Tout part d’une intention généreuse, d’un «acte citoyen» comme on le dit volontiers pour le moment. Quelque part en Syrie, une famille en détresse, usée par la guerre, vivant en permanence le risque de perdre la vie. Quelque part près de Namur, une famille disposée à accueillir ses correspondants du Moyen-Orient.
Les choses sont engagées correctement au plan administratif puisque la demande de visa est faite en bonne et due forme. Le refus de visa a été estimé non justifié par la Justice, à deux reprises. L’État belge a été condamné dans l’affaire à verser 4000 euros par journée d’inexécution, soit de non-entrée en vigueur des visas.
La levée de boucliers contre la Justice est venue du gouvernement qui refuse de se voir contraint par une décision qui serait un «précédent» et ouvrirait la porte à tous les abus citoyens en faveur des personnes en détresse.
Theo Francken n’en démord pas et expose clairement une Justice illégitime: il n’appliquera pas la décision et ira chercher tous les recours possibles pour faire valoir sa position. Quant à la N-VA et son président, ils enchaînent de manière spectaculaire en faisant appel à la population pour qu’elle soutienne le ministre dans son refus.
Il ne faut pas croire qu’il s’agit là d’une énième passe d’armes sur la question controversée de l’accueil des réfugiés. Pas du tout! Le combat se déplace et vient sur la scène institutionnelle, ou constitutionnelle, puisque le pouvoir exécutif cesse de reconnaître l’indépendance du pouvoir judiciaire. C’est un tournant dans le combat de la N-VA contre le droit de tout ce qui ne lui ressemble pas.
Francken, qui a du culot, se souvient sans doute de ses flirts avec des composantes explicitement nazies du mouvement flamand.
Dans la presse flamande (Standaard), on a pu découvrir une image particulièrement forte pour décrire la situation: attention à la «turquisation» de la politique belge, phénomène inquiétant pointé par le SPa. Le parti qui a la représentation parlementaire la plus importante choisit une voie d’irrespect, ou d’opposition au pouvoir judiciaire, dont les contours constitutionnels sont clairs. La prochaine étape sera la volonté d’affaiblissement du Parlement.
Les réactions politiques sont-elles à la mesure de la menace? Le PS souligne que «l’illégal dans cette affaire, c’est Francken». Le CDH veut que les décisions de Justice soient respectées. Le CD&V appelle à ne pas mépriser le troisième pouvoir et à appliquer la décision de Justice. Il faudra donc, du côté flamand, dénouer un nœud politiquement très complexe.
Le Premier ministre couvre globalement son collègue au gouvernement et va organiser des réunions de juristes pour voir comment en sortir. Le MR se dit en phase avec la vision de Francken sur l’accueil des réfugiés*.
La présidente de l’association syndicale des magistrats s’étrangle, le président du Tribunal de Bruxelles tire la sonnette d’alarme. Le CNCD explique que «derrière la procédure juridique, ce qui se joue, c’est la possibilité pour les demandeurs d’asile d’accéder au sol européen sans risquer leur vie sur les dangereuses routes illégales».
L’argent de l’astreinte étant public, il conviendrait peut-être d’entamer une action judiciaire citoyenne pour que la sanction réelle touche le responsable personnellement. Après tout, c’est l’impôt des citoyens que l’État doit débourser pour cette condamnation liée à un choix politique obtus.
Au-delà, il faut craindre:
– l’appel au peuple visant à affronter un pouvoir constitutionnel, c’est caractéristique d’un pré-autoritarisme;
– la déclaration de De Wever qui évoque le risque de «caducité» de la loi si la Cassation ne donne pas raison au couple Michel-Francken;
– la négation de la valeur de la vie humaine syrienne au regard de la valeur de la vie humaine autochtone.
Et faire le constat que ce n’est pas une affaire Flamands-Wallons. L’alliance «MR-N-VA» est bien l’axe fort du gouvernement. A l’aune démocratique, Charles Michel n’a pas plus de légitimité que les flambeurs de la N-VA. Débaptisons la rue de la LOI.
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* Preuve en est notamment avec cette conférence à venir, organisée à l’initiative de la Fédération MR du Hainaut.
Comme un signe prémonitoire, dans l’intitulé de fonction de Theo Francken, asile est fautivement indiqué avec une minuscule.