La Poudrière: une communauté d’humains

Les articles publiés sur le site de POUR dans la rubrique « Agir » décrivent souvent des initiatives récentes par lesquelles des femmes et des hommes, en général jeunes, s’organisent pour adopter un mode de vie autre que celui, trop décevant pour eux, proposé par une société qu’ils jugent bassement matérialiste. Ils réalisent rarement que d’autres, bien avant eux, ont choisi la voie du retrait. La Communauté de la Poudrière est l’exemple même de ces audacieux précurseurs.

Rue de la Poudrière, le bâtiment détonne un peu dans ce coin plutôt pauvre de Bruxelles, avec cette belle fresque peinte en trompe-l’œil sur un bâtiment d’un blanc immaculé. C’est là que tout a commencé, en 1958, dans ce quartier déshérité où se sont installé deux oblats d’un ordre monastique. En général les oblats sont des chrétiens laïcs qui, sans prononcer de vœux, se donnent (latin oblatio, don) à un monastère pour adopter une vie correspondant à leur foi. Ici, ce sont deux prêtres, Aimé et Léon, qui viennent en mission dans la grande ville. Sans plan bien précis, ils se contentent de rendre des services aux gens du quartier et puis d’accueillir des personnes sans abri. D’autres, qui ne sont pas dans le besoin, viennent aussi se joindre à eux pour mettre leur vie en accord avec leurs principes.

Très vite, la communauté croît pour regrouper plusieurs dizaines de personnes qui vivent en communauté selon le principe « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » qui est né chez les socialistes utopiques du XIXe siècle (Etienne Cabet, Louis Blanc) et qui fut repris par la suite par des anarchistes et des communistes. Et cela marche, cette mise en commun de quasi tout : économies d’échelle et dynamisme du groupe permettent de belles choses. Si certains travaillent à l’extérieur, c’est sur son travail et ses propres forces que la communauté compte. Comme beaucoup de ceux qui s’organisent en dehors de la logique marchande, la récupération, le recyclage, la réutilisation de tout ce que jette la société consumériste est un moyen de développer des activités économiques autonomes et cela bien avant que le système ne récupère l’idée sous le vocable d’« économie circulaire ». Avec l’accroissement du nombre de ceux qui vivent en son sein, La Poudrière essaimera (5 implantations aujourd’hui : Morlanwez, Rummen, Anderlecht…, plus de 60 personnes impliquées) et diversifiera ses activités, avec notamment une activité agricole dans une belle ferme à Rummen, dans le Limbourg.

Ouverture et solidarité sont au cœur des pratiques de La Poudrière. Aux chrétiens de départ se sont adjoints des agnostiques, des athées, des musulmans… Toutes les classes d’âge sont représentées et, lors de leurs repas qui sont pris en commun (importante cette communion à table), coexistent « des écolos végétariens et de grands mangeurs de viande ». L’ouverture de la communauté se marque aussi dans ses partenariats. Elle est très impliquée dans le réseau Ressources qui regroupe la septantaine d’organisations qui font de la « récup » en Wallonie et à Bruxelles. Elle Belgique ainsi que dans Recupel qui se spécialise dans la revalorisation des appareils électro-ménagers et les lampes. L’implication sociétale de La Poudrière se manifeste aussi bien par son appartenance aux « provocateurs de changement » d’Emmaüs international que par son partenariat avec les post-soixante-huitards de Longo Maï.

Si la communauté s’est organisée pratiquement pour être autonome son objectif véritable est de défendre certaines valeurs. La première est de lutter contre la pauvreté et l’exclusion. La Poudrière dit qu’elle ne peut accepter le dogme néolibéral « On n’a plus besoin de vous, on va vers la planète des exclus » et elle entend prouver que « c’est faux, chacun à sa valeur ». Elle refuse de se couler dans le moule qui veut que « le sens de la vie, c’est accumuler » et affirme un autre projet où « chacun participe à l’humanité ». En une sorte de concrétisation de la pyramide du psychologue Abraham Maslow qui définit les vrais besoins humains, La communauté de La Poudrière tente d’assurer trois besoins essentiels : « un toit, des moyens pour vivre, une appartenance, des liens pour vivre, un projet, des motivation pour vivre ». Pour ce faire, elle entend s’appuyer sur le troisième membre de la devise de la France « Liberté, Egalité, Fraternité ». « Le communisme qui a tout basé sur l’égalité, ça n’a pas marché ; le capitalisme qui met la liberté au centre de tout; ça ne marche pas » alors pourquoi ne pas tenter « la fraternité qui n’a pas encore assez étudiée et expérimentée » proposent les promoteurs de cette communauté qui prouve depuis 60 ans que cela peut très bien marcher.

Nos modernes transitionneurs qui s’essaient, eux aussi, à des modes de vie différents et sont dans la recherche d’une alternative à la logique productiviste/consumériste auraient peut-être intérêt à profiter de l’expérience accumulée depuis des décennies par La Poudrière. D’ailleurs, certains le comprennent puisqu’en cette année 2017, la communauté fut, à côté d’expériences faisant clairement parte du mouvement de la transition, un des 10 finalistes du Grand Prix des Générations futures. A cette occasion fut réalisée par la fgf une petite vidéo qui résume fort bien c’est qui se vit au sein de la Poudrière.

Nous trouverions donc dans cette communauté des précurseurs d’un mouvement très actuel… Il faut dire que les phrases que l’on lit dans les publications de La Poudrière doivent paraître étrangement familières aux oreilles des militants de la transition : « Partager est un projet d’autogestion qui ne dépend pas de subsides. (…) Le monde peut devenir une communauté de différentes communautés, reliées entre elles par des réseaux spécifiques (certains existent déjà). (…) Si nous n’allons pas librement dans cette direction, demain nous serons obligés de le faire ! La question n’est pas d’être opposé aux institutions, mais de ne pas attendre qu’elles agissent : nous avons en nous la force nécessaire… ». On retrouve là, quasi littéralement, les lignes directrices qui ont émergé du Cahier d’analyse « Quelle transition vivrons-nous ? » que vient de publier notre coopérative d’édition.