Maraîcher en biodynamie, Jean-François Ramlot vit à Saint-Gérard entouré de son épouse, de ses trois enfants, de ses deux chevaux de trait et de ses légumes. En un bel après-midi d’avril 2010, le GAC-Namur (GAC = Groupe d’achat commun) s’est constitué autour de lui et, comme vous pourrez le lire dans les lignes qui suivent, cette sympathique symbiose profite tant aux Gaciens qu’à Jean-François. Portrait de ce passionné.
Comment en es-tu arrivé à devenir maraîcher?
Mon rêve d’enfant était de devenir fermier, mais ce métier est trop lourd. Lorsque j’ai quitté l’enseignement, je me suis tourné vers une activité que j’aimais bien : le jardinage. C’est une passion dont je ne pensais pas faire un métier. En 2000, j’ai effectué un stage en maraîchage chez François Dereppe à Saint-Servais. Ce fut une révélation. A tel point que j’ai fait le stage une deuxième année. C’était une philosophie qui me convenait: faire le maximum sur une petite surface. Je me suis alors lancé dans ce métier à la ferme de la Sarthe, où j’ai été accueilli à bras ouverts. En 2004, je me suis mis sous le statut d’indépendant.
Tu as parlé d’une philosophie. Peux-tu nous expliquer la tienne?
La démarche du maraîcher est liée aux soins de la terre. C’est donc tout naturellement que j’ai été interpellé par la biodynamie dans son questionnement : « Comment apporter de la chaleur dans la substance que l’on va manger? ». Cette philosophie permet de rester dans le vivant, de s’occuper du vivant et de le faire maturer. Elle apporte la lumière et la chaleur nécessaires dans la substance.
Cela donne une très grande force qui prend naissance à l’intérieur, quelle que soit la situation climatique, familiale ou économique. Et cette force existe non seulement dans les plantes, mais également à l’intérieur de notre corps et de notre esprit. On peut alors se dire que l’on a un travail qui donne une nourriture qui correspond aux besoins de l’être humain. Cela permet également de faire avancer ma réflexion.
C’est un plaisir d’être dans la terre, d’être dans la nature, d’être avec les chevaux. D’avoir toujours cet étonnement : « Ah tiens, ça lève! Ah ben mince, elles sont là, les laitues, elles sont là les carottes ». Malgré le mauvais temps. Il y a une joie de voir les choses se métamorphoser. Ça c’est un fait.
Ma fierté ce sont les chevaux de trait, et les chevaux apportent beaucoup dans l’aspect agricole, dans l’aspect agronomique, de structure du sol. Pour la valeur humaine aussi. C’est le lien entre l’animal, le végétal et l’être humain.
Quels sont les avantages et inconvénients à travailler avec un GAC?
Le très grand avantage est de se sentir soutenu. C’est le premier soutien que j’ai eu. J’ai eu le soutien direct de clients lorsque j’étais au marché de Namur, c’est déjà fameux. Mais un GAC c’est volontaire. Un GAC recherche une certaine qualité de nourriture, cherche peut-être aussi des prix, mais de travailler ensemble, c’est aussi un encouragement pour moi. Il y a un soutien de venir sur le terrain (de temps en temps, les membres du GAC se retrouvent chez Jean-François pour l’aider), même si on ne le fait plus trop maintenant. Et puis de savoir que je fais tels paniers, j’organise ma culture. Je me dis que si je mets des radis, c’est bien d’avoir aussi de la laitue, des courgettes, des tomates. On organise un peu son maraîchage en fonction du nombre de commandes par semaine.
L’inconvénient, c’est que parfois le jeudi (jour de livraison) je suis fatigué, j’ai envie de revenir plus tôt mais à part cela, je ne vois pas d’inconvénient. Franchement je n’ai pas d’inconvénient. Je n’ai jamais dû me dire « ça me pèse ».
Et les coopératives?
Leur premier avantage est de développer un marché interrégional, plus large que son village ou sa ville. C’est, ensuite, de développer la vente, de se dire que je produis pour mon GAC ou ma vente directe, mais que, si j’en ai trop, je peux proposer le surplus à la coopérative. L’avantage est que les coopératives acceptent de petites quantités. Dans certains groupements, si vous n’avez pas une quantité suffisante, on ne vous la prend pas. Ici chez Agricovert, même si j’amène trois bottes, on va me les prendre. Donc il y a moins de pertes.
