CETA, ratifier ou raturer

Qu’il s’agisse de son timing, de ses échéances ou des positions des diverses — et parfois adverses — parties, la ratification du CETA donne lieu à nombre d’approximations colportées ça et là. Avec la rentrée, celles-ci se multiplient dangereusement. Pour ne pas se tromper de cible, il devient nécessaire de régler la mire.

Les dates clés

22-23 septembre (Bratislava)
Conseil des Affaires étrangères consacré au commerce
Représentation par le/la ministre chargé du Commerce (extérieur)
Décision attendue: accord pour proposer la ratification, éventuellement conditionnée, lors du prochain Conseil européen

20-21 octobre (Bruxelles)
Conseil européen (chefs d’Etat et de gouvernement)
Décision attendue: vote formel d’approbation en vue de la ratification
Ce vote nécessite généralement une majorité qualifiée (55 % des États membres, soit minimum 16 pays, représentant au moins 65 % de la population de l’UE). Dans le cas qui nous occupe, le vote réclame l’unanimité. Toutes les explications et références à ce sujet sont disponibles dans l’ouvrage de Robert Joumard (page 41).

27-28 octobre (Bruxelles)
Sommet UE-Canada
Décision attendue: signature du traité
La version finale du texte mentionne le 27 octobre comme date présumée de signature (page 13). Toutefois, à l’heure qu’il est, la visite officielle de Justin Trudeau, Premier ministre canadien, n’est confirmée nulle part.

29 novembre (Bruxelles)
Réunion de la Commission du commerce international (INTA) du Parlement européen
Il pourrait y être proposé que le vote du CETA intervienne au PE en décembre 2016 ou janvier 2017.

Pointons une chose au sujet du calendrier. Ces derniers temps, on a souvent eu l’occasion de lire que la ratification du CETA pourrait se décider dès le 22 septembre. C’est l’occasion de sourire — une des rares — puisque seul un dîner entre ministres est prévu ce soir-là. Plus sérieusement, au vu des divergences, trouver un consensus lors de cette réunion apparaît complexe. Il est plus que probable que cela va réunionner ferme après Bratislava et en prélude du Conseil européen des 20 et 21 octobre.

La position (du missionnaire) de la Commission européenne

Au sein de la Commission, une fébrilité certaine s’est installée. La politique commerciale de l’UE est sa chasse gardée depuis l’origine et on vit mal l’imposition du caractère mixte du CETA. On continue de considérer que l’accord n’aurait pas dû y être soumis, même si on s’est gardé d’attendre l’avis de la Cour de justice sur un accord similaire avec le Vietnam, laquelle statuera cet automne.

Et on continue bien évidemment d’y vanter les mérites de ce qui est qualifié d’accord du 21ème siècle, un vrai truisme. «L’accord que nous avons conclu avec le Canada est le meilleur accord commercial que l’UE ait jamais conclu», martèle sans cesse Jean-Claude Juncker. Lira qui veut l’exposé des motifs, détaillant les bénéfices supposés du traité, contenu dans les textes officiels proposant la signature et la ratification.

Dans les couloirs, on répète pour s’en convaincre que l’UE n’a jamais connu la situation d’un Etat opposé à la conclusion d’un accord commercial une fois celui-ci finalisé. On (s’) y dit aussi qu’un pays opposé pourrait choisir de s’abstenir plutôt que de chercher le blocage.

Pour Jean-Luc Demarty, directeur général de la DG Commerce, la ratification est un test crucial et il insiste tant et plus sur ce point. Si le CETA devait ne pas passer, la crédibilité de l’UE en matière d’accords commerciaux serait très lourdement compromise. Selon lui, plus aucun pays ne voudrait risquer une négociation de plusieurs années susceptible d’être rejetée en bout de course. Depuis la montée de la contestation, cet argument est régulièrement repris par les partisans du CETA. C’est oublier qu’à l’horizon 2030, avec ou sans traités transatlantiques, l’UE figurera toujours parmi les 2 ou 3 premières puissances commerciales du monde. Autrement dit, le Vieux Continent restera un partenaire de choix obligé.

