Les semaines passent et les Chiliens n’en ont pas fini de combattre les incendies, n’imaginent pas encore l’ampleur économique, sociale et environnementale des dégâts causés, sont loin de panser des plaies humaines béantes.
Ils ne pourront sans doute pas se mettre d’accord sur les causes des désastres. Encore moins pourront-ils s’y attaquer. Les plus lucides tentent d’aller au plus exact, les plus inconsistants n’y voient que la fatalité, la chaleur et les actes malveillants de quelques errants, d’origine mapuche de préférence.
Il faut savoir que les incendies ont détruit l’équivalent de deux provinces belges, l’équivalent de TOUTE la forêt wallonne. Ce sont essentiellement des bois formés de plantations à vocation sylvo-industrielles ou agro-industrielles. Ces bois ignorent totalement les essences endémiques et sont aménagés (et clôturés, donc inaccessibles aux secours) selon des plans privés. Aucune vision d’ensemble n’est envisagée en aménagement du territoire, au nom de la sacro-sainte priorité politique à accorder à la propriété. L’eucalyptus, à destination des grandes usines à papier, est développé en dépit du bon sens. Les compagnies électriques font l’unanimité contre elles en raison des mauvaises implantation et gestion des réseaux, sont immunisées par les lois.
La ville de Santiago, déjà très polluée en temps normal, voit son smog rejoint par les fumées en provenance du Sud, rendant les conditions de respiration très malsaines.
Nous avons évoqué le cas de Llico, hameau de la commune de Vichuquen, région Maule, à 300 km au sud de Santiago. Le village, en bord d’océan Pacifique, sera sans doute sauvé. Des sauveteurs volontaires sont morts, beaucoup de gens ont perdu tout espoir de concevoir une vie meilleure, ils ne sont pas encore remis d’un tsunami énorme subi il y a quelques années.
En bordure du très beau lac de Vichuquen, on trouve de somptueuses propriétés, réservées à de riches citoyens de Santiago, qui viennent là passer le week-end. Ils disposent à proximité d’un aéroport qui leur permet de venir rapidement, évitant les routes déficientes de la région. C’est ainsi que le vendredi soir, les habitants de Llico peuvent voir le ballet des avions qui posent les riches et leurs victuailles.
Proche de Llico encore, la lagune Torca, formidable réserve naturelle qui héberge d’innombrables oiseaux protégés.
Il fallait arrêter l’incendie avant que les flammes atteignent le Pacifique. Une riche Chilienne a eu l’idée de commander les services d’un super-tanker américain, capable de déverser 80 tonnes d’eau en une fois. Les hélicoptères et les petits avions étaient inopérants.
Cette privatisation de la sécurité — disons plutôt qu’il n’y a pas de sécurité publique autre que le corps des pompiers volontaires —, efficace, à la mesure des besoins, gigantesque dans son déploiement, cette solution venue du ciel a permis, dans un désastre régional incommensurable, de sauver des priorités résidentielles que sont les villas des bords du lac Vichuquen, une des seules priorités ornithologiques du pays que représente la lagune Torca et, par voie de conséquence, le hameau de Llico.
Sauvé des fumées, Llico bénit les riches et les oiseaux. Sans eux, Llico était un village impuissant.