Election présidentielle américaine: attention l’Europe! Bannon déboule

L’élection américaine étant passée, que nous réserve la suite? Les deux mois qui viennent ne peuvent pas du tout être considérés comme une trêve, ou un calme entracte entre un jour de haine et quatre années sans doute marquées par le réalisme qui, quoi qu’il fasse, va rattraper le vainqueur inattendu.

Trump se définit comme un homme qui ne pivote pas. Vu de loin, ça semble vrai. Il faut donc s’intéresser à tout qui bouge autour du pivot, en vue de la formation des équipes de nouvelles élites. Il faut compter sur pas moins de 4.000 personnes à embarquer pour les quatre années à venir. La période actuelle de recrutement est décisive, en ce sens que des leaders intellectuels (!) et des influenceurs de choc vont se placer pour confirmer, si possible, les outrances de Trump-candidat. Mettre Trump-président à la hauteur de Trump-candidat.

L’homme qui, pour le moment, a l’avantage pour jouer au sélectionneur est Steve Bannon. Sa prétention est de devenir l’auteur du trumpisme. Ancien de Harvard, et de la Navy, il a exercé dans la banque Goldman Sachs, dans l’industrie des médias, comme dirigeant mais aussi comme créateur, et surtout à la direction du site Breitbart.  Sur le tard, Bannon a pris la direction de la campagne électorale du futur vainqueur, pour donner de la cohérence à son dispositif électoral. Une cohérence qui n’est pas l’accumulation capitaliste bien ordonnée, mais un total qui flatte l’électeur méchant, lui donnant l’impression de compter dans l’évolution de son pays et de se retrouver une identité.

This victory is your victory

“This victory is your victory”: c’est ce qu’a sérieusement clamé Bannon dans une interview à son propre média, le Breitbart News Daily.

C’est Bannon qui a fait gagner la mid class au plan idéologique et… arithmétique. Aux Etats qui sont indéfectiblement républicains, dans le Sud et l’Ouest non maritime, Trump a consolidé ses positions dans les grasslands, la corn belt, l’iron belt et le sunshine state pour battre le golden state,  big apple et le federal state. Les zones d’économie réelle (paysans et ouvriers de production) ont émergé face aux zones d’économie de services (informatiques, financiers et institutionnels). La frustration de l’Amérique démocrate à deux sur trois (NY et les villes californiennes), voire à neuf sur dix (Washington DC) , est évidemment portée à son comble.  

Dans sa démarche électorale recadrée, Bannon a joué l’efficacité identitaire et l’idéologie de la frustration compensée (peu m’importe comment, mais l’Américain doit se retrouver un point de gloire). Selon Bannon, «les hommes et les femmes qui forment la colonne vertébrale du pays se sont redressés». On a donc vu Trump faire du social, mais pour le blanc au détriment du noir et du basané. Faire du mâle, sans crainte du vote féminin. Jouer le climato-sceptique, en pleine Cop22. Louer les frontières, en pleine mondialisation. Faire de la relance par les travaux publics et annoncer un hausse de la dette publique, à financer par les apports de capitaux extérieurs.

Pour la composition de l’équipe Trump, un match énorme se joue, avec pour protagonistes les gens du sérail républicain, affaiblis, parfois repentis, toujours bien conservateurs, et les gens de la campagne victorieuse qui aimeraient transformer leur arsenal électoral en nouvelles formules de gouvernement. Les grands médias annoncent des gens comme Giuliani et le général Flynn, comme politiques confirmés. La finance se rassure avec la filière Goldman Sachs qui arrivera au gouvernement. Le pétrole aura ses relais.

Mais il faut s’intéresser aussi à cette armée d’inattendus qui va instiller une nouvelle façon de profiler l’Amérique: des gens de la famille Trump (un fils, une fille, un gendre, déjà), des dirigeants de casinos, des accros du Tea Party (Sarah Palin), des bikers patriotes, la Rifle Association, etc.

Et Bannon!

Il est ici conseillé d’aller voir le site de Breitbart pour comprendre les amalgames dont Bannon est capable. Ce qui relie les positions qu’il défend, c’est la suprématie de l’homme blanc sur son terroir, qui doit retrouver sa position naturelle, elle-même issue de son histoire, de sa religion, de son esprit décidé, de sa terre promise. Cela suppose que électeur assume sa haine.

Vus d’ici, les médias US nous apparaissent comme superficiels, trop rapides, jamais gênés. Mais à côté de Breibart, FoxNews peut être considérée comme de la bibine.

L’annonce du déploiement de Breibart en Europe doit-elle être prise au sérieux? En tout cas, sa première expérience à Londres a été tonitruante. Sans qu’il puisse s’attribuer la victoire du Leave, on remarquera qu’il a profilé Farage. «Le camp du Leave était huit points derrière avant que Farage n’en parle, et pourtant c’est le sujet de prédilection de la classe moyenne».

Breibart va faire de la France son prochain terrain d’investissement, dans la perspective d’un autre grand match présidentiel. «At the moment, France is really the place to be», proclame-t-il. Il ira aussi en Allemagne.

«Je pense que nous vivons les derniers temps du combat entre l’élite globale et le populisme nationaliste. Le cercle médiatique a juste été trop feignant et trop stupide pour le comprendre. Nous construisons notre site entier sur ce raisonnement».

On dit souvent que l’Europe n’est pas l’affaire de Trump. Elle risque cependant d’être celle de Bannon, et ce n’est pas moins à surveiller. Autant savoir.