Nous avons appris ce vendredi 8 juillet l’arrivée de l’ancien président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, à la banque d’affaires américaine Goldman Sachs. Il y occupera le poste de conseiller et président non exécutif des activités internationales.
Petite revue de presse qui se passe de commentaires.
«Je m’engage à exercer mes responsabilités en pleine indépendance, dans l’intérêt général de l’Union. (…) Je m’engage en outre à respecter, pendant la durée de mes fonctions et après cessation de celles-ci, les obligations découlant de ma charge, notamment les devoirs d’honnêteté et de délicatesse quant à l’acceptation après cette cessation de certaines fonctions ou de certains avantages.»
(Serment prêté solennellement par l’ancien Président de la Commission européenne devant la Cour de Justice de l’Union européenne)
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«En rejoignant aujourd’hui la banque américaine Goldman Sachs, celui qui, de 2004 à 2014, a été président de la Commission européenne a beau n’enfreindre aucune règle, il ne se grandit pas.
./. il appartient aujourd’hui au président de la République, à la chancelière allemande et aux autres dirigeants nationaux, notamment portugais, d’exprimer publiquement leur réprobation. Ils pourraient demander à José Manuel Barroso de démissionner et, s’il refusait de les entendre, indiquer qu’il trouverait porte close auprès d’eux. Comme il a vendu un carnet d’adresses d’ancien membre du Conseil européen, rien ne serait plus efficace que la mise au ban par ses pairs. »
(Sylvie Goulard, députée européenne centriste, dans Le Point, 11/07/16)
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«Les précédents Mario Monti et Peter Sutherland.»
./. « la banque s’est fait une spécialité d’établir des passerelles entre ses activités et quelques-uns des plus hauts postes dans les instances communautaires. José Manuel Barroso va ainsi succéder, en tant que président non exécutif de Goldman Sachs international, à un autre ancien commissaire européen, l’Irlandais Peter Sutherland.
Autre exemple, l’Italien Mario Monti, ancien Commissaire européen au marché intérieur, puis à la concurrence, avant de devenir consultant pour la banque entre 2005 et 2011, date de sa nomination comme président du conseil italien.
On trouve aussi de nombreux anciens associés ou conseillers de Goldman Sachs au sein des banques centrales. À commencer par Mario Draghi, actuel président de la Banque centrale européenne, qui a occupé le poste de vice-président de Goldman Sachs Europe, entre 2002 et 2005. Il était en charge des «entreprises et pays souverains», le département qui avait, peu avant son arrivée, aidé la Grèce à maquiller ses comptes.
C’est le cas aussi d’Otmar Issing, ex-membre du directoire de la Bundesbank et ancien économiste en chef de la Banque centrale européenne, qui conseille Goldman Sachs depuis 2006. Ou encore de Mark Joseph Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre depuis 2013. »
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«Son “pantouflage” chez Goldman Sachs est “légal”. Mais, outre qu’il peut tout de même s’apparenter à un conflit d’intérêts, il installe la pire image qui soit pour l’Europe: celle d’une relation incestueuse entre pouvoir politique et finance privée. Que M. Barroso ait accepté de contribuer ainsi au discours des mouvements protestataires anti-européens d’ultra-droite, ceux-là mêmes qui menacent le caractère démocratique du continent, est révoltant. C’est un geste anti-européen, aux répercussions terribles dans l’opinion.
La Commission doit condamner cette nomination et changer ses règles: interdiction à vie à un ancien de ses membres d’aller “pantoufler” dans un domaine qu’il a réglementé. Il en va de l’image de l’UE, enfin de ce qu’il en reste.»
