1ère partie: Le constat – La répartition actuelle du travail est totalement inégale et injuste
2ème partie: La Réduction collective du temps de travail est bénéfique pour TOUS et TOUTES
3ème et 4ème partie: Deux salves d’objections à la RCTT et leurs réponses
5ème partie: L’expérience des 35 heures en France: un succès mitigé mais des critiques injustes
6ème partie: Dernières objections et orientations RCTT du Collectif Roosevelt-Namur
Argumentaire en faveur de la Réduction collective du temps de travail – 5ème partie
L’expérience des 35 heures en France: un succès mitigé mais des critiques injustes
«Les 35h en France ont été une catastrophe!»
Cette critique, formulée dès l’adoption du projet de réforme de la durée du travail par la Ministre Martine AUBRY, est devenue depuis une véritable rengaine idéologique, répétée et souvent admise sans réflexion critique ni vérification.
Rappelons donc les modalités de la réforme et procédons à la vérification des différents couplets de cette rengaine.
Les lois Aubry de Réduction du Temps de Travail (RTT)
La loi dite “Aubry 1” (1998-1999) ouvrait un processus expérimental de négociations entreprise par entreprise, avec exonération de cotisations sociales pour celles qui concluaient des accords prévoyant des embauches compensatoires.
En 1999, la loi “Aubry 2” a été votée, applicable à partir de 2000. Elle a ramené la durée légale à 35 heures hebdomadaires, moyennant la généralisation et la pérennisation des exonérations de cotisations sociales. Les entreprises de moins de 20 salariés disposaient de deux ans supplémentaires avant de s’y plier à leur tour. En 2003, l’extension à toutes les entreprises de l’aide prévue dans la loi “Aubry 2” et la décision d’ouvrir un contingent annuel d’heures supplémentaires permettant à toutes les entreprises n’ayant pas signé d’accord de RTT de continuer à pouvoir de facto travailler 39 heures ont signé le gel du processus.
Vérifions la rengaine des critiques.
1. Les 35 heures ont-elles créé des emplois?
Oui. Sur les 2,4 millions d’emplois créés dans les entreprises entre 1992 et 2006, les quatre cinquièmes (1,9 million) l’ont été durant la période 1998-2002. Bien évidemment, tout cet emploi supplémentaire ne peut être imputé à la seule réduction du temps de travail (RTT). La croissance a joué un rôle majeur.
Selon l’Insee et la Dares (le service statistique du ministère du Travail), les 35 heures sont responsables d’environ 350.000 emplois supplémentaires sur l’ensemble de la période 1998-2002.
2. L’activité économique a-t-elle souffert des 35 heures?
Non. Les chiffres de l’OCDE sont formels: la compétitivité française s’est améliorée de 1997 à 2002, et ce n’est qu’à partir de 2004 qu’elle décroît. Le taux de marge ne s’est pas dégradé, il est resté stable de 1998 à 2003. Après 2004, la forte appréciation qu’a connue l’euro a effectivement grevé les coûts de production.
3. Les coûts salariaux se sont-ils envolés et la compétitivité s’est-elle effondrée?
La mise en place des lois Aubry n’a pas engendré de baisse de la compétitivité de l’économie française: l’augmentation du salaire horaire lié au passage aux 35 heures a été compensée par la modération salariale, une organisation temporelle plus flexible qui a permis l’amélioration de la productivité horaire du travail et la suppression du paiement d’heures supplémentaires; et, enfin, l’aide de l’Etat, sous la forme de baisse des cotisations sociales, a amorti le choc.
Depuis 2002, Paris a connu en revanche une lourde chute de ses parts de marché. Principalement pour deux raisons: d’abord, une perte de compétitivité-prix des exportations françaises consécutive à l’appréciation du taux de change effectif de l’euro; ensuite, l’engagement d’une politique de réduction drastique des coûts de production par Berlin. Ainsi, engagée depuis 2002 dans une thérapie visant l’amélioration de l’offre par la restriction des revenus et des transferts sociaux (réformes Hartz, TVA sociale), l’Allemagne a vu ses coûts salariaux unitaires diminuer en niveau absolu, mais aussi relativement à ses autres partenaires européens, dont la France. Cette politique explique environ 30% des pertes de parts de marché françaises enregistrées au cours de la période 2002-2007. Elle montre aussi ses côtés, non-coopératif avec ses partenaires européens d’une part, antisocial d’autre part avec le développement sans précédent de la pauvreté en Allemagne.
4. Le coût pour l’Etat était-il supportable?
Depuis la mise en place des lois Aubry, les allégements de charges sur les bas salaires coûtent en moyenne 22 milliards d’euros par an aux administrations publiques. Mais cette somme n’est pas liée uniquement aux 35 heures. Le supplément d’allégements engendré par les lois Aubry, s’élève à près de 12,5 milliards d’euros par an.