Deuxième chose, c’est qu’une certaine confiance s’installe. On a une plus grande confiance à acheter des choses qui ne viennent pas de chez soi et à les proposer à sa clientèle, de dire « voilà, il fait partie de la coopérative, on fait des échanges, on connaît ses difficultés, on sait comment il travaille ». On retire de la joie à racheter et à vendre des produits pour d’autres collègues. Parce qu’elle permet ça, une coopérative comme Agricovert booste une démarche individuelle dans une démarche interrégionale.
J’aime bien ce type de coopérative où ce sont les producteurs qui se sont mis ensemble pour vendre. Et pas des vendeurs qui cherchent des producteurs. La démarche est tout à fait différente. Je préfère une coopérative où l’on s’entend sur ce qu’est la terre, comment il faut faire pour produire.
Les politiques, communales, régionales, européennes, en matière agricole sont-elles adaptées à la réalité?
Elles sont très lentes. Elles réagissent, entre autres, pour l’accès aux terres, qui est un très gros problème, mais elles sont très lentes dans la mise en place des choses. Mais c’est normal aussi, il y a tellement d’habitudes. S’occuper d’une terre, c’est viscéral, et un fermier peut être vite requin pour acquérir une terre. Donc il y a deux mondes: le monde des fermiers et le monde ailleurs. Le monde des fermiers, il est avec les entrailles de la terre, et la terre est fort emprisonnante. C’est criant. Il faut à chaque fois plus de terres. Il faut racheter, racheter. On va dans l’industrialisation.
Par exemple, on nous demande de venir à l’AWEX à Ciney, au palais des expositions, pour vendre nos produits. On sent qu’ils cherchent des producteurs. Je dis « oui c’est bien mais aidez-nous à nous vendre plutôt qu’à nous faire préparer des dossiers, aidez-nous à développer notre activité familiale avec la terre ». Et là il manque encore une prise de conscience.
Quand tu entends TTIP, cela te fait penser à quoi?
Cela m’interpelle fort, quand on voit tout le silence qu’il y a autour de ça pour « accéder à ces dossiers ». Il va surpasser certaines lois nationales, ça me fait peur. Où va-t-on? Le commerce, c’est de la fraternité, ce n’est pas des sous, et je crains que ce ne soit que ça et que ce soit toujours le plus gros qui prenne le dessus.
Les Américains sont de grands enfants, donc il leur faut le monde. Et nous, l’Europe, on doit développer une certaine éthique, et eux ils ont des difficultés à comprendre cela. Mais je crois qu’il faut tenir bon.
Quelles sont tes craintes pour l’avenir?
C’est que le bio perde ses lettres de noblesse et que le commerce prenne le dessus sur une éthique de production.
Et quels sont tes espoirs?
C’est que la clientèle prenne conscience des bienfaits de la nourriture, de ce qu’elle leur apporte et qu’au regard de son budget croissant en soins de santé elle se dise : « pourquoi? Est-ce normal ? Cette nourriture me nourrit-elle vraiment? ». Qu’il y ait cette prise de conscience-là. Comme le dit un proverbe arabe : « en mangeant on devient malade et en digérant on guérit ». Donc cette nourriture est plus que remplir un ventre. Elle donne une certaine force à l’humanité.
Et pour ma part c’est que je retrouve une stabilité financière.
Il faut donc rester vigilant, montrer l’exemple. Et pas forcément juger les autres, mais montrer l’exemple: voilà je fais comme ça. Parce qu’on a de plus en plus de libertés et de ne pas accepter ce que les autres veulent dire; il nous appartient de montrer l’exemple. C’est un devoir d’être le plus vrai possible avec soi-même. C’est vraiment un devoir.
Actuellement, le GAC souhaite ouvrir un point de distribution Agricovert à Salzinnes (Namur), de façon à faciliter l’accès aux produits bio et locaux artisanaux, tout en permettant à Jean-François de pouvoir réaliser son rêve : vivre de son maraîchage.
Propos recueillis par Jean-Paul Leonis