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«Une fin de carrière qui n’a rien d’étonnant quand on connaît l’homme, mais qui n’en reste pas moins choquante, Goldman Sachs étant l’une des banques les plus impliquées dans la crise des subprimes (qui a débouché sur la crise financière de 2007) et dans la crise grecque (ayant aidé à dissimuler l’étendue de son déficit avant de spéculer, en 2009-2010, contre la dette grecque dont elle connaissait évidemment l’insoutenabilité…). C’est, au pire moment, un symbole désastreux pour l’Union et une aubaine pour les europhobes, un président de la Commission étant censé incarner, bien au-delà de son mandat, les valeurs européennes qui ne sont justement pas celles de la finance débridée que symbolise Goldman Sachs: tous les anciens présidents de la Commission, qui bénéficient d’une pension confortable censée les préserver de toute tentation, ont, jusque-là, su éviter un tel mélange des genres.
./. Sous son règne, aussi long que celui de Jacques Delors, la Commission a été ravalée au rang de simple secrétariat du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, Barroso assumant d’être «au service des Etats» et non de l’intérêt général européen censé transcender les intérêts nationaux. Ce refus de faire jouer à la Commission le rôle qui est le sien explique en grande partie les errements européens dans la gestion de la crise de la zone euro.
./. C’est donc un homme qui a gravement affaibli l’Europe communautaire et ses institutions qui se recycle dans une des banques d’affaires les plus controversées de son époque.»
(Jean Quatremer, Edito Libération, 10/07/16)
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«L’arrivée de M. Barroso au poste de «directeur non exécutif» de Goldman Sachs donne le sentiment de tomber à point pour justifier l’accusation de complicité entre Bruxelles et l’Argent. Le symbole est dévastateur. Il donne une image d’arrogance de l’Europe d’en haut envers l’Europe d’en bas.»
(Maxime Tandonnet, lefigaro.fr, 11/07/16)
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«L’article 245 TFUE ne parle pas de “pantouflage”.»
Son alinéa premier pose comme principe que “Les membres de la Commission s’abstiennent de tout acte incompatible avec le caractère de leurs fonctions.”
L’alinéa deux précise: “Ils prennent, lors de leur installation, l’engagement solennel de respecter, pendant la durée de leurs fonctions et après la cessation de celles-ci, les obligations découlant de leur charge, notamment les devoirs d’honnêteté et de délicatesse quant à l’acceptation, après cette cessation, de certaines fonctions ou de certains avantages.”
L’article 245 du TFUE interdit clairement que les membres de la Commission prennent un engagement professionnel incompatible avec leurs fonctions, que ce soit durant leur présence à la Commission ou après.
(Patrick Cahez, les blogs de Mediapart, 12/07/16)
Desservir les citoyens, se servir chez Goldman Sachs: #Barroso, représentant indécent d’une vieille Europe que notre génération va changer
— Matthias Fekl (@MatthiasFekl) 8 juillet 2016
#Barroso, primum nocere, nuire impunément, détruire éhontément, s’enrichir effrontément. Obscène devise ! Notre impuissance? ChT
— Christiane Taubira (@ChTaubira) 9 juillet 2016
Barroso recruté par Goldman Sachs, pour services rendus à la finance, aux dépens de la démocratie et de la solidarité, tellement prévisible
— Paul Magnette (@PaulMagnette) 8 juillet 2016
Que #Barroso devienne salarié officiel de Goldman Sachs à Londres, c’est plutôt un progrès, ça met fin à des années de travail au noir …
— Pascal DURAND (@PDurandOfficiel) July 9, 2016
En complément
La situation de José Manuel Barroso aujourd’hui n’est malheureusement pas une surprise sortant de nulle part. Corporate Europe Observatory signalait déjà en janvier dans un rapport consacré à la reconversion des commissaires européens que “l’ancien commissaire le plus occupé est José Manuel Barroso avec 22 nouvelles fonctions déclarées”.
Les réactions négatives vis-à-vis de cette nomination s’accumulent et proviennent de toutes parts. On envisage maintenant les différents moyens de sanctionner l’ancien président de la Commission.
Enfin, pour bien comprendre l’étendue du problème Goldman Sachs, nous vous recommandons l’excellent documentaire “Goldman Sachs, la banque qui dirige le monde, diffusé en 2013 mais toujours aussi pertinent.