La course à l’impôt zéro des sociétés… et à la fin, toujours l’austérité ?

Au cours du printemps 2018, POUR consacrera un dossier à la problématique des multiples modalités de la fraude fiscale, d’évitement de l’impôt et de l’injuste répartition de l’effort collectif. Dans cette optique, nous relayons aujourd’hui un communiqué de presse du Réseau de la Justice fiscale.

Selon une récente étude d’Eurodad[1], on peut prévoir qu’au rythme de réduction désormais adopté par nos gouvernements tous les 10 ans, l’impôt des sociétés sera égal à zéro d’ici à 2052. Pour rappel, on est passé en Belgique de 56,8% dans les années 70 à 41% en 1990, pour arriver à 33,99% dans les années 2000. Dans les années 50, au pays de la libre-entreprise que sont les USA, les Rockefeller et autres Carnegie acceptaient de contribuer (par l’impôt) à la relance nationale en y consacrant 90% des bénéfices de leurs sociétés. Très récemment, un sondage[2] montrait que 70% des Belges étaient sceptiques par rapport aux multinationales et opposés aux avantages fiscaux accordés pour tenter de les attirer en Belgique !

La cavalcade des funambules

En juillet 2017, dans le cadre des prévisions budgétaires pour 2018, le gouvernement Michel annonçait une réduction de l’impôt des grosses sociétés passant, pour le taux nominal, de 33,99% à 25% en 2020. Et pour les PME, le taux de la première tranche de 100.000 euros passera de 25 à 20%. Le tout, sans aucune garantie ni engagement en matière d’emploi mais budgétairement « neutre »… Le Bel-20 (et ses actionnaires) bondissait suite à ces annonces ![3]

Six mois plus tard et deux nouvelles annonces en octobre et novembre[4], le gouvernement dépose finalement sa copie, en relative urgence maintenant : cela doit passer à la Chambre avant la fin de l’année pour pouvoir être appliqué en 2018 ! Successivement, la Cour des Comptes et la Banque Nationale entre autres, se sont penchées sur ces propositions. Elles ont émis des doutes sur l’équilibre de cet échafaudage qui repose sur une bonne trentaine de mesures compensatoires.

Deux remarques s’imposent. Tout d’abord, les taux affichés (nominaux) sont des taux de départ et ne tiennent pas compte de déductions fiscales qui interviennent ensuite. Ils ne correspondent donc pas du tout à l’impôt réellement payé par les sociétés. Par exemple, les 1.000 sociétés affichant les plus gros bénéfices en Belgique ne paient en fait que 7,9% d’impôts sur leurs bénéfices et les 50 plus grands champions des ristournes fiscales paient un taux moyen d’imposition de 1% ! Le taux effectif moyen pour l’ensemble des sociétés serait de 15%, proche de la moyenne européenne[5].

Par ailleurs, ce cadeau fait aux entreprises devra être budgétairement neutre et ne rien coûter au contribuable. En fait, dans le cadre de la lutte à l’OCDE et dans l’Union européenne contre une « fiscalité abusivement agressive », le gouvernement belge, souvent critiqué à ce sujet au niveau international, veut profiter de cette occasion pour mettre de l’ordre dans les incitants fiscaux qu’il accorde aux sociétés depuis quelques dizaines d’années. Il annonce ainsi vouloir supprimer ou réduire certaines « niches » – principalement les intérêts notionnels – pour compenser le nouveau «beau» cadeau ! Baisser les taux, mais élargir la base fiscale pour compenser, « C’est la tendance actuelle au niveau international »

Pour la Cour des Comptes, la marge de sécurité retenue pour le budget 2018 est faible. Elle s’interroge aussi sur la neutralité budgétaire de l’opération. La diminution des « intérêts notionnels » qui devrait intervenir pour compenser la moitié du coût de cette diminution de l’ISOC est particulièrement difficile à évaluer, avis partagé par de très respectables économistes. Elle dépend de l’évolution économique assez imprévisible pour les années à venir (croissance de l’activité économique ? et hausse des taux d’intérêts ?) ; la croissance de la taxe Caïman est impossible à évaluer, ainsi que différentes autres compensations, basées sur des données dépassées remontant parfois à 2015, voire 2012… ! En conclusion, « L’impôt des sociétés (lui-même) comporte la marge d’erreurs la plus élevée, principalement à cause du caractère cyclique des entreprises et des effets parfois imprévisibles de leurs comportements ».

Pour la BNB, si les intentions du gouvernement sont louables (baisse des taux à compenser par un élargissement de la base taxable), « le tableau des mesures de compensation est plus mitigé. (…) Dans l’ensemble, la réforme comporte des risques à la hausse comme à la baisse ». Réponse donc nettement plus réservée de la BNB, réponse de Normand d’un organe assez proche de l’actuelle majorité gouvernementale…

Rendre la mariée plus belle

Neutralité budgétaire ? On le voit, rien n’est moins sûr ! Un gouvernement Michel, champion de la rigueur budgétaire ? On devrait plutôt parler d’une nouvelle rigueur annoncée pour demain. Certaines niches sont réduites ? Mais d’autres apparaissent. Quant au taux minimum de 7,5% d’impôt également annoncé, on s’aperçoit que les 50 sociétés les plus ristournées paieront 2,4% d’impôts alors qu’elles ne paient aujourd’hui que 1% sur leurs bénéfices. Quant aux PME, soi-disant avantagées, certaines pourraient voir leur taux d’imposition finalement passer de 24,98% à 25% !

Tout ceci se justifierait au nom de la compétitivité. Ici aussi, de récentes études[6] nous rappellent que des pays comme l’Allemagne, le Japon, les USA, la France ont comme la Belgique des taux nominaux élevés mais aussi une compétitivité élevée …

Si toutes ces incertitudes sont là, on peut raisonnablement poser la question de savoir qui va payer finalement le coût de cette opération, estimée à 5,5 milliards par le SPF Finances[7]. Qui va financer l’environnement des entreprises : les infrastructures et la mobilité nécessaire à la bonne marche des affaires, l’enseignement et la qualification de la main d’œuvre hautement recherchée dans un univers mondialisé, la culture, la protection sociale qui garantit climat et paix sociale … et favorise l’attractivité d’un pays ? Les détenteurs de capitaux, les grosses sociétés ? Pour rappel, la TVA a augmenté partout en parallèle au déclin de l’ISOC… Alors, le déficit continuera et le citoyen lambda paiera ! En wallon, on dit, « C’est todî les p’tits qu’on sprotche ! ». Merci M. Michel et la NVA, nous nous en souviendrons bientôt…

François Gobbe (RJF), Daniel Puissant, secrétaire du RJF.

Le RJF (Réseau pour la Justice Fiscale) réunit les syndicats et une trentaine d’ONG, de mouvements et d’associations de Wallonie et de Bruxelles.


[1] http://www.eurodad.org/files/pdf/1546849-tax-games-the-race-to-the-bottom-1512547011.pdf p. 14
[2]  Sondage Le Soir-RTL, Octobre 2016
[3] L’Echo 26 juillet 2017
[4] L’Echo 12 octobre et 7 novembre 2017
[5] « Réformes de l’impôt des sociétés » – Gilles ‘t Serstevens –Econosphères n°30 – 20 octobre 2017.
[6] « There is no link between tax rates and competitiveness » – 8 octobre 2017 – F.Weyzig (Oxfam Novib, PaysBas) ; “Le beurre et l’argent du beurre” – Comment les multinationales échappent à la redistribution fiscale – CISL, 2006, p.52.
[7] Réformes de l’impôt des sociétés – 13 octobre 2017