«Pour l’Europe et pour la zone Euro, nous devons renforcer les valeurs de solidarité».
Une interview de Cédric du Monceau,
Diplômé d’économie et de Finances Internationeles,
Ancien DG. du WWF-France, 1er échevin de Ottignies-LLN.
POUR : Le Traité transatlantique prône et garantit la croissance. Vous y croyez?
Dans un monde – qui par définition est limité -, c’est une erreur fondamentale de croire que toujours plus de croissance économique du PNB peut être LA solution. C’est pourtant la logique que prône le TTIP. Pour cohabiter pacifiquement sur notre petit vaisseau spatial terre, avec une population qui devrait se stabiliser autour de huit à neuf milliards d’habitants, ce n’est pas en renforçant un système qui prône toujours plus de compétition que nous y arriverons! Que du contraire, il nous faut apprendre à développer la coopération et la solidarité.
POUR : Cela ne suppose-t-il pas avant tout une économie solide?
L’Europe est le plus grand marché du monde avec la plus grande répartition sociale et la plus grande contribution au financement de la coopération internationale. Que voulez-vous de plus? Elle se doit de démontrer que la coopération et la solidarité sont l’essence même de son projet politique! Et cela n’empêche nullement la recherche de l’excellence et de l’innovation.
POUR : Pour cela, ne faut-il pas que l’Euro se pérennise alors que certains le rejettent?
Accepter le TTIP reviendrait à renoncer au «projet européen» tel que tous les pays qui ont eu l’audace de mettre en commun leur monnaie pour créer l’euro, l’avaient espéré. Le TTIP renforcera la zone économique naturelle du dollar et affaiblira le rôle de l’EURO en tant que valeur de partage, d’échange et de réserve internationale. Or sans monnaie unique l’Europe n’aura plus de socle sur lequel assoir un projet de solidarité.
POUR : Que génèrerait le renforcement du dollar et donc des USA?
Comparativement à I ‘Europe, les USA ont une épargne beaucoup plus faible, mais ils peuvent cumuler des déficits structurels croissants grâce au rôle hégémonique que joue le dollar sur la planète, d’où une capacité d’emprunt quasi illimitée. Comme ils aiment nous le rappeler «Le dollar, c’est notre monnaie mais c’est votre problème». Il n’est pas normal qu’un pays fût-il celui qui a sauvé l’Europe en 1944 puisse vivre en permanence à crédit sur le reste du monde!
POUR : D’aucuns estiment que l’Europe a besoin d’une armée, ce qui entre les lignes est un souhait qu’elle devienne plus forte, voire dominante?
Le business de l’armement est le cancer d’une société, car pour vivre il a besoin de croître et donc de se nourrir de conflits. Toutefois dans l’histoire des monnaies, l’euro est une exception, car «il n’y a jamais eu de monnaie sans armée». Ce qu’il faut entendre par là, c’est qu’une monnaie a besoin d’un projet politique fort que l’Euro-group a du mal à mettre en œuvre, car le projet européen s’est dilué dans une zone économique élargie. Accepter le TTIP reviendrait à élargir encore davantage le marché et diluer le projet de solidarité commune de l’Euro-groupe[1], en accroissant la concurrence vers un nivellement par le bas des conditions sociales. Ce fut d’ailleurs l’un des impacts des accords ALENA entre le Mexique, les États-Unis et le Canada.
POUR : Alors quel rôle l’Europe peut ou doit jouer dans le monde?
Ce dont le monde a surtout besoin, c’est d’un rééquilibrage des mécanismes de la Gouvernance Mondiale établis au lendemain de la seconde guerre mondiale à Bretton Woods. Les institutions alors créées, le FMI (Fonds Monétaire International) et la Banque mondiale doivent être renégociés. Tant que cela ne sera pas fait et que subsistera l’hégémonie d’une seule monnaie mondiale, tout accord d’échange sera au seul profit du renforcement de cette monnaie et du pays qui en bénéficie les USA. Le monde ne pourra pas évoluer vers plus d’équité et prétendre défendre des valeurs démocratiques.
C’est d’ailleurs pour cela que le TTIP est mis en avant comme un renforcement de la zone des pays dit développés face à la montée en puissance de la Chine, et c’ est aussi pour cela que l’Europe se doit de refuser ce «marché de dupe».
Refuser le baiser de Judas et renforcer nos valeurs européennes
POUR : Quelle confiance gardez-vous dans les capacités des Européens à relancer un projet attrayant pour le reste du monde?
La négociation sur le TTIP peut devenir une formidable chance de prise de conscience. Pour I’Europe et en particulier pour la zone Euro c’est une possibilité de renforcer les valeurs de solidarité européennes. Pour cela l’Europe doit marquer sa différence et affirmer son opposition à tout accord, tant qu’un rééquilibrage équitable de la gouvernance économique et financière mondiale n’aura pas été réalisé, et, tant que les principaux traités de respect des droits de l’homme n’auront pas été approuvés par les USA. Par exemple le traité contre la prolifération des mines antipersonnel (convention d’Ottawa), mais aussi le respect des droits sociaux tels que prônés par l’OIT (Office International du Travail). Il y a aussi le refus américain de participer à la dynamique de Kyoto dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques ! etc…
Nul besoin d’être de gauche ou de droite pour souhaiter voir le monde développer de plus en plus de valeurs humaines démocratiques et mettre en place une dynamique de coopération plutôt que de compétition.
POUR : Sur quoi étayez-vous cette confiance?
Deux grands événements mondiaux démontrent une capacité de retournement d’une situation à partir du moment où une population porte et soutient une démarche de changement: la fin de l’apartheid et la chute du mur de Berlin. Il a fallu du temps et de l’énergie pour que cela soit possible, mais c’est arrivé ! Et aujourd’hui on bénéficie en plus des nouvelles technologies de l’information qui accélèrent une prise de conscience collective, celle de l’impérieuse nécessité de voir naître un ordre mondial plus équitable et respectueux des grands équilibres naturels qui rend la vie de l’homme sur terre possible.
Propos recueillis par Godelieve Ugeux
[1] Créé par le Conseil européen en 1997, l’Eurogroupe a essentiellement pour mission de faciliter la concertation des états membres participants à la zone euro.