PositionS des Etats membres

D’une manière générale, ce qui pose problème(s) tient à l’application provisoire du traité après les votes du Conseil européen et du Parlement européen. Cette disposition est le plan B de la Commission pour contrer le fait que la ratification par les parlements nationaux nécessiterait deux ans voire davantage. Ce n’est pas un plan B pour rien car le détail de ce qui serait concerné ou non manque totalement de clarté.

On s’est contenté d’évoquer le pourcentage de 90% de l’accord qui entrerait en vigueur. La Commission se base essentiellement sur ce qui s’est fait précédemment lors de cas similaires, principalement l’accord avec la Corée du Sud. Le chapitre concernant l’investissement et l’ICS est assurément le plus problématique, une tendance majoritaire se dessine pour l’exclure de l’application provisoire.

L’autre pomme de discorde tourne autour de l’implication d’un rejet du traité par l’un ou l’autre parlement national. La Commission estime que l’accord pourrait être implémenté indéfiniment dans ce qui serait la zone grise de l’application provisoire. Les diplomates de certains pays battent cet avis en brèche et estiment même que l’opposition d’un seul parlement pourrait torpiller l’accord entier. Difficile d’imaginer des positions plus éloignées.

Mi-juillet s’est tenue une réunion informelle des membres de la Commission de la politique commerciale (députés européens). Une note a fuité, qu’a obtenue le site d’info Politico.
Il en ressort essentiellement que:
• le Canada refuserait de ratifier si l’application provisoire du traité n’est pas acceptée.
• aucun Etat membre ne s’oppose formellement à l’application provisoire du traité mais Hongrie, Slovénie, Autriche et Belgique ont des réticences diverses.
• Hongrie, Grèce, Slovénie, Autriche, Allemagne et France veulent intégrer la possibilité de demander dans le futur des changements dans le texte du traité.
• la Belgique ne peut approuver la ratification (pas de pouvoir de délégation reconnu par des entités fédérées telles que l’exécutif de la Wallonie).
• Bulgarie et Roumanie exigent un même traitement en matière de visas pour le Canada que les autres Etats membres de l’UE. Une mission canadienne s’est rendue en Roumanie en juin et en Bulgarie en juillet pour trouver une solution. Celle-ci est en cours mais n’a pas encore été officiellement annoncée.
• la Grèce insiste concernant la protection de la feta. Elle exige que son fromage emblématique fasse partie de la liste des indications géographiques protégées sans réserve. A ce sujet, il est bon de rappeler que l’UE reconnaît plus de 1.300 IGP alors que le CETA n’en reprend que 145 (+ 21 avec protection partielle, dont la feta).
• divers Etats membres veulent exclure certains chapitres de l’application provisoire, à savoir: transport (Autriche, France), développement durable (Autriche, France), subventions culturelles (Autriche), protection des investisseurs (Allemagne, Finlande, Luxembourg, Portugal), médiation (France), sanctions pénales liées à la protection de la propriété intellectuelle (France), l’entièreté du chapitre investissement (Hongrie, Lituanie).
• le Canada n’est pas (encore) signataire de 2 traités ILO (International Labour Organization) que reconnaît l’UE.

Interrogé au sujet de cette note, un porte-parole de la Commission a simplement indiqué qu’il n’y a jamais de commentaire sur les fuites. Il a ajouté que “s’abstenir d’une application provisoire significative serait une perte pour les citoyens et les entreprises de l’UE, qui seraient privés durant des années de débouchés à l’exportation et de création d’emplois”.

Opposition de parlements

Parlement Grand-Duché Luxembourg
Une motion a été votée début juin par les députés à la presque unanimité. Elle réclame la mixité de l’accord (obtenue depuis) et une révision du dispositif ICS (ex-ISDS).
Comme le relate Maxime Vaudano sur son blog, cette motion n’est pas une contrainte juridiquement parlant mais politiquement. «Jusqu’à présent, le gouvernement n’a jamais osé contredire une motion du Parlement», explique un connaisseur de la politique du Grand Duché, d’autant que celle-ci a été promue et votée par les trois partis au pouvoir (libéraux, socialistes et écologistes), poussés par une opinion publique et des syndicats très sceptiques.

