Ce samedi matin, 23 septembre, les larges couloirs des Facultés universitaires Saint-Louis ne résonnaient pas des rires d’étudiants mais bien de ceux des 150 personnes venues écouter une très sérieuse rencontre sur l’allocation universelle. Ceux qui avaient lancé une invitation à débattre sur ce sujet très controversé étaient ce qui se fait de mieux en Belgique : Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, auteurs du livre francophone de référence, L’Allocation universelle[1], Philippe Defeyt, l’économiste membre d’ECOLO qui vient de faire une proposition concrète et chiffrée de revenu inconditionnel qui se discute beaucoup en Belgique ces temps-ci et Christina Lambrechts, néerlandophone, elle aussi défenderesse de cette idée plutôt révolutionnaire qu’une « communauté politique verse à chacun de ses membres un revenu sur une base individuelle, sans conditions de ressources ni obligation ou absence de travail ».
Le revenu inconditionnel, un sujet qui fâche
Lors de la réalisation du journal POUR n°2, « Réinventer notre rapport au travail » nous avions réalisé combien ce principe divisait la gauche. C’est à cette époque que le candidat socialiste à la présidentielle française, Benoît Hamon, avait relancé l’idée, provoquant une levée de bouclier venant aussi bien d’une majorité de la droite que des sociaux-démocrates traditionnels et des marxistes bon teint. Cela avait certes remis la question sur l’avant-scène politique mais l’impréparation du candidat et le cafouillage final qui en a résulté a éteint l’enthousiasme de départ.
Ici, l’ambition était plus vaste puisqu’il s’agissait d’un dialogue entre des néerlandophones et francophones ayant à minima une sympathie pour l’allocation universelle et provenant des quatre familles traditionnelles de Belgique. Les quatre duos invités étaient donc pour la famille libérale Nele Lijnen et Georges-Louis Bouchez, pour la famille démocrate-chrétienne Sammy Mahdi et Joaquim Hernandez-Dispaux, pour la famille socialiste Yasmine Kherbache et François Perl et pour la famille écologiste Kristof Calvo et Philippe Lamberts.
Le titre de la matinée était « Allocation universelle, défendons-nous bien la même chose » et, de fait, il s’est vite avéré que les mots ne recouvraient pas le même projet. Déjà dans l’intro historique, Yannick Vanderborght avait montré que seule la famille écologiste défendait l’idée depuis 40 ans, avec des variations d’intensité dans le temps, mais avec une certaine constance. Dans les autres familles, cela fut toujours la plus grande méfiance avec quelques individualités plus audacieuses osant l’ouverture : Michel Hansenne chez les démocrates-chrétiens, l’homme d’affaire libertarien Roland Duchatelet (présent ce jour), passé au VLD après avoir fondé le Parti Vivant qui avait le revenu inconditionnel comme projet phare, ou Hamon chez les socialistes.
Des versions fort différentes
Sans surprise, les libéraux voient le revenu universel comme une alternative à la plupart des conquêtes de la sécurité sociale. Par contre, pour les écologistes, c’est un complément, un socle minimum de revenu ne remplaçant que les allocations familiales (et les augmentant), une petite partie de l’assurance chômage et une petite partie de la pension. C’est évidemment tout-à-fait différent. Pour les démocrates-chrétiens et socialistes présents (en leur nom personnel et certainement pas mandaté par leurs partis), le positionnement est bien plus flou malgré une sympathie affichée. Il en ressort toutefois que pour tous, un revenu inconditionnel permettrait une liberté réelle (et non pas formelle comme aujourd’hui) et la possibilité pour beaucoup (des jeunes notamment) de prendre des risques plus modérés lorsqu’ils ont envie de créer une activité propre, libérée du carcan de plus en plus difficile à supporter de l’emploi salarié contraint et vide de sens. Par contre la crainte d’abandonner le bouclier, même percé, de l’actuelle sécurité sociale, freine fortement les ardeurs libératrices des représentants sociaux-démocrates, chrétiens comme socialistes (ce serait selon le terme avancé par Yasmine Kherbache et repris par d’’autres, « une cathédrale » à préserver absolument). Cela a même conduit François Perl, fonctionnaire à l’INAMI, à proposer un système, ma foi fort complexe, qui soulagerait quelque peu les allocataires sociaux aujourd’hui soumis à des contrôles mesquins et incessants mais serait limité à ceux-ci.
Un débat qui doit continuer
Lors du débat avec la salle, je me suis risqué à poser une question sur le fait que les intervenants n’avaient quasi pas parlé des syndicats dont le positionnement (aujourd’hui plutôt négatif même si moins fermé qu’il y a quelques années) est pourtant essentiel : quand on parle de réformer en profondeur la sécurité sociale, ne pas tenir compte de ce qu’en pensent les co-gestionnaires du système est quand même étonnant. Là, le séducteur Georges Louis Bouchez a levé le voile : dans sa version l’allocation universelle serait financée sur le budget de l’Etat et donc sur l’impôt et cela libérerait donc les entreprises de la cotisation sociale[2] et éliminerait de la scène politique ces derniers gêneurs que sont, pour les néolibéraux, les syndicats.
Retenons cependant comme note positive, un certain consensus sur l’idée que l’on pourrait avancer sur des formules de « gratuité de l’indispensable » au-delà des soins de santé et de l’enseignement déjà aujourd’hui largement financés par la collectivité. Retenons aussi l’intervention de Philippe Lamberts qui a brillamment développé l’idée que la réalisation de l’article 1 de la Déclaration des droit de l’homme, « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » ne pourrait se réaliser un jour que si une formule telle que l’allocation universelle voyait le jour.
[1] Cela enragerait Bernard Friot qui, à l’opposé, veut financer un « salaire à vie » sur base d’un élargissement substantiel de la cotisation sociale. Lire notre article https://www.pour.press/le-salaire-a-vie-plutot-que-lallocation-de-survie/
[2] Yannick Vanderborght, Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, Paris, La Découverte, 2005, Téléchargeable gratuitement en ligne sur https://erolutreni714.firebaseapp.com/eu104/l039allocation-universelle-par-philippe-van-parijs-yannick-vanderborght-2707145262pdf .