Intercommunales: du bon et du (très) mauvais

Les intercommunales wallonnes sont au centre d’une tempête politique et médiatique suite aux révélations des pratiques de la nébuleuse Publifin/Nethys. On ne reviendra pas ici sur les faits découverts et de ceux qui vont encore émerger suite à l’obligation où se trouvent les responsables wallons de mettre de l’ordre dans un système que certains n’hésitent pas à qualifier de «mafieux». Nous voudrions aborder ici deux exemples de ce qui se fait dans les autres régions de Belgique, Bruxelles et la Flandre.

A Bruxelles, les intercommunales sont bien moins nombreuses qu’en Wallonie mais une des plus puissantes est Vivaqua. Elle gère la production et distribution de l’eau potable à Bruxelles et environs, soit 745.000 logements et 1,5 millions de personnes desservies. Tous les ans, Vivaqua publie un rapport annuel que l’on peut consulter en ligne. Le dernier est celui de l’année 2015.

On y apprend beaucoup de choses intéressantes et je voudrais ici me pencher sur les pages 42 à 47 qui abordent la gouvernance de cette puissante intercommunale. On y découvre la liste des représentants politiques des communes membres de l’entreprise publique intercommunale et, aussi, les présences de chacun·e aux réunions. C’est ainsi que l’on peut lire que les 4 gérants étaient présents à au moins 22 des 24 réunions du conseil de gérance. Normal, c’est là que se prennent les décisions. Mais pour les 11 séances du conseil d’administration, la plupart des 27 membres, dont le président Yvan Mayeur, bourgmestre de Bruxelles, étaient présents à au moins 9 des 11 réunions, sauf le bourgmestre de Braine-l’Alleud, Vincent Scourneau (aïe, un des deux Wallons de l’équipe) qui ne fut là que 3 fois sur 11.

Il y a aussi un Collège de 14 commissaires qui s’est réuni 8 fois. Là, les présences sont moins régulières et il faut dénoncer un obscur conseiller communal de Schaerbeek qui ne fut jamais présent (0 sur 8). Un autre membre, plus connu, un certain Etienne Schouppe (ex-ministre CD&V de la Mobilité, entre autres mandats de haut niveau) ne fut présent que 4 fois sur 8. Ces quelques chiffres montrent en tout cas qu’une intercommunale peut jouer la transparence (normal quand on distribue de l’eau potable?) et rendre public le fonctionnement interne d’une intercommunale.

En Flandre, épargnée par les vagues médiatiques autour des intercommunales, on pourrait croire que tout se passe paisiblement. Erreur! On lira avec quelque étonnement la saga autour de la création de l’intercommunale de distribution d’énergie Eandis développée dans les pages 56-59 du n°92 de l’excellent trimestriel Ensemble publiée par le Collectif Solidarité contre l’Exclusion qu’on peut consulter en ligne. Certes, l’idée de départ, fusionner 7 intercommunales publiques d’énergie était excellente: cela aurait mené à la réduction du nombre de conseils d’administration et donc de nombreux et coûteux mandats.

Une gestion unifiée de 80% de la distribution d’énergie en Flandre eut aussi été rationnelle. Hélas, il fut proposé que cette fusion s’accompagne d’une ouverture au capital privé. La création d’intercommunales mixtes présente toujours le risque de faire entrer le loup dans la bergerie mais ici, ce n’était pas un loup mais un «dragon» puisqu’il fut proposé d’ouvrir le capital à la State Grid Corporation of China. Cette société est le plus grand distributeur d’énergie du monde et n°2 mondial du classement des plus grandes sociétés établi par la magazine américain Fortune.

Cette proposition fut le fait d’un groupe nommé Macharius (ancien évêque de Gand qui a donné son nom au local où se réunissait le management d’Eandis) composé de 4 mandataires communaux de haut vol (tiens, un sp.a, un Open-Vld, un CD&V et un N-VA). Menée très discrètement, cette opération fut révélée au public grâce à des «lanceurs d’alerte» (organisations sociales et environnementales) fin août 2016. Le débat fut alors très vif, les 2.100 conseillers communaux qui devaient au final décider furent informés contradictoirement. La droite plaidait évidement pour l’ouverture au privé. Groen! fut la première formation politique à refuser clairement cette modification aventureuse de la structure intercommunale. Après divers épisodes trop longs à détailler ici, le 3 octobre 2016, le CA d’Eandis invita 250 mandataires communaux à venir voter sur un ordre du jour… sans objet. L’AG dura 16 minutes et la structure mixte public/privé ne vit pas le jour (on ne connaît pas le coût de cette réunion «pour rien»).

Il est clair qu’une rationalisation de la galaxie des intercommunales est nécessaire (et d’ailleurs déjà en cours) mais il ne faudrait pas «jeter le bébé avec l’eau du bain»: la gestion par le public de GIE (groupements d’intérêt économique) est essentielle, notamment pour tous les réseaux de distribution qui sont inévitablement monopolistiques et qui, lorsqu’ils sont laissés au privé, débouchent dès lors souvent sur des augmentations de prix totalement injustifiées.

Ce qu’il convient surtout d’éviter, c’est la dérive vers les pratiques du privé. Certes, dans un environnement capitaliste, il est parfois difficile d’éviter la tentation de faire «comme les entreprises privées». Le but n’est pas ici d’augmenter les dividendes, même si ceux-ci vont vers des actionnaires qui sont des communes, mais de rendre le meilleur service et au moindre coût aux citoyens qui ne sont pas des clients mais des usagers. Il est hélas évident que, du côté de Liège, un certain Stéphane Moreau qui s’est baptisé CEO (Chief Executive Officer) comme dans les multinationales s’est trompé de métier ou du moins de secteur. Dans une multinationale, il pourra gagner plus que ses 900.000 € annuels et il ne décrédibilisera plus le secteur public. Quand on constate comment ce gars traite «son» personnel, on se demande comment il ose se dire socialiste.