CETA: pleurer?

Les négociateurs du CETA et du TTIP n’ont jamais imaginé qu’il y aurait autant d’embûches sur la route de l’adoption de ces textes consacrant la prééminence du commerce et de la protection des investissements sur toutes les autres formes de droits humains.

On devait, au cours de cet automne-ci, se trouver dans la dernière ligne droite, couper la ligne d’arrivée et faire passer le CETA dans le capot avant du TTIP. Et pourquoi pas, sabrer du champagne ontarien et déguster du sirop d’érable polonais pour fêter tout l’événement.

Ça ne se passe pas comme ça. Des sociétés se sont réveillées. Des femmes et hommes politiques ont pris conscience des énormités contenues dans ces projets de traités.

Nous voici aux semaines de vérité.

Abîmé, mutilé, emballé de neuf, redécoré pour les besoins de la cause, le CETA passe au Conseil européen avant d’aller au Parlement européen puis, s’il survit jusque-là, dans les Parlements nationaux.

Attention: le CETA a parfois été présenté comme une version «douce», acceptable, du TTIP. C’est oublier que la philosophie de base est identique, à savoir que la libéralisation du commerce et la protection de l’investissement priment sur les autres droits, qu’ils soient sociaux, sanitaires, environnementaux… C’est oublier aussi que les compagnies américaines pourraient agir au travers de leurs filiales canadiennes — ou le cas échéant déménager leur siège social sur sol canadien — pour réduire les droits des puissances publiques, des travailleurs et des consommateurs européens. Il n’y a de différence entre le CETA et le TTIP que dans la présentation hypocrite par les négociateurs et la Commission européenne.

Quand, le dernier jour de son mandat de président de la Commission, Barroso s’est précipité pour signer avec les autorités canadiennes un texte politiquement abouti même s’il n’était pas juridiquement complet, c’était pour marquer un non-retour de ce type d’accord commercial.

Depuis, la contestation très étayée du TTIP a révélé la nature exacte du CETA qui doit être rejeté.

Nous verrons dans les deux semaines qui viennent que le CETA, s’il passe le cap européen et trouve à s’appliquer au moins jusqu’à l’adoption par les Parlements nationaux, sera de toute façon une base juridique bancale voire honteuse, adoptée sans légitimité démocratique, choisie de guerre lasse, non comprise par les peuples.

Mais ce n’est pas fait, et pour cause!

La commissaire européenne Malmström n’a pas épargné ses efforts pour, en même temps, vanter les mérites du CETA et en minimiser la portée. Poussée dans ses retranchements, la pédagogue de cette contradiction s’est révélée plus hypocrite que sincère, plus emballage que contenu et, in fine, s’est résolue à passer aux menaces devant les récalcitrants, abandonnant les sourires de persuasion.

Pour apaiser les contestations, on s’est fendu, à la Commission, d’une note interprétative destinée à expliquer le sens du traité. A juste titre, Greenpeace a qualifié ce document de «brochure de vacances». Effectivement, il est d’une indigence juridique grave, d’une fausseté politique évidente, il est une étiquette flatteuse sur une bouteille imbuvable. Le simple appel à l’intelligence devrait conduire à renvoyer ce document à son expéditeur. En gros, il prétend laisser aux gouvernements d’Europe des libertés que par ailleurs le traité leur retire.

Présenté comme un exposé des motifs, il enrobe le traité de considérations (ça ira!), d’incantations (devant l’autel de la croissance) et d’imprécisions (tout le monde a raison) qui ne font plaisir qu’aux convaincus et ne devraient pas abuser les réticents.

Plus de 125.000 Allemands ont déposé plainte contre le CETA devant la cour constitutionnelle allemande. Le verdict est prévu cette semaine. Gageons que la Cour de Karlsruhe ne tiendra pas compte de la déclaration interprétative dans sa délibération et placera le gouvernement et le peuple allemands devant autre chose qu’un écran de fumée.

Vérifions que le «partenaire» canadien lit bien la même chose que Malmström quand il relit le traité.

Pour avancer, la Belgique a besoin de l’accord de tous ses gouvernements, puisque les politiques touchées par le CETA relèvent des régions et même des communautés. La Wallonie et Bruxelles, jusqu’à nouvel ordre, ne donnent aucun mandat positif au ministre des Affaires étrangères pour ratifier le CETA.

Leurs gouvernements sont sommés de se dépêcher de donner un avis sur un «drôle de texte» dont ils n’ont pas été officiellement saisis. On comprend l’énervement. Il convient donc que les populations soutiennent leurs gouvernements à qui l’on met le «couteau sous la gorge».

Au passage, on a oublié les Britanniques, qui ont opté pour le Brexit. Sont-ils ou non embarqués dans le traité? On sait que leur gouvernement y est favorable, et est même prêt à signer un CETA pour le Royaume-Uni tout seul. Il n’en reste pas moins que tous les chiffres du traité, dont les équilibres, sont remis en question. Une fois le Brexit bouclé, le marché européen ne sera plus ce qu’il était.

A ce stade, le gouvernement autrichien n’est pas engagé, pas plus que l’espagnol, qui n’existe pas. Les réticences ont gagné le Luxembourg, les atermoiements gouvernementaux de la gauche (qui tente de s’assumer à droite) ont déteint sur Madame la puissante France, le silence de la Grèce (opposée) confirme qu’elle est morte.

Dans ce magma, le champ des Wallons est de première importance. Le coq ne peut se laisser intimider.
Pour savoir ce qu’il en est de la déclaration interprétative et des échéances prévues d’ici l’éventuelle signature du traité le 27 octobre, c’est ici.