Cette somme ne représente cependant pas non plus le coût réel des 35 heures pour les finances publiques. En effet, les lois Aubry ont créé 350.000 emplois selon le bilan officiel dressé par la Dares et repris par l’Insee: ces créations d’emplois ont engendré 4 milliards d’euros de cotisations sociales supplémentaires par an. Elles ont permis également de diminuer le nombre de chômeurs et, par ce biais, de réduire les prestations chômage à hauteur de 1,8 milliard d’euros. Enfin, elles ont stimulé le revenu des ménages et donc leur consommation, engendrant un surcroît de recettes fiscales (TVA, impôt sur le revenu,…) d’un montant qu’on peut estimer à 3,7 milliards d’euros. Au total, une fois le bouclage macroéconomique pris en compte, le surcoût de ces allégements ne s’élève donc plus qu’à 3 milliards d’euros annuels, soit 0,15 point de produit intérieur brut (PIB). Significativement moins que les 4,3 milliards d’euros dépensés chaque année depuis 2007 pour inciter les salariés à effectuer des heures supplémentaires…
En résumé:
Ce coût de 3 milliards d’EUR peut être favorablement comparé au coût de 4,3 Mrds d’EUR dû à la suppression des charges sur les heures supplémentaires « libérées » sous la présidence Sarkozy.
5. La réforme a-t-elle fait fuir les investissements?
Enfin, les 35 heures n’ont pas eu non plus d’effet négatif sur l’attractivité du pays, si on en juge par les flux d’investissements directs étrangers (IDE). Dans un contexte de globalisation financière croissante, la France a amélioré sa position. Alors qu’elle figurait en sixième place en tant que pays d’accueil de ces investissements étrangers nets au cours des années 1980, attirant moins de 4% de l’ensemble des IDE, elle occupe régulièrement depuis 2002 la troisième place, derrière la Chine et les Etats-Unis, avec près de 8% des IDE mondiaux.
6. Les 35 heures, facteur d’intensification du travail?
Tout n’est pas rose, cependant, au pays des 35 heures. Car si les entreprises ont pu encaisser la réforme, en préservant, bon an mal an, leur productivité, c’est au prix d’une dégradation des conditions de travail des salariés dans certains secteurs. Et notamment dans l’industrie, où l’intensification du travail n’a pas été sans conséquences sur la santé des ouvriers. Dans une enquête menée par la CFDT auprès de 20.000 salariés, toutes filières confondues, 53% d’entre eux ont ainsi affirmé «travailler moins longtemps mais en faire autant qu’avant». Même si la responsabilité des 35 heures est à relativiser: «La RTT n’est pas à l’origine de l’intensification du travail en tant que telle, estime l’ex-inspectrice du travail, Laurence Thery, qui a analysé les résultats. En revanche, elle a renforcé des tendances déjà à l’œuvre, du fait des changements organisationnels qu’ont connus les entreprises depuis les années 80.» La mise en place des 35 heures a aussi provoqué des problèmes d’organisation, notamment à l’hôpital, où Jospin lui-même a reconnu, devant la commission parlementaire à l’origine du rapport, qu’il aurait fallu attendre deux ans de plus.
7. Les 35 heures: un cadre trop rigide et dogmatique?
Non. Elles ont été à l’origine de négociations entre les partenaires sociaux qui ont revitalisé la démocratie dans les entreprises. Si certaines négociations ont été longues, elles ont toutes abouti à des accords et à des réorganisations bénéfiques qui ont dégagé des gains de productivité. Mais malheureusement, les augmentations successives du plafond d’heures supplémentaires qui sont passées de 130 à 180 heures par an dans le sillage de la loi Fillon en 2003, puis à 220 heures en 2004 ont progressivement dévoyé l’ambition initiale des 35h.
Sources
Alternatives économiques
– N° 267-Mars 2008, Denis Clerc, Réforme du temps de travail: les 35 heures, bouc émissaire
– Hors-Série N°092-Février 2012, Eric Heyer, Dir. Adj. Du Département analyse et prévision de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), un organisme indépendant de prévision, de recherche et d’évaluation des politiques publiques, accueilli en son sein par la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP).
Assemblée Nationale (France): Rapport de la Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail. N°2436, 9/12/2014. Rapporteure: Barbara Romagnan, députée.
Luc Peillon, 35 heures: quinze ans d’une exception française, dans «Libération», 3 janvier 2015.
Bérénice Rocfort-Giovanni, Nouvel-Obs.com, 1/2/2010