A 56 ans, Hélène Ryckmans est reconnue pour son fructueux parcours à la fois dans l’enseignement, la recherche et le travail de terrain. Notamment, comme chargée de mission, elle exerça de 1996 à 2014 au Monde selon les Femmes.
Membre du groupe Ecolo, elle est depuis 2014 députée wallonne et sénatrice désignée par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Votre premier gros dossier de parlementaire: le TTIP!
Mon parti, Ecolo, s’est intéressé le premier à ce traité maintenant bien connu de libre échange avec les U.S.A. «De quoi il retourne, nous demandions-nous?» Et nous avons interpellé la Commission chargée des questions européennes. Il nous a paru que le Parlement wallon devait absolument se renseigner et forger son opinion pour pouvoir prendre position le moment venu.
Les auditions ont alors commencé. Il y en a eu dix-huit où ont été invités des responsables politiques et d’ONG, des observateurs et des analystes, des chercheurs et bien sûr des négociateurs pour expliquer de quoi il s’agissait. Assez vite la problématique TTIP a été rejointe par les autres traités de libre-échange, le CETA et le TiSA. J’ai suivi toutes les auditions relatives à ces traités. En outre, je me suis rendue deux fois au Ministère des Affaires étrangères pour consulter les documents classés confidentiels du TTIP (dont certains ont été publiés récemment par Greenpeace). J’y retourne d’ailleurs le 12 mai prochain.
Une nouvelle visite pour vous informer davantage?
Il faut savoir qu’après chaque round de négociation sur le TTIP arrivent les mises à jour des avancées dans les discussions. On en est averti par un message du Ministère des Affaires étrangères. L’accès à la salle de consultation est possible deux fois deux heures par semaine et pour deux personnes à la fois. Sont à disposition une trentaine de documents de vingt pages en moyenne et qui suivent la table des matières de l’accord en négociation. On nous donne de quoi écrire, mais le PC et le GSM sont interdits! Les rapports de ces négociations avec la position européenne sont accessibles sur le site web de la commission.
Mais, dans les documents confidentiels, on trouve en plus les positions américaines. Comme citoyenne, je trouve absurde cette culture du secret pour des informations qui ne me semblent pas cruciales en matière de négociations. Tous les chapitres du Traité étant encore ouverts, les documents mentionnent les points évoqués et s’ils font consensus ou s’il y a des éléments qui coincent. Mais l’inquiétant est ce pouvoir donné aux experts et aux techniciens des milieux d’affaires, coutumiers des arguties juridiques, aux dépens d’un certain nombre de parlementaires qui ne maîtrisent pas facilement tous les enjeux liés à ces contrats. Au final, dans ce que j’ai lu jusqu’à présent, je n’ai rien trouvé qui pouvait me faire dire qu’on risquait de rater quelque chose de positif en ne signant pas ce traité. Et cela ne fait que conforter ma détermination à m’opposer au TTIP comme je l’ai fait pour le CETA.
Cecilia Malmström est venue répondre aux questions du parlement wallon sur le CETA et le TTIP. Quelle impression vous a-t-elle fait?
Je peux saluer sa motivation à venir défendre ces traités. Le souci, c’est qu’elle «distorsionne» la vérité. Elle dit par exemple que les services d’intérêt public sont protégés dans le CETA et le seront dans le TTIP. Or chez nous, les services d’intérêt général comme l’école et les transports, ou les maisons de repos ne sont pas uniquement publics bien qu’ils aient des missions de service public. Donc ils sont menacés par les accords.
Elle dit aussi: l’Europe ne va pas brader ses normes sociales, il n’y aura pas de marche arrière. Mais l’Europe, sous la pression des multinationales, prend les devants: elle dérégule déjà et défait les règles générales. Pour exemple, elle laisse aux États le droit de décider sur leur territoire de l’utilisation des OGM et des pesticides!
Un Conseil des ministres européens sur le CETA est prévu ce 13 mai. Peut-on leur faire confiance?
Le Conseil des Ministres des vingt-huit Etats-membres doit s’exprimer sur le CETA. Après la position de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, celles d’autres Etats pourraient évoluer vers le refus de signer ce traité. Seront confirmés, je l’espère, le caractère mixte du traité et le refus de sa mise en œuvre provisoire.
Avec le Brexit, la crise des migrants, l’Europe n’arrive plus à avoir un projet positif. Chaque pays est plongé dans ses propres difficultés et on ne trouve pas ensemble un élan qui nous fédère vers un mieux. On s’arc-boute à un socle commun qui est de moins en moins important. Les failles qui existaient déjà auparavant se révèlent maintenant sur la place publique. Avec en plus une vision décomplexée de la part des gens d’extrême droite qui s’expriment! Or l’important est le projet commun européen.
En tant que femme députée, comment vous sentez-vous dans vos fonctions publiques?
Je me sens bien intégrée dans un Parlement wallon équilibré grâce aux lois sur la parité. A propos du CETA, on s’est fait la réflexion qu’on était surtout des femmes à y travailler. Je suis contente personnellement d’avoir eu une longue vie professionnelle avant de m’engager dans les responsabilités politiques. Cela me donne une légitimité. Par contre, on n’est nulle part dans la féminisation des politiques wallonnes. On a un plan contre la violence, d’accord, mais en matière d’emploi, d’environnement, de mobilité, d’agriculture, on n’avance pas. Rappelons qu’en 2014 on a voté le Décret wallon dit de «Gender mainstreaming» qui rappelle que toutes les politiques wallonnes doivent faire l’objet d’une analyse selon le genre. Mais les projets de décret se passent volontiers d’analyse et se concluent souvent par un facile «il n’y a pas d’impact différent sur les hommes ou sur les femmes». Heureusement, il existe le Conseil Wallon de l’Egalité entre Hommes et Femmes (CWEHF) qui compte des représentants de la société civile. Il travaille à l’élimination de toute discrimination directe ou indirecte et a fait des recommandations sur les choix des thématiques prioritaires pour que chaque ministre avance vers l’égalité entre hommes et femmes.
Vous êtes également sénatrice. Le rôle du Sénat a beaucoup changé!
Le sénat est une assemblée d’échanges et de réflexions entre communautés et régions. S’y retrouve une représentation de chaque parlement avec une idée de discuter sur les politiques qui traversent l’ensemble de la Belgique et de faire des recommandations. Un des derniers sujets était la pauvreté infantile. Mais nous avons travaillé aussi sur les droits des femmes. Il y a eu un rapport sur le transport et on va en commencer un autre sur le climat. C’est une matière sur laquelle je déplore qu’il manque une conscience d’urgence. Nous formons un groupe commun Ecolo-Groen.
Le Sénat est une instance qui s’est fortement féminisée peut-être parce qu’il n’est plus perçu comme un lieu de pouvoir.
Que préférez-vous dans votre travail de parlementaire?
Il y a des matières que je suis de près, comme l’agriculture et l’emploi, et bien sûr les matières d’égalité femmes-hommes et de relations internationales. Je vais autant que possible à la rencontre des gens, notamment des agriculteurs et éleveurs. L’intérêt et la pression de la société civile sont importants pour soutenir le travail politique. Je veille à rester en lien avec les électeurs, les assemblées écolo des régions et j’essaie de me rendre aux rencontres dans ma commune, ma région. Je veux rester dans la vraie vie.