Parlement Pays-Bas
Le 28 avril 2016, les députés néerlandais ont adopté une motion contre un aspect procédural bien précis: la possibilité que le CETA soit provisoirement appliqué avant même le feu vert des parlements nationaux européens. Seul le VVD (libéral-conservateur), l’un des deux partis de la coalition gouvernementale, a voté contre. La Commission européenne ayant proposé l’application provisoire, cette motion pourrait poser problème au gouvernement des Pays-Bas.e

Parlements belges
Le 27 avril 2016, le Parlement de Wallonie s’est opposé fermement au CETA par le vote d’une résolution. Celle-ci demande en substance au gouvernement régional de ne pas accorder les pleins pouvoirs au gouvernement fédéral belge pour approuver l’accord, ce que le ministre-président wallon Paul Magnette a accepté volontiers.

Le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Commission Communautaire française de la Région Bruxelles-Capitale, alias le parlement francophone bruxellois, ont suivi le mouvement. Tous les textes afférents sont disponibles via cette page consacrée à l’état des lieux politique sur le TTIP et le CETA en Belgique.

Ma cabale au Canada

La ratification côté canadien est attendue sans difficultés. Le gouvernement fédéral dispose d’une majorité suffisante et les Provinces et Territoires devraient emboîter le pas. Et ce même si une opposition conséquente de la société civile existe et se manifeste, portée par le conseil des Canadiens.

Le Canada souhaite — terme cordial — l’application provisoire du traité. Lors d’un briefing, le 6 juillet dernier, des officiels ont expliqué qu’ils n’interféreraient pas avec ce que l’UE retiendrait ou non du texte. Cependant, la note divulguée par Politico laisse entendre un autre écho. Par ailleurs, après analyse de la législation européenne, les Canadiens ont listé quelques points devant selon eux être écartés. Ils sont secondaires tels la reconnaissance mutuelle des lettres de créance, à ceci près qu’y figure également le volet investissement-ICS.

Au printemps dernier, Chrystia Freeland, ministre du Commerce international, avait effectué une tournée européenne pour entonner une espèce de “Je vous ai compris”. Lors du G20 à Hangzhou début septembre, Justin Trudeau s’est aussi beaucoup employé à convaincre les partenaires européens présents (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni et Union européenne) qu’il fallait signer le CETA dans les meilleurs délais.

Quelques jours auparavant, le gouvernement canadien avait nommé un envoyé spécial pour «accompagner» la ratification, ce qui se traduit par “lobbying à tout va”. Il s’agit de Pierre Pettigrew, anciennement ministre des Affaires étrangères, ministre du Commerce international et ministre de la Coopération internationale. Actuellement, il est conseiller exécutif (volet international) pour la société Deloitte Canada, membre du conseil consultatif de Forbes Manhattan et consultant pour Fura Emerald et Copper One, deux sociétés minières. Certains s’inquiètent des conflits d’intérêt potentiels et d’une éthique relative.

Cette nomination d’un émissaire s’est peu répandue chez nous mais elle prouve à la fois que pour le Canada, la partie ne semble pas définitivement gagnée et que l’on tient à une ratification rapide intégrant l’application provisoire.

Autriche en opposition et Espagne hors position

Christian Kern, le chancelier autrichien, avait déjà fait part de réticences en juin dernier. Jean-Claude Juncker, avec son sens de la nuance, lui avait alors enjoint “d’arrêter ses clowneries”. Las, ce 31 août, le chancelier a déclaré sans ambages son opposition au CETA“Ce sera difficile, ce sera le prochain conflit que l’Autriche déclenchera au sein de l’UE (..) Nous devons veiller (..) à ne pas faire basculer l’équilibre du pouvoir en faveur des multinationales”, a dit Christian Kern à la radio-télévision autrichienne, l’ÖRF, mercredi soir.”

Enfin, l’Espagne présente un cas particulier. Avec un gouvernement en affaires courantes, il y a peu de doutes là-bas sur le fait que l’un ou l’autre parti d’opposition saisirait le tribunal constitutionnel s’il y avait un engagement en faveur du CETA.