Avec le TTIP, la marchandisation et la privatisation de la culture sera aggravée.
CULTURE
Interview de Jérôme van Ruychevelt
Responsable action associative
Le rendez-vous annuel du festival Esperanzah au milieu de l’été[1] est connu pour la qualité de sa programmation musicale, mais aussi comme rendez-vous associatif, culturel et citoyen ouvert au grand public. Jérôme van Ruychevelt, un des organisateurs, décrit le festival comme promouvant la diversité musicale et culturelle, en parfaite opposition au TTIP qui veut tout standardiser sous la houlette du grand marché.
POUR : Si le TTIP venait à passer, quelles en seraient les conséquences pour vous en tant qu’acteur culturel?
Ce qui nous inquiète, c’est l’homogénéisation avec les règles du marché américain, notamment celles qui concernent la culture musicale. Le marché musical américain, tel qu’il existe pour le moment, donne la priorité et une importance énorme aux grosses maisons de production et grandes maisons de disques. Il laisse peu de place aux petits artistes indépendants, à une musique métissée qui vient d’un peu partout dans le monde. Il investit dans les musiques «easy listening», faciles, qui ne durent pas.
POUR : Mais n’en-a-t-il pas toujours été ainsi? La grosse distribution culturelle est vorace depuis belle lurette!
Pour un organisateur de festival, le marché devient de plus en plus dur. Une tête d’affiche de qualité coûtait dans les années 2000 autour de six à huit milles euros et c’était pareil pour tous les festivals. Mais aujourd’hui ce montant a triplé voire quadruplé à cause des gros groupes de production en Belgique, en réalité des multinationales comme «Live Nation». Ils mettent la main sur les artistes et gèrent programmation et tournées. Ils ont alors tout intérêt à élever les cachets sur lesquels ils s’octroient un gros pourcentage. La surenchère sur les artistes rétrécit le nombre d’organisateurs d’évènements capables financièrement de les avoir à l’affiche. Le pire c’est que cela défavorise les artistes connus comme les moins connus. Les subventions de l’Etat permettent jusqu’à présent de garder un prix de ticket d’entrée raisonnable. Avec le TTIP ce sera fini, une entreprise pourra porter plainte contre l’état quand il subsidie un petit festival ou un secteur artistique car l’aide sera considérée comme de la concurrence déloyale.
POUR : Qu’est-ce qui vous dérange le plus dans le traité de libre-échange?
Homogénéiser les règles économiques homogénéise également la culture. Tout le monde doit se contenter de lire la même chose, manger la même chose, écouter la même musique, lire les mêmes livres. Or les individus ont besoin de se nourrir d’une culture qui vient de partout, surtout dans une période comme la nôtre qui est hyper-mondialisée. La mondialisation permet de profiter d’une diversité culturelle qui nourrit la connaissance et amène les gens à mieux se découvrir, à se rencontrer. C’est le meilleur remède au racisme, au rejet de l’autre et à la xénophobie.
POUR : Comment définiriez-vous cette culture que vous tient à coeur?
La culture, ce n’est pas seulement la musique. Pour nous tout est culturel. La façon dont on mange, on boit, dont on lit, écoute, interagit avec les gens… Les productions artistiques, c’est ce qui est le plus visible, ce qui s’échange, ce qui se consomme, ce qui s’observe. Les gens paient pour découvrir la culture de l’autre. Nous considèrons que notre boulot c’est mettre en avant les productions artistiques venant d’autres cultures tout comme celles de chez nous. Les inégalités sociales qu’on voit dans la société, l’accroissement du fossé entre les plus riches et les plus pauvres, se retrouvent dans la musique entre les plus grands artistes et les moins connus. Les plus subversifs et ceux qui font des choses plus spécifiques galèrent pour se faire programmer et pour gagner leur vie correctement.
Cette logique de la marchandisation de la culture et de la privatisation des acteurs culturels sera aggravée avec le TTIP. À Esperanzah, nous ne fonctionnons pas avec des sponsors privés et ne suivons pas la logique de compétition et de profit à tout prix. La culture ne peut pas et ne doit pas entrer dans ce jeu infernal. Pour nous la culture est un bien commun, elle appartient à tout le monde.
Propos receuillis par Godelieve Ugeux.
[1] Cette année, du 31 juillet au 2 août à l’Abbaye de Floreffe.
Site web : esperanzah.be