve également interpellée par 29 eurodéputés de tous bords, dont Philippe Lamberts et José Bové. Le 24 mars, ils ont adressé une lettre ouverte à Jean-Claude Juncker, où sont présentées sept mesures à prendre sans délai. Les élus veulent entre autres qu’on détermine si Monsanto a délibérément falsifié des études sur la sûreté du pesticide et que l’UE ne permette pas de nouvelle approbation du glyphosate avant clarification. Affaire à suivre assurément car on voit mal à ce stade comment la Commission pourrait attendre tranquillement l’avis officiel de l’ECHA.

Glyphosate? Nenni, valet!

En écho à ces informations est tombée une décision attendue du gouvernement wallon. En date du 30 mars, celui-ci a adopté un projet d’arrêté interdisant sur son territoire l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant du glyphosate.

L’arrêté entrera en vigueur au 1er juin 2017 «afin de laisser l’opportunité aux particuliers d’adapter leur comportement et à la logistique de se mettre en place au sein des lieux de distribution pour le grand public», tel que l’a précisé Carlo Di Antonio, ministre de l’Environnement. Celui-ci avait entamé la bataille de longue date pour mettre ce genre d’herbicide hors la loi en Wallonie.

Si la vente restera autorisée, les produits visés tels que le Roundup ne se retrouveront plus dans un rayon directement accessible au public. Et le vendeur fournira obligatoirement une information sur la réglementation wallonne, les risques pour la santé humaine, la protection de l’environnement et les techniques alternatives. Ajoutons que l’interdiction concernera les pouvoirs publics à partir du 1er juin 2018.

Certains ont cru pouvoir parler d’incohérence sur l’air de «on autorise et on interdit». Il faut savoir qu’une interdiction de vente pure et simple n’est pas du ressort de la Wallonie mais des autorités européennes. Et l’autorisation de mise sur le marché dépend du gouvernement fédéral. Louons plutôt le gouvernement wallon. Celui-ci agit ici au mieux de ses compétences, en affirmant que le principe de précaution continue de prévaloir.

En tout état de cause, la signature de l’Initiative Citoyenne Européenne, qui vise l’interdiction du glyphosate mais aussi la réforme de la procédure d’approbation des pesticides et la définition d’objectifs obligatoires de réduction de l’utilisation des pesticides, reste d’une actualité impérative. Pour en savoir davantage et agir, c’est par ici.