Emploi : le TTIP n’est pas la voie royale

Le salut de l’Europe réside dans une politique industrielle avec un pilotage public.

SOCIAL
Prise de position

La Commission européenne prétend que le TTIP dopera la croissance et créera des emplois des deux côtés de l’Atlantique. Elle réitère les présupposés optimistes des théories libérales du commerce international. C’est un leurre.

Banksy03-copie 2
© Banksy, http://www.banksy-art.com/

Depuis David Ricardo, celles-ci postulent que la suppression des barrières commerciales 1) élève le niveau de croissance et d’emploi 2) et ce dans chaque pays en particulier pour autant qu’il joue le jeu du libre-échange.

Les simulations économiques réalisées par rapport au TTIP nuancent fortement ces prédictions, quand elles ne les contredisent pas complètement. Cela vaut y compris pour les simulations sur lesquelles s’appuie la Commission européenne. La principale étude commandée par celle-ci estime à seulement 0,5% l’élévation de la croissance engendrée par le TTIP d’ici à 2027. Par ailleurs, aucune indication sur l’impact sur l’emploi n’est fournie. En effet, le modèle pose par principe qu’à moyen terme le niveau d’emploi ne variera pas. Les pertes d’emploi dans les secteurs en décroissance suite au TTIP seront automatiquement compensées par des créations d’emplois dans les secteurs en croissance… L’irréalisme de cette prédiction a poussé des chercheurs à utiliser des modèles plus raisonnables. Ceux-ci chiffrent jusqu’à 600.000 le nombre d’emplois détruits dans l’UE si le TTIP passe, dans un délai de dix ans.

Ces simulations économiques sont par nature approximatives, vu la difficulté à modéliser un phénomène aussi complexe que TTIP. L’histoire des trois dernières décennies fournit cependant une expérience grandeur nature et réelle des effets de la libéralisation. Une ouverture sans précédent a eu lieu suite à la chute du Mur, à la conclusion de vastes zones de libre-échange, comme l’ALENA et le marché unique européen. La conclusion est sans appel . Cette ouverture n’a pas accru la croissance et certainement pas l’emploi au niveau mondial. L’ouverture économique bénéficie à certains pays, mais nuit à d’autres. Contrairement à la théorie de Ricardo, tout le monde ne peut pas gagner au jeu du libre-échange. L’Europe l’illustre très bien. Le marché unique, complété par la monnaie unique, a produit une Allemagne ultra-compétitive et ultra-exportatrice mais aussi une Grèce en voie de désertification industrielle.

Les gouvernements ont déjà accepté d’être dépossédés de leur pouvoir budgétaire avec le “Pacte Budgétaire”. Avec le TTIP on irait encore plus loin dans l’abandon des pouvoirs sociaux et législatifs au profit du grand business, des actionnaires et des multinationales.

Le salut de l’Europe réside dans une relance des investissements industriels, donc dans une politique industrielle. Or le marché est à lui seul complètement incapable d’engendrer cette réindustrialisation. Celle-ci implique un pilotage public. Le TTIP empêche directement cette réindustrialisation. D’une part, parce qu’il a pour objectif de limiter le rôle de l’Etat, en lui interdisant d’intervenir dans les décisions d’investissement des multinationales. Il ne sera par exemple plus permis d’imposer à une multinationale de travailler avec des sous-traitants implantés localement plutôt qu’à l’étranger, ni d’opérer des transferts de recherche et développement vers les PME locales. D’autre part, parce que le moment est vraiment mal choisi pour l’Europe de se mesurer aux Etats-Unis. Ceux-ci mobilisent une véritable stratégie industrielle, spécialement depuis la crise de 2008, qui a vu des investissements massifs du gouvernement dans le secteur industriel. Ils bénéficient en outre d’avantages spécifiques, telle que la (non souhaitable) exploitation du gaz de schiste. L’Europe en revanche connaît une crise existentielle, qui trouve son origine dans un cadre institutionnel qui ne fonctionne plus, et qui condamne notre continent à la stagnation économique au moyen de normes d’austérité permanentes et généralisées. Pour l’Europe, la priorité est de reconstruire un projet commun en interne, d’opérer une refonte de sa gouvernance économique, pas de signer le TTIP.

Il y a 30 ans, le marché unique : même optimisme, mêmes démentis
En 1986, un nouveau traité européen est signé, l’Acte unique européen. La Commission européenne, alors présidée par Jacques Delors, estime que l’abattement des barrières commerciales qui subsistent entre les Etats membres relancera l’économie européenne. Comme pour le TTIP, l’accent est mis non seulement sur les barrières douanières mais aussi sur les barrières «non-tarifaires», notamment les différences de réglementations qui subsistent entre les Etats dans de multiples domaines. La Commission européenne commande à un groupe d’experts, présidé par l’Italien Paolo Cecchini, un rapport chiffrant l’impact économique du marché unique. Le rapport Cecchini (1988) prédit un accroissement du PIB pouvant aller jusqu’à 7% dans un horizon de 5 à 6 ans. Une petite dizaine d’années plus tard, plusieurs économistes se repenchent sur la question. Ils découvrent « qu’en tout état de cause il n’y a eu aucun impact sur la croissance résultant de l’élargissement du marché ». L’emploi dans le secteur industriel a baissé globalement de 0,53%, même s’il a augmenté dans certains pays individuellement. Le pourcentage d’entreprises estimant que le marché unique n’a eu absolument aucun effet s’élève à